Affaire des commissions présumées de la Sudatel: Après « Tos », Kéba Kéïndé et X bénéficient d’un non-lieu

Le non-lieu requis par le parquet en faveur de Thierno Ousmane Sy, dans l’affaire dite des commissions présumées de Sudatel,s’étend aussi à Kéba Kéïndé et à X. En clair, écrit « Libération » reçu par leral.net, si le doyen des juges suit le parquet, c’est tout le dossier qui sera enterré. Comment en est-on arrivé là ?
Libération révélait hier que le parquet avait requis le non-lieu pour Thierno Ousmane Sy, ancien conseiller en Ntic de Me Wade, dans l’affaire dite des commissions présumées de Sudatel. Selon des informations supplémentaires,le ministère public a fait la demande pour Kéba Kéïndé mais aussi pour X visés dans le cadre de l’information judiciaire ouverte pour association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, corruption active et passive, blanchiment de capitaux en bande organisée et complicité. En clair, si le magistrat-instructeur suit la logique du parquet, ce dossier, qui a défrayé la chronique, connaîtra un enterrement de première classe.

Mais le parquet pouvait-il faire autrement? A suivre l’argumentaire du parquet, exposé dans le réquisitoire consulté par Libération, cette requête de classement était la seule issue possible. Tout commence en janvier 2005 lorsque le gouvernement du Sénégal, à travers une lettre de politique sectorielle de communication, annonce l’attribution d’une troisième licence globale de téléphonie.

Cette intention a été réaffirmée en novembre 2005 lors du Sommet mondial de la société de l’information et l’Agence pour la régulation des postes et des télécommunications (Artp) était chargée de conduire le processus d’attribution. Ainsi, conformément aux dispositions des articles 21 et 23 de la loi 2001-15 du 27 novembre 2001 portant code des télécommunications, un appel à concurrence a été lancé et a vu la participation de cinq candidats : Bintel, Belgacom, Celtel, Comminuium africa et Sudatel dont trois sociétés seulement ont déposé leur dossier de soumission dans les délais (Bintel, Celtel et Sudatel).

Après la procédure d’adjudication, la commission mise en place a délivré les résultats suivants : 1er Sudatel (83 points), 2e Celtel (55 points) et 3e Bintel (53 points). Ainsi, la commission de dépouillement a proposé, après examen des critères juridiques, économiques et financiers, au directeur général de l’Artp, l’adjudication en faveur de la Sudatel. Cet avis de la commission sera partagé par l’ancien directeur général l’Artp qui le propose à son tour au gouvernement, qui va signer par l’entremise de l’ancien ministre de l’Economie et des Finances (abdoulaye Diop) et de l’ex-ministre des Télécommunications, des Postes et des Ntic (Sophie Gladima Siby), une convention de concession avec l’opérateur Sudatel.

Un gap troublant de 10,9 milliards de FCfa

Dans la rubrique de la contrepartie financière, l’article premier de ladite convention mentionne clairement et avec force détails, en son alinéa 4, que Sudatel versera à l’État du Sénégal la somme de 200 millions de dollars soit 100 milliards de FCfa. Cette clause financière sera confirmée respectivement par le directeur des Affaires juridiques et de la Coopération de l’Artp (Thierno Mouhamadou Baba Sy), le trésorier général de l’État (Waly Ndour) et par l’ancien directeur général de l’Artp (Daniel Goumalo Seck).

Cependant, il résulte des déclarations du trésorier général, Waly Ndour, que l’État du Sénégal a encaissé 89.081.646.541 FCFa en deux tranches : 44.775.208.727 FCfa le 19 novembre 2007 et 44.306.437.814 FCfa le 27 Novembre 2007 versés dans le compte numéro K00261 2100K0005001 ouvert à la Bceao par Abu Dhabi islamic bank. Compte tenu de la grande différence entre la contrepartie financière prévue dans la concession et le montant effectivement encaissé par l’État du Sénégal(10.918.353.453 FCfa), le parquet avait décidé d’ouvrir une enquête sur les conditions financière de l’attribution de ladite licence confiée à la Section Recherches (Sr) de la Gendarmerie nationale.

L’enquête de la Sr avait permis l’audition de toutes les personnes impliquées dans le processus d’adjudication. Lors de son interrogatoire, Thierno Ousmane Sy a déclaré que son implication dans le processus de cession de la licence à Sudatel, s’est limitée à la préparation technique du dossier en rapport avec l’Artp et le ministère des Télécommunications. Il a ajouté que l’État du Sénégal a effectivement encaissé 200 millions de dollars. il a aussi reconnu, avoir reçu, le 27 novembre 2003, un virement de Kéba Kéïndé d’un montant de 43,911 millions de FCfa, correspondant selon lui au paiement d’une dette sans pour autant en apporter la preuve. Pour autant, l’enquête de la Sr avait permis de réunir des documents qui montrent l’intervention de lobbystes, notamment la société Palm capital group dont le directeur général Andrew Davis qui est en réalité Kéba Kéïndé, dans le processus d’adjudication de la troisième licence Sudatel.

