Aucun accès sécurisé pour entrer dans ce bourg rural d’Afrique du Sud, semblable à tant d’autres. Très vite pourtant, la singularité d’Orania saute aux yeux: ici tout le monde est blanc.
Niché dans le Karoo, zone semi-désertique perdue au milieu du pays, sa population de 2.500 Afrikaners, descendants de Néerlandais et Français huguenots arrivés au 17e siècle, a presque décuplé depuis sa fondation il y a trente ans, à l’effondrement du régime ségrégationniste de l’apartheid.
Ici, on assure n’être pas raciste: on veut vivre entre soi, en sécurité, loin de la décadence du reste du pays qui connaît coupures de courant, défaillances administratives, violences inouïes et inégalités criantes.
« Quand les gens voient qu’il n’y a pas de travailleurs noirs ici », que les jardiniers, femmes de ménage, ouvriers agricoles sont tous blancs, « leur première réaction c’est de se dire +bon sang, ces gens sont vraiment racistes+, mais ce n’est pas du tout ça », plaide Wynand Boshoff, un des premiers résidents d’Orania.
La petite ville s’enorgueillit au contraire d’avoir rompu avec des pratiques de travail coloniales, « consistant à utiliser de la main d’œuvre noire bon marché pour tous les travaux pénibles ou subalternes », souligne son porte-parole Joost Strydom.
En attendant, au quotidien, ses habitants vivent dans une réalité parallèle où les Sud-Africains noirs… n’existent pas. Ou sont du moins invisibles.
En ce matin frisquet d’hiver austral, un homme blanc passe la serpillière dans la supérette, un autre agite un souffleur pour dégager les feuilles mortes des trottoirs.
« Un lieu à nous »
Le terrain de 8.000 hectares au bord du fleuve Orange où fut fondé Orania, avait été acheté par le gendre d’Hendrik Verwoerd, ancien Premier ministre considéré comme l’architecte de l’apartheid, et quelques autres familles afrikaners.
La localité, tolérée par l’Etat, s’appuie sur un article de la Constitution qui défend le droit à l’autodétermination.
Son autonomie, qui mise largement sur l’énergie solaire pour ne plus dépendre des caprices du réseau électrique national, essoufflé par des décennies de mauvaise gestion et de corruption, est très attractive, assure M. Strydom, jeune homme de 28 ans né en pays zoulou, qui évoque une croissance démographique de +17% par an.
Pour M. Boshoff, 52 ans, petit-fils de Verwoerd et lui-même parlementaire de droite, les Afrikaners ont rêvé et créé Orania pour avoir un endroit à eux.
« Comme les tribus ou clans africains. Ici, chacun possède un lieu référence qui lui est propre », relève-t-il auprès de l’AFP, après son sermon du dimanche matin dans une des églises réformées de la petite ville.
Orania fonctionne en autarcie. Elle possède sa propre banque et monnaie, l’ora, dont le cours est égal à celui du rand sud-africain.
Et elle « fait désormais partie du paysage sud-africain », dédramatise M. Boshoff. De petits drapeaux orange-blanc-bleu ciel -les couleurs de l’ancien drapeau sud-africain – sont fièrement hissés sur les bâtiments en construction.
De vieilles bâtisses de style hollandais, aux murs blancs, côtoient des maisons en rangées, avec leurs jardins proprets. Des enfants se coursent à vélo, croisant des joggeurs du dimanche.
« Valeurs » partagées
Ranci Pizer, 58 ans, a quitté Pretoria il y a quelques mois pour s’installer ici. « Je peux exprimer ma propre culture. J’ai plus d’interactions sociales dans la rue, avec les voisins », explique cette ex employée des impôts.
Annatjie Joubert, 66 ans, productrice de noix de pécan, a aussi quitté la capitale politique en 2007 et apprécie le « style de vie beaucoup plus détendu ».
La résidence à Orania est accordée à l’issue d’un processus de vérification, notamment du casier judiciaire. « C’est comme un mariage, les deux parties doivent être prêtes à s’assister mutuellement », note M. Strydom.
Rien à voir selon lui avec une « re-création ou un retour désespéré à l’apartheid ».
D’ailleurs rien n’empêche théoriquement des non-blancs dont la langue maternelle est l’afrikaans (comme beaucoup de « coloured », la catégorie des métis identifiée sous l’apartheid) de postuler. « A ce jour, nous n’avons reçu aucune demande », note M. Boshoff avec le plus grand sérieux.
« Orania est destinée à des Afrikaners qui partagent les mêmes valeurs », insiste Joost Strydom.
Pour Sandile Swana, expert en gouvernance municipale, la création de villes privées comme Orania n’a rien d’inhabituel. Vous allez en voir d’autres », assure-t-il, « mais la spécificité ici est qu’ils ont choisi leur origine ethnique et propre culture » comme condition préalable.
Une petite maison sans prétention a reçu en 1995 la visite de Nelson Mandela, premier président noir du pays. Il était venu boire le thé avec la veuve de Hendrick Verwoerd, cherchant inlassablement à réconcilier une Afrique du Sud meurtrie et divisée.
En haut d’une colline, s’expose une collection de statues abandonnées après la fin de l’apartheid par de nombreuses communes. « L’histoire afrikaner est presque criminalisée », se désole M. Strydom, fier qu’Orania puisse les préserver.