Afghanistan: à l’aéroport de Kaboul, le «miracle» ou le «vrai cauchemar»

Afghanistan: à l'aéroport de Kaboul, le «miracle» ou le «vrai cauchemar»

iGFM (Dakar) Les talibans accusent les États-Unis d’être responsables du chaos autour de l’aéroport de Kaboul, où au moins sept civils ont été tués dans les bousculades, alors que des milliers de personnes continuent de se presser dans la panique pour tenter de monter à bord d’un avion et de quitter le pays. Face au chaos, Joe Biden n’exclut plus de prolonger la présence américaine.

Une semaine après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, des milliers de personnes tentaient toujours ce dimanche 22 août de fuir leur pays au péril de leur vie, tandis que les opérations d’évacuations des pays étrangers se poursuivent dans des conditions difficiles.
Selon des témoins sur place, les talibans, qui s’impatientent, auraient repris un peu la main ce dimanche après les scènes chaotiques de samedi, en ordonnant aux gens de se placer en files. Mais la situation reste encore presque impossible à gérer, avec des conditions très difficiles sur place.
Les véhicules autorisés à entrer dans l’aéroport sont rares, et souvent pris d’assaut par toutes les personnes qui restent à l’extérieur, passeport à la main, et qui implorent d’avoir cette chance de partir.
Le « miracle » s’accomplit
Notre envoyé spécial sur place, Vincent Souriau, indique que la situation n’est pas la même à l’intérieur de l’aéroport que dans les alentours.
Dans l’enceinte de l’aéroport, c’est un balai d’avions bien réglé, des gros porteurs militaires venus de plusieurs pays. Des avions américains, mais aussi des appareils allemands, australiens, qataris et des files de ressortissants afghans escortés dans le calme par les forces spéciales.
Ils sont ravis de pouvoir enfin partir, ils saluent, ils sourient, ils montrent leurs enfants, ils veulent qu’on les prenne en photos. C’est beaucoup de soulagement pour eux, mais il y a aussi la douleur de ceux qui quittent leur pays. « Moi, je rêve d’être astronaute parce que l’Afghanistan n’en a jamais eu, confie une étudiante. Mais je dois partir, je dois quitter mon pays et je ne sais pas quand je pourrai revenir. »
Pour ces Afghans, le « miracle » s’accomplit, celui qu’attendent encore des milliers de leurs compatriotes, massés à quelques centaines de mètres de là, autour de l’aéroport de Kaboul, entre les barbelés qui séparent les talibans et les Américains. La situation est chaotique. Des gens sont morts dans des mouvements de foule. La situation humanitaire est dramatique. Ceux qui sont là souffrent de la chaleur, du manque d’eau et de nourriture. Tous déplorent le manque d’encadrement militaire dans une tension extrême due à la présence des talibans.
« Un bébé écrasé dans un mouvement de foule »
Au micro de RFI, un marine américain en charge des évacuations témoigne sur le tarmac du désespoir des Afghans qui cherchent à quitter le pays : « Les gens sont désespérés, ils savent que leur temps est compté donc ils essaient de rentrer dans l’aéroport le plus vite possible. Moi, je ne suis pas allé monter la garde au niveau des portes. Je sais que si j’y vais, ça va me briser le cœur. Mais j’ai posé des questions autour de moi : on m’a raconté qu’un bébé a été écrasé dans un mouvement de foule, sa mère a récupéré le corps et l’a jeté dans la rivière et a dû continuer sa route comme si de rien n’était. Une autre dame, suffocante, est morte dans la foule. Il y a énormément de blessés et on essaie de réguler ça tant qu’on peut. »
La France, elle aussi, continue de rapatrier ses ressortissants ainsi que des Afghans, mais en nombre insuffisant, selon des responsables politiques et associatifs qui ont manifesté ce dimanche à Paris. Parmi ceux qui sont toujours bloqués à Kaboul, il y a Mansour, un Afghan naturalisé français, sa femme et ses trois enfants. Ils étaient venus rendre visite à de la famille dans le pays et se sont retrouvés piégés avec la prise de la ville par les talibans. Ils ont essayé samedi d’entrer dans l’aéroport, sans succès.
« Mon fils a été blessé »
« On nous a dit qu’on pouvait aller à l’aéroport avec les enfants sans emporter de bagages, seulement avec des petits biscuits et de l’eau, confie Mansour joint par RFI. Et si vous trouvez des militaires étrangers vous pouvez leur montrer votre passeport. Donc on a essayé. On y a passé toute la journée sans manger mais on n’a même pas pu s’approcher des militaires. Il y a eu des tirs de kalachnikovs tout près de mes enfants. Mon fils a été blessé, il a eu des coups sur la tête, il avait du sang partout et je n’avais pas d’eau pour le nettoyer, le sang a séché sur son visage. Mon autre fils et moi-même avons pris des coups. Nous sommes repartis. Pour mes enfants qui ont grandi en France, ils vivaient un véritable cauchemar. »
Mansour et sa famille sont en ce moment hébergés chez un ami, dans la capitale. Il raconte la situation à Kaboul : « Mes amis n’arrêtent pas d’appeler et moi d’essayer de les joindre. Ça coûte très cher et comme les banques sont fermées, je ne peux pas retirer d’argent. Cela fait une semaine que les banques et les grands magasins sont fermés. Les prix des aliments ont beaucoup grimpé, il n’y a plus de solution pour acheter des médicaments. Tous les deux kilomètres il y a des contrôles pour les voitures. Alors on ne sort pas, surtout pas ma femme. Elle ne peut laisser son maquillage et devrait porter une burqa. Et si je sors, ne n’emporte pas mon passeport. Les rues sont calmes, les écoles aussi sont fermées. »
Biden inflexible
Le temps presse pour mener à bien les évacuations, car l’aéroport de Kaboul est censé fermer le 31 août, date du retrait définitif des troupes américaines. Pour Bruxelles comme pour Londres, aucun doute : tout le monde ne pourra pas être évacué d’ici-là. « Les Américains veulent sortir 60 000 personnes avant la fin du mois. C’est mathématiquement impossible », a jugé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
« Je suis persuadé d’avoir raison », dit Joe Biden. Le président américain a une nouvelle fois défendu sa gestion du retrait des troupes américaines d’Afghanistan.
Alors que les opérations d’évacuation se poursuivent dans une atmosphère chaotique, Joe Biden a annoncé la réquisition d’une vingtaine d’avions de ligne. Des appareils pour aider au transport des personnes déjà évacuées de Kaboul et qui se trouvent sur des bases américaines dans d’autres pays.
Une nouvelle fois, Joe Biden a insisté sur le fait que cette opération était dangereuse. Les troupes américaines devraient élargir le périmètre de sécurité autour de l’aéroport.
« Les conditions de sécurité évoluent rapidement. Des terroristes pourraient vouloir profiter de la situation pour cibler des Afghans ou les troupes américaines. Nous restons vigilants pour parer à toute menace. »
Joe Biden, qui doit s’entretenir avec les dirigeants du G7 mardi, a assuré que tout était en place pour permettre de respecter la date fatidique du 31 août. Mais que s’il le fallait, la présence américaine serait prolongée le temps de mener à bien les évacuations. « Il y a des discussions en cours entre nous et l’armée au sujet de la prolongation. Nous espérons ne pas avoir à prolonger, mais il y aura des discussions, je suppose, sur l’état d’avancement du processus » d’évacuation, a déclaré le président américain dimanche soi
Depuis le 14 août, environ 25 100 personnes ont été évacuées d’Afghanistan à bord d’avions militaires américains et de pays alliés, selon la Maison Blanche.
Des milliers de personnes ont déjà été exfiltrées à bord d’appareils dépêchés dans l’urgence par les pays occidentaux. Le but: évacuer leurs ressortissants, leur personnel diplomatique et les citoyens afghans qui ont travaillé avec eux ainsi que leurs proches.

RFI