Si dans le courant des années 2000, l’Afrique dite francophone avait moins senti la présence (militaire) française, celle diplomatique était toujours en vigueur et donnait le tempo aux relations entre l’Élysée et les différents palais africains. Et pour cela, il avait fallu toute la maestria de Jacques Chirac qui avait grandi sous l’aile protectrice d’un autre Jacques, Foccart celui-là mais également, la présence de chefs d’état africains résolus à apporter une rupture nette sur les relations. On pouvait noter Abdoulaye Wade au Sénégal, Alpha Oumar Konaré au Mali , Mamadou Tandja au Niger, Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, etc….
La France a toujours été au centre de l’activité diplomatique africaine mais, cela s’est accentué vers la fin des années 2010 quand les composantes de sa chasse gardée avaient commencé à diversifier leur coopération avec la Chine, la Turquie, l’Inde, etc…, qu’elle l’ait voulu ou pas. Les multiples enlèvements de citoyens français au Sahel et l’assassinat récemment des militants humanitaires dans le sud-ouest du Niger dimanche 9 août, rappelle que lorsqu’un pays veut être à la pointe de tous les combats dont la lutte contre le terrorisme, ses ressortissants sont par ricochet particulièrement visés par les agressions et actes terroristes.
Si l’on ne connaît pas encore les circonstances exactes de l’attaque mortelle contre les ressortissants français (était-ce un acte crapuleux fortuit ou un guet-apens fomenté par des terroristes qui auraient été informés par des complicités au sein des populations locales), le fait est que la France est évidemment visée compte tenu de son rôle essentiel dans l’opération Barkhane au Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad).
En 2012, après ses déboires en Côte d’Ivoire un an plutôt suite à l’intronisation de Alassane Dramane Ouattara, la France profite de l’invasion du Mali pour être à la pointe de la lutte contre le terrorisme
Les séquelles de l’intervention française jusque dans le bunker présidentiel pour déloger Laurent Gbagbo et le remettre aux nouvelles « autorités » ivoiriennes étaient encore dans tous les esprits quand la France a pris la direction de la lutte contre le terrorisme. Malgré l’opposition de plusieurs gradés de l’armée malienne dont le Capitaine Amadou Haya Sanogo, le tombeur du président Amadou Toumani Touré. L’éphémère président malien avait déclaré à ses compatriotes « Si nous acceptons la présence d’une armée étrangère, le Mali ne s’en sortira plus. Regardez ce qui se passe au Liban depuis 1973 ». Aujourd’hui, les faits semblent donner raison à l’officier.
La France constitue la cheville ouvrière de ce regroupement destiné à éliminer les forces terroristes dans cette partie de l’Afrique. Toutefois si des succès ont été enregistrés, force est de constater que cette opération semble marquer le pas. Trop de militaires jusqu’à présent y ont laissé la vie sans que l’on puisse tirer un vrai bilan indépendant coûts/avantages de cette intervention qui tente de rallier d’autres pays plus ou moins réticents à s’y engager, notamment l’Allemagne qui avait refusé précisément de prêter son concours à l’opération dite “Takuba” qui devait intensifier les activités de Barkhane dans la région.
Pourtant, en démantelant la Libye de Mouammar Khadafi, Paris savait bien les risques d’instabilité que cela allait causer dans la sous-région. Mais, n’était-ce pas le but visé ? Incendier et venir au secours
Hormis le Président Abdoulaye Wade du Sénégal, la majorité des chefs d’état africains avaient tiré sur la sonnette d’alarme quand Nicolas Sarkozy le président français avait décidé de rayer de la surface de la terre le guide libyen, Mouammar Khadafi. Le tchadien Idriss Deby y par exemple, avait tenu l’Élysée responsable de l’imminence d’une prolifération des armes et des groupes armés dans tout le Sahel.
Mais, à priori, Paris avait déjà ourdi son plan de déstabilisation de la sous-région et , enfin de pouvoir revenir au premier plan au plan militaire au moment où Washington à travers AFRICOM, la Russie avec plusieurs accords militaires bilatéraux et Ankara et Pékin, faisaient montre d’un intérêt grandiose pour l’Afrique de l’Ouest. Hé oui, la nature avait doté cette partie du continent d’immenses richesses naturelles mais surtout, d’un positionnement stratégique que toute puissance aimerait contrôler.
Au risque d’éveiller davantage le sentiment français, Paris avait décidé de « remettre au pas » son pré carré ouest africain. La mise en place et le contrôle de parité de la monnaie commune l’ECO y est pour beaucoup sans compter le commerce florissant des armes, l’une des premières sources de revenus du Trésor français
Pour les stratèges du Quai d’Orsay et de l’Hotel de Brienne, siège du ministère de La Défense, le risque de développer le sentiment anti français en valait la peine si Paris voulait continuer d’être « l’indispensable » partenaire. Après ces meurtres sauvages et la mort de trop nombreux militaires français (presque 50 depuis le début de l’opération Barkhane), la France ne peut plus faire l’économie d’un bilan sérieux de cette opération sous la supervision du parlement pour envisager les suites à donner à cette intervention miliaire.
Contrairement à ses prédécesseurs, le président Emmanuel Macron s’est érigé en proconsul du Sahel. D’ailleurs, à chacune de ses visites dans l’un des pays de la sous-région, ses propos et ses injonction politiques ont été mal acceptés et regardés comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures du pays visité. Que ces pays soient corrompus est une vérité. Qu’un chef d’État étranger prenne partie avec la population contre le gouvernement a constitué une maladresse qui aurait pu tourner à la crise diplomatique sous d’autres cieux.
Pendant tous ces déplacements en Afrique de l’Ouest, le chef d’état français s’est en l’espèce conduit comme un proconsul portant injonction d’opérer des réformes en annonçant son retour sur place plus tard pour valider les avancées.
Pour faire bonne figure, Paris avait même accepté de financer et d’équiper la lutte anti terroriste en aidant à mettre en place le G5 Sahel. Mais, force est de reconnaître que ce « machin » est plombé face à la toute puissance de Barkhane, une autre force, très française celle-ci.
Le G5 Sahel avait pour vocation initiale de lutter contre le terrorisme mais il comportait aussi un volet développement économique et durable qui jusqu’à présent a les plus grandes difficultés à se concrétiser sur le terrain. Le conseil de sécurité des Nations-Unies a récemment tiré la sonnette d’alarme en attirant l’attention de la communauté internationale sur l’augmentation du risque sécuritaire et humanitaire dans cette partie de l’Afrique. Par ailleurs, les gouvernements de ces États, dont certains sont minés par la corruption, manquent cruellement de structures administratives et judiciaires, ce qui rendra très difficile l’enquête sur ces meurtres. Enfin, l’action de la France continue à être perçue par une partie de la population et des gouvernements comme une politique néo-colonialiste attisant le sentiment anti-français qui s’est développé sur place depuis un certain temps, notamment lors du sommet du G5-Sahel de Pau au mois de janvier 2020, des manifestations ayant eu lieu notamment contre la France au Burkina Faso et au Mali.
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