Joe Biden, le président américain, a convié un sommet, vendredi, de quatre pays déterminés à contenir les ambitions chinoises dans la zone indo-pacifique. Mais la raison d’être de ce club – baptisé Quad – semble remise en question par l’Aukus, la nouvelle alliance militaro-sécuritaire imaginée par Washington pour contrer la menace chinoise.
C’est le sommet de la bande des quatre contre la Chine. Joe Biden, le président américain, reçoit à Washington vendredi 24 septembre Narendra Modi, le Premier ministre indien, Yoshihide Suga, le Premier ministre japonais, et Scott Morrison, le chef de gouvernement australien, pour la première rencontre en personne des membres du “Quad” (Quadrilateral security dialogue – dialogue quadrilatéral pour la sécurité).
Quelques jours après les débuts en fanfare de l’Aukus – la nouvelle alliance militaire dans le Pacifique entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, qui a coûté un contrat de 56 milliards de dollars de livraison de sous-marins à la France – Washington revient à la charge pour souligner à quel point il prend la compétition avec la Chine dans cette région du globe au sérieux.
Bien plus qu’une coopération militaire
Mais face à l’Aukus, difficile, à première vue, de comprendre quel va être le rôle du Quad. À l’origine, en 2007, c’était un club où les grandes puissances influentes en Asie discutaient des questions de sécurité dans le Pacifique. Mais, il n’a jamais été très actif… jusqu’en 2017 lorsque Donald Trump, tout à son obsession anti-chinoise, décide d’en faire une arme de plus pour contenir la montée en puissance de Pékin dans la région.
Ce qui correspond, peu ou prou, au but affiché par l’Aukus. “Il revient à Joe Biden de préciser ce qu’il veut faire du Quad maintenant”, estime Maria Rost Rublee, experte des relations internationales à l’université Monash de Wellington (Australie), interrogée par le Financial Times.
Mais avec le Quad, le président américain dispose d’une arme “qui peut se révéler parfaitement complémentaire de l’Aukus”, estime Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine et du jeu diplomatique en Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par France 24.
En effet, la nouvelle initiative américano-britanico-australienne “est définie très précisément et étroitement comme un partenariat militaire et sécuritaire, puisqu’il s’agit de collaborer dans les domaines des sous-marins, du cyberespace, de l’informatique quantique et de l’intelligence artificielle”, explique Andrew Small, spécialiste des relations américano-chinoises au German Marshall Fund, un cercle de réflexion américain basé en Europe, contacté par France 24.
Rien de tel avec le Quad qui n’a pas de buts aussi clairement définis. Avec ce club, “Washington peut atteindre des objectifs beaucoup plus larges”, assure Andrew Small. Lors de leur dernier rendez-vous par Zoom, en mars 2021, les membres avaient ainsi insisté sur les efforts des quatre pays – États-Unis, Inde, Japon et Australie – pour améliorer la distribution des vaccins contre le Covid-19. Cette fois-ci, il devrait être question de collaboration dans la fabrication de puces informatiques, dans le déploiement de la 5G et dans la construction d’infrastructures numériques communes.
Outil de soft power américain
Autant de secteurs où Washington tente de contenir la Chine. “Le Quad semble évoluer vers une sorte de plateforme de collaboration économique dans des domaines relevant de la sécurité dans la région”, analyse Zeno Leoni, spécialiste des relations sino-américaines au King’s College de Londres, contacté par France 24.
En ce sens, “le Quad ressemble à un outil du soft power américain”, ajoute cet expert. Ce club peut être perçu comme une “une réponse au programme chinois des nouvelles routes de la soie”, confirme Andrew Small.
“Il permet de démontrer aux autres pays de la région que même si, séparément, ces pays n’ont pas les mêmes moyens financiers que la Chine, ils sont capables, ensemble, de réaliser des projets tout aussi ambitieux”, résume Zeno Leoni.
C’est, à ce titre, une arme beaucoup plus politique que l’Aukus. Le Quad permet de “dire à voix haute : ‘Regardez ce que des démocraties peuvent accomplir lorsqu’elles s’associent face à la Chine’”, estime Andrew Small.
Et c’est là qu’une des spécificités du Quad prend toute son importance : “Ce n’est pas un club réservé aux alliés des États-Unis”, rappelle Antoine Bondaz. Contrairement à l’Aukus, qui ressemble à un sous-ensemble du groupe des “Five Eyes” – les “cinq yeux” qui rassemblent les pays anglo-saxons travaillant ensemble dans le domaine du renseignement militaire.
Le Quad compte, ainsi, parmi ses membres l’Inde, un pays qui n’a jamais officiellement choisi son camp entre les États-Unis et la Chine. Le fait que New Delhi participe à cette initiative et que Narendra Modi en personne s’est déplacé à Washington ce vendredi démontre que le désir de contrer les ambitions chinoises dans la zone indo-pacifique n’est pas l’apanage des seuls alliés de Washington, souligne le site The Diplomat.
C’est aussi la preuve que Joe Biden est prêt à partager un peu du savoir-faire américain avec un éventail plus large de pays que ses alliés traditionnels dans la région.
En fin de compte, Washington est en train de mettre en place un jeu d’alliances qui isole autant que possible Pékin. “C’est un peu un système de coopération à deux vitesses”, reconnaît Antoine Bondaz. Il y a l’Aukus, un cercle restreint de trois pays – États-Unis, Australie, Royaume-Uni – qui partagent une même vision des enjeux dans la zone indo-pacifique et se sont mis d’accord pour réagir rapidement dans les domaines les plus sensibles. Et il y a le Quad, qui représente un partenariat plus ambitieux mais aux contours plus flous, et qui est plus ouvert à des pays qui ne partagent pas forcément les mêmes priorités que Washington.
france 24