« Algérie, la révolte » ! C’est le titre qui claque comme le drapeau – algérien – sur lequel il est écrit à la Une du journal La Croix. « Le mouvement populaire hostile à un cinquième mandat du président Bouteflika va connaître (aujourd’hui) puis dimanche deux journées décisives », prévient le quotidien catholique français.
C’est ainsi, relève La Croix, « le mur de la peur semble être tombé en Algérie. La rue est à nouveau occupée dans tout le pays ». Alors oui, « que peut-il se passer en Algérie dans les trois jours à venir ?, se demande avec inquiétude ce journal. Comment la gérontocratie militaire au pouvoir va-t-elle réagir à (cette) fronde […] qui a surgi aux quatre coins du pays d’ici à dimanche 3 mars au soir, date de la clôture du dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle du 18 avril ? », complète La Croix.
Lequel quotidien catholique le remarque encore : « le chantage par lequel le pouvoir pensait tenir les Algériens en brandissant le risque de retour à la guerre civile en cas de protestation, ne fonctionne plus ».
Inquiétude, donc, et qui est partagée ce matin par Le Figaro. La contestation « s’intensifie », souligne en effet ce quotidien en Une. Lequel journal s’alarme de nouvelles manifestations aujourd’hui contre la perspective d’un cinquième mandat du président sortant Abdelaziz Bouteflika. « Le vent de fronde ne faiblit pas, au contraire », relève ce quotidien, qui qualifie de mouvement de « massif ».
Que va-t-il se passer ? Certes, « nul ne peut prédire » jusqu’où ira ce « printemps algérien ». Mais si la crise s’emballe, « la France risque d’être dans l’embarras diplomatique, prévient Le Figaro. Le dossier algérien se manie comme une bouteille de nitroglycérine. […] Un basculement algérien dans l’abîme pourrait provoquer une vague d’immigration et des tensions dans la communauté d’origine algérienne en France. […] Sans prédire l’apocalypse, on doit prendre acte d’un fait : la proximité géographique et humaine des deux pays. Les failles et les secousses algériennes ne peuvent pas ne pas courir sous la Méditerranée », démontre d’un raisonnement tout aussi logique que géologique, ce quotidien conservateur.
La jeunesse ne veut plus « tenir les murs » d’Alger
Toutes générations confondues, la population algérienne a donc pris la rue, mais c’est surtout la jeunesse qui, à présent, est en pointe de ce mouvement populaire. Elle est « en première ligne », souligne militairement L’Humanité. Reportage du quotidien communiste dans les rues d’Alger, à la rencontre d’Hamid, à la veille de la « grande marche pacifique » de ce vendredi, dans le quartier algérois de Bab El Oued, jadis fief du FIS, le Front islamique du salut. « Ce pays ne m’a rien donné…, dit-il à L’Huma, je partage mes journées entre la zatla(fumer du cannabis), quand je trouve les moyens, et les discussions sans fin avec les copains. Que veux-tu que je fasse de mes 20 ans ? », soupire Hamid dans ce journal français.
Place Maurice-Audin, à Alger, Siham ne dit pas autre chose. Etudiante à l’université des sciences et technologies de Bab Ezzouar, cette jeune femme de 22 ans y propose aux passants des produits de toilette contre un « petit pourcentage » sur les ventes. « Siham en est convaincue : « Les Algériens se préparent à fêter quelque chose. » Quoi donc ? « Le départ de Bouteflika et de sa clique. Il faut qu’ils s’en aillent, ils ont tué tous les espoirs », insiste-t-elle. Sans sourire », rapporte L’Humanité.
Les dernières nuits du raïs algérien
Certitudes de la jeunesse, angoissante incertitude de la presse. Aussi, comme souvent, certains journaux s’en remettent aux prédictions d’écrivains algériens connus des lecteurs français… si tant est qu’ils en aient. Et ce matin, dans les journaux, les pythies littéraires algériennes qui se risquent à prendre la parole ont pour nom Yasmina Khadra et Boualem Sansal.
Faisant preuve de la plus grande prudence, le premier s’exprime dans Le Parisien. « Pendant des années, j’ai écrit que l’Algérie avait renoncé. Quel bonheur de m’apercevoir que je me trompais », admet avec humilité Yasmina Khadra (dans Le Parisien, donc). Auteur (notamment) d’un roman à succès intitulé Ce que le jour doit à la nuit, et qui a été publié chez Julliard il y a une dizaine d’années, cet écrivain avait, à sa manière, raconté plus récemment les derniers jours du guide libyen Mouammar Kadhafi et notamment La dernière nuit du Raïs(c’est le titre de son dernier roman). Il était donc tentant pour Le Parisien de demander à cet orfèvre es-fin de régime ce qui risquait de se passer en Algérie. Las, les lecteurs de ce quotidien en seront pour leur faim, car Yasmina Khadra y avoue qu’il n’en « sait rien » car c’est, selon lui, « imprévisible », cet écrivain voulant croire que « c’est le peuple qui peut changer les choses ».
La novlangue de l’Orwell algérien
Boualem Sansal, lui, est bien plus explicite. Et c’est dans les colonnes du Figaro que cet autre écrivain algérien bien connu des lecteurs français sonne l’alarme. Auteur du très remarqué roman dystopique 2084 – La fin du monde (Gallimard), Boualem Sansal se réjouit, certes, « de voir les gens sortir de leur longue et insupportable léthargie » ; il se dit « surpris par leur soudaine hardiesse et par le silence confus du pouvoir » ; il s’efforce de ressentir cet « espoir fou qui se répand sur le pays comme au sortir d’un long cauchemar, mais c’est difficile, l’inquiétude est plus forte chez moi », complète toutefois l’écrivain lauréat du Grand prix de l’Académie française il y a quatre ans, car cette contestation est une « insupportable humiliation pour le président, ses frères, son armée, sa police, ses députés, ses sénateurs, ses oligarques, ses fonctionnaires, ses milices d’appoint, […] à qui jamais personne n’a manqué de respect sans le payer de sa vie. Leur silence a un air de veillée d’armes qui n’augure rien de bon », craint Boualem Sansal. Qui, à la différence de Yasmina Khadra, sort du flou pour prédire dans Le Figaro que le pouvoir « ne tombera pas ». C’est bien connu, la Guerre de Troie n’aura pas lieu.
Rfi