Il résultait également des investigations l’existence de plusieurs mails établissant des liens entre Davis (Kéba Kéïndé) et Thierno Ousmane Sy et qui font état de commissions réclamées et payées à la suite de l’adjudication de la troisième licence global de téléphonie à Sudatel qui a bénéficié d’un appel à concurrence taillé sur mesure.

Un virement de Kéba Kéïndé à « TOS » renforce les soupçons

En raison de ces présomptions graves et concordantes, Thierno Ousmane Sy a été inculpé par le doyen des juges. Mais, lors de son interrogatoire dans le fond, il a nié catégoriquement les faits qui lui sont reprochés et assure n’avoir joué qu’un rôle technique. Face à cette nébuleuse, le doyen des juges a envoyé des commissions rogatoires aux Etats-unis, en Grande Bretagne et à Dubaï, aux fins d’identifier et de bloquer les comptes ouverts par Thierno Ousmane Sy en son nom personnel et au nom de ses sociétés (Diastone, Ruya, Vikings, Planitinum services…). Mais les résultats de ces commissions ne sont pas parvenus au juge jusqu’à la clôture de l’information. Quant à Kéba Kéïndé, il ne répondra à aucune convocation du juge, d’où un mandat d’arrêt émis contre lui.

La Chambre d’accusation casse tout:  » Aucune preuve de détournement n’a été apportée »

Mais, par arrêt numéro 96 du 29/04/2014, la Chambre d’accusation, statuant sur la demande de mise en libération provisoire de « Tos » révèle : « Sur la somme de 10.918.353.453 Fcfa supposée détournée, l’inculpé a émis des contestations en faisant valoir à juste raison que le gap entre la somme de 100 milliards et 89.081.646.541 FCFa n’existe pas puisque rien dans la convention ne permet de soutenir que l’État du Sénégal devait encaisser la somme de 100 milliards de FCfa », avant d’ajouter « qu’en matière de détournement de deniers publics, il appartient à la partie civile de déterminer clairement et d’administrer la preuve de l’existence du manquant initial, lequel conditionne la mise en œuvre du régime juridique spécifique de la détention provisoire, tel que le prévoit les dispositions draconiennes des articles 152 et suivants du Code pénal et 140 du Code de procédure pénale;or, dans le cas d’espèce, et le ministère public et la partie civile, n’ont procédé que par simple affirmation, aucune preuve du détournement n’ayant été rapportée ».

Considérant la réponse l’inculpé comme des contestations sérieuses, la Chambre d’accusation a ordonné sa mise en liberté provisoire. Procédant par extension, la Chambre d’accusation a fait bénéficier le caractère sérieux des contestations de Thierno Ousmane Sy à Kéba Kéïndé, pour ordonner la mainlevée du mandat d’arrêt décerné contre lui.

Pourquoi le parquet a requis le non-lieu pour tout le monde

Concernant les accusations de détournement, le parquet fonde sa conviction sur le fait qu’il résultait du communiqué du ministère de l’Economie et des Finances sur son site http://www.finances.gouv.sn versé au dossier que «l’adjudicataire Sudatel s’est totalement acquitté du paiement de la troisième licence de téléphonie mobile».

Mieux, le trésorier de l’État a reconnu dans le même communiqué que le taux de change était d’un dollar pour 445,4082327 FCfa, de sorte que les virements en dollars qui ont crédité le compte du trésorier général les 19 et 27 novembre 2007, faisaient bel et bien le montant qui correspondait au prix d’accusation. Mieux, le ministère public estime que par jugement numéro 995 du 6 novembre 2010 relatif à l’affaire Thierno Ousmane Sy contre le journal «La Gazette» versé dans le dossier, la première chambre correctionnelle du tribunal de Dakar a énoncé que « la demande en paiement de commissions contenue dans ce courrier n’est ni adressée à Thierno Ousmane Sy ni formulée à son profit».

Aussi, le parquet estime que dans ces conditions, une telle pièce ne saurait établir l’implication de «Tos» dans un scandale financier présumé. Plus décisivement; les commissions rogatoires n’ont rien donné et aucun mouvement de capitaux n’a été retracé, ni aucune somme d’argent n’a été découverte, ce qui ne permet pas de caractériser, d’après le maître des poursuites, des faits supposés de détournement ou de corruption.