L’ex-ministre de la Santé raconte comment l’exécutif a minoré ses alertes sur le Covid-19, oubliant parfois de la recevoir pour entendre ses inquiétudes.
Agnès Buzyn se démasque. Presque trois ans après l’éruption du Covid-19, et après deux ans de diète médiatique, l’ancienne ministre de la Santé, aux affaires lorsque la crise a éclaté, se livre dans le Monde. Sans concession. Mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » dans sa gestion de l’épidémie (ce à quoi Édouard Philippe a échappé), l’hématologue de profession n’est pas tendre avec ceux qui, estime-t-elle, n’ont pas pris ses alertes au sérieux.
Sur le banc des accusés : Emmanuel Macron et Édouard Philippe. Le quotidien du soir a eu accès au journal de bord – 600 pages – que tenait la médecin de profession au plus fort de l’épidémie. Agnès Buzyn y raconte comment l’exécutif a minoré ses alertes, oubliant parfois de la recevoir.
Symbole de ces difficultés, elle dit avoir envoyé un message rude à Édouard Philippe à la mi-mars 2020. En ces termes : « Édouard, vous êtes en dehors de la plaque, et si tu as encore confiance en moi, prenez une décision de confinement car nous avons quinze jours de retard. » « Je ne perds pas mes nerfs, je suis lucide depuis des semaines et, derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont mourir », poursuit dans sa missive, celle qui vient de finir troisième du premier tour des municipales à Paris.
Buzyn accuse Macron et Phillippe d’être restés sourds
Dès l’apparition du virus à l’autre bout du monde, dont Agnès Buzyn dit avoir compris les enjeux relativement tôt, le chef de l’État et son Premier Ministre sont sceptiques. « Bien sûr, c’est facile de dire après ’j’avais tout vu’. Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle », résume-t-elle aujourd’hui dans le quotidien où elle avait qualifié, en mars 2020, les municipales de « mascarade » et de l’épidémie de « tsunami » à venir. Une sortie qui avait crispé la majorité.
Le journal de l’ancienne ministre commence bien avant, le 25 décembre 2019. En vacances, Agnès Buzyn demande au directeur général de la santé, Jérôme Salomon de « suivre » des informations qui font état d’une poignée de cas de pneumopathie inexpliqués en Chine. Après avoir mis en branle son ministère, elle parle de la situation au couple exécutif pour la première fois le 11 janvier. L’épidémie n’a fait qu’un mort en Chine et les médias français parlent essentiellement de la réforme des retraites et des municipales.
« Je n’avais pas l’impression d’être entendue », raconte l’ancienne ministre au Monde, quand, à la mi-janvier, elle tient informés le président et le Premier Ministre des progrès de l’épidémie, d’abord en Chine puis en France. Et de nuancer, