Après les drames enregistrés à Sibassor (Kaolack) et à Tattaguine (Fatick) avec leurs lots de décès, le ministre chargé des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, Mansour Faye, s’est prononcé en marge de la prière de Korité, pour annoncer des concertations prochaines avec l’ensemble des acteurs du transport.
Pis, il a évoqué la possibilité de fixer une tranche horaire durant laquelle les véhicules de transport interurbain, surtout les bus, mais également les camions auront le droit circuler.
En réaction à cette sortie, du ministre des transports, nous disons d’emblée que le discours n’a pas vraiment changé. Il n’y a pas de nouveauté dans ses propos. Ce sont toujours les acteurs des transports qui sont mis au banc des accusés. Nous l’avons entendu dire que des mesures seront prises sans état d’âme et que l’Etat ne reculera pas là-dessus.
Nous estimons que cela ne sert à rien d’avoir cette position de guerrier. Le problème est ailleurs. Limiter les heures de circulation des bus et des camions, ce n’est pas la solution. Concernant le permis à point, il sait bien lui-même qu’il ne peut pas se faire d’ici 3 ans. Donc, il ne faut pas que dans l’empressement, il nous fasse du n’importe quoi comme un permis à point ‘’Made in Sénégal’’.
Nous, les acteurs des transports routiers, à travers ma voix, nous n’avons pas beaucoup d’espoir sur ces politiques qui vont être mises en place pour la simple raison que :
1) l’Etat du Sénégal ne reconnaît pas sa responsabilité dans les accidents.
2) Tout est mis sur le dos du chauffeur. Donc à quoi bon appeler les gens ? La tutelle n’a qu’à mettre les mesures en place et juger de l’efficacité de leur impact.
Nous nous demandons, quand ils disent qu’ils ont des infrastructures de dernières générations, alors que celles-ci sont identiques à celles de la période précoloniale, de qui se moque-t-on ? Mais, comme ils sont la force légitime et qu’ils annoncent des concertations avec les acteurs du secteur des Transports terrestres, nous les attendons au tournant. Les Sénégalais jugeront de l’efficacité des mesures qu’ils vont prendre. Nous devons, toutefois, reconnaître que nous sommes encore loin de la voie pour régler les accidents.
Vouloir que des véhicules ne puissent pas circuler de jour comme de nuit, cela veut dire que ces acteurs n’ont pas les aptitudes nécessaires. Parce que nous pensons qu’un bon chauffeur doit être capable de conduire de jour comme de nuit. Cela démontre de la pertinence de la création de ce Centre de formation des métiers du transport qu’on leur avait demandé de mettre en place.
A ce jour, nous avons comptabilisé pas moins d’une cinquantaine de pertes en vie humaines sur nos routes, rien qu’en ce premier semestre de l’année 2022. Ces morts nous obligent, au nom de tous les acteurs, à nous incliner devant la mémoire des disparus.
Près d’une cinquantaine de victimes décédées des suites d’un accident de la route, cela constitue un triste bilan, quand on sait les conséquences énormes qui s’en suivent. Nos sincères condoléances aux familles des victimes.
Force est de reconnaître qu’il est toujours regrettable de voir un accident. Nous professionnels des transports routiers, nous avions toujours estimé qu’il était bon, concernant les accidents, qu’on les considère comme un problème national. Un problème qui interpelle plusieurs secteurs. Mais, que ce soit l’Etat, les autres partenaires ou nous, personne n’a intérêt à ce qu’on se renvoie la balle. Chacun d’entre nous doit reconnaître sa part de responsabilité dans ce qui arrive et se demander que faire pour que plus jamais ne se reproduise un accident sur nos routes.
Mesdames et messieurs,
Dans ses propos, le ministre Mansour Faye a estimé que ces accidents mortels sont le fruit d’une défaillance humaine, tout simplement. Parce que, selon lui, les routes sont en bon état. Les véhicules n’ont pas de défaillance technique. Et que c’est donc à cause d’une défiance humaine que se sont produits ces accidents mortels.
Nous regrettons, fort bien, le fait qu’à chaque fois qu’on enregistre un accident, que les chauffeurs soient indexés. Autant la responsabilité des chauffeurs peut être engagée dans un accident, autant la vétusté du véhicule ou même de l’infrastructure routière peut être susceptible de provoquer des accidents de la route.
Mais, l’un dans l’autre, nous avions dit à l’autorité qu’il faudrait qu’on s’asseye tous autour d’une table et qu’on en discute pour mettre en place un instrument important qu’est le LABORATOIRE ACCIDENTOGÈNE. Nous estimons que ce laboratoire, mis en place, permettrait, à chaque fois qu’il y a un accident, d’avoir une équipe d’experts qui va se charger d’identifier la cause réelle de ce choc et de dresser un rapport d’accident. Ce, en plus du constat fait par la police, pour voir si c’est le véhicule, l’infrastructure ou bien le chauffeur qui est à l’origine de cet accident.
Et ce n’est qu’ainsi, en répertoriant le nombre, les causes et les types d’accidents, qu’on peut arriver à mettre en place des stratégies permettant de les éradiquer. Mais, si tous les jours, les chauffeurs et les transporteurs sont pointés du doigt, je le dis et le redis, on n’arrivera jamais à trouver des solutions.
Figurez-vous que la route a la même largeur, de l’époque coloniale, à nos jours. Combien y avait-il de véhicules pendant cette période coloniale ? Combien y en a-t-il aujourd’hui ? Nous avons des camions qui font 13 m de long. Nous comptons plusieurs milliers de véhicules en circulation. Nous pouvons même dire que s’il y en avait 1 000 000, aujourd’hui, on en compterait 10 ou 15 millions. Et vous voulez que cette même infrastructure qui accueille ces mêmes véhicules puisse être conforme aux normes ? Il y a des routes fréquentées au Sénégal où il faut 2×2 voies (deux fois deux voies) pour éradiquer les accidents de circulation. A défaut, on aura beau essayer d’éradiquer les accidents, mais on n’y parviendra jamais.
Mise en garde
Nous voudrions profiter de cette occasion pour déplorer ce qui est en train de se passer aujourd’hui. Au moment où on nous parle de Permis à point ; de ‘’Tolérance Zéro’’ et d’une obligation d’aller à l’école pour apprendre à conduire, on voit que des acteurs politiques sont en train de rassembler des jeunes en leur délivrant, nous ne savons pas par quel moyen, des cours de conduite et de Code de la route. Des cours théoriques pour après leur livrer un permis de conduire.
Nous nous érigeons en bouclier contre cette démarche, parce que le Permis de conduire c’est un outil de travail. Personne ne doit jouer avec. D’ailleurs, nous estimons qu’il y a un paradoxe entre vouloir instaurer un Permis à point et le fait de banaliser le Permis de conduire, à ce niveau-là.
A notre niveau, ce que nous avions suggéré aux autorités, c’était qu’il fallait créer un Centre professionnel pour que tous les chauffeurs désireux de se professionnaliser dans le secteur du transport puissent accéder à ce centre-là, être capacité et avoir, si besoin en est, la possibilité de bénéficier d’un rendez-vous médical avec un psychologue qui pourra mieux les sensibiliser sur leurs responsabilités. Une série d’exigences qu’il faut respecter avant l’obtention d’un certificat qui puisse attester de l’aptitude d’une personne à conduire un véhicule.
Concernant le Permis à point, nous avions recommandé à l’autorité, entre autres :
1) D’énumérer un certain nombre d’accidents et d’infractions et, ensuite de fixer un seuil à ne pas franchir au risque de voir son permis de conduire suspendu pour une durée déterminée.
2) De faire en sorte que le chauffeur dont le permis a été suspendu suite à un cumul d’accidents et d’infractions soit alors contraint d’aller dans ce Centre professionnel pour une capacitation. Une capacitation à l’issue de laquelle il pourra récupérer son Permis de conduire et reprendre ses activités.
3) D’envisager la mise en place d’un filtre. Un système qui permet de ne sélectionner que ceux qui sont véritablement aptes à prendre le volant. Sans ce filtre, il y aura toujours défaut de maîtrise sur la route.
4) Mais aussi et surtout de remettre nos infrastructures routières aux normes.
Nous nous devons de rappeler que le président de la République, Macky Sall, lors de la remise de clé des gros porteurs, s’était engagé à mettre en place des infrastructures de dernière génération. Aujourd’hui, nous sommes au regret de dire que nous avons des routes neuves, mais elles ne peuvent être assimilées à des infrastructures de dernière génération. Au contraire, elles sont à l’image des routes du moyen-âge. La preuve, on constate une absence totale de dispositifs de signalisation routière. Et beaucoup de nos Routes nationales sont loin de respecter les normes. Et quand une zone est accidentogène, cela veut dire qu’il y a un problème avec l’infrastructure. Et que les acteurs et l’Etat doivent se rendre sur place pour voir ce qui doit y être fait. Nous notons qu’il y a beaucoup d’accidents sur cet axe. Mais, cela ne devrait pas suffire pour pointer du doigt les conducteurs. Cela démontre quelque part qu’il y a un problème infrastructurel.
Voilà autant de faits qui relèvent de la nécessité, pour les transporteurs et l’ensemble des acteurs du secteur des transports terrestres, de se mettre autour de la table et d’engager des discussions. Des échanges à bâtons rompus passeraient mieux que cette volonté de nos autorités étatiques d’adopter la ‘’Tolérance Zéro’’, ou des sanctions.
Nous estimons qu’il faut sanctionner, oui ! Nous n’en sommes pas contre, d’autant que nul n’a le droit d’aller à l’encontre des règles qui régissent la société. Mais quand vous êtes la personne qui doit sanctionner, vous avez l’obligation de voir, au préalable :
– Est-ce que vous vous êtes acquitté de ce que vous devriez faire pour qu’il n’y ait pas d’accident ?
– Est-ce que vous avez veillé à la formation des acteurs ?
– Est-ce que vous avez mis le filtre nécessaire pour qu’à chaque fois qu’un conducteur se présente devant un examinateur, que le nécessaire soit fait ?
Parce que dans les conditions dans lesquelles on passe le permis on ne peut pas dire que celui-ci ou celui-là est un bon conducteur ou non. On nous parle d’auto-école obligatoire. Nous estimons que ce n’est pas la bonne méthode. L’apprenant doit avoir le droit d’aller où il veut, mais l’Etat a la responsabilité de mettre un filtre pour s’assurer que tous ceux qui ont le permis sont des chauffeurs aptes.
S’il y a un accident, on peut convoquer Dieu (LSI), mais on n’y voit moins la non-maîtrise du véhicule ou la vétusté du véhicule ou une infrastructure qui n’est pas aux normes routières requises.
Pour terminer, nous estimons que l’Etat est en train de faire des efforts. Mais quand on fait des efforts pour éradiquer une chose, il faut aussi prendre le temps de les évaluer. Parce que c’est en évaluant qu’on peut voir si ce qu’on est en train de faire ou ce qu’on a déjà fait impacte positivement ou non. Vous pourrez alors juger de vous-même après toutes les sorties des autorités et tout, et toutes les mesures prises s’il y a, ou non, une recrudescence des accidents. En conclusion, je dirais que pour réduire drastiquement les accidents de la route, au Sénégal, à défaut de les éradiquer, nos autorités devraient engager de sérieuses concertations avec les acteurs du secteur du transport routier et changer véritablement de fusil d’épaule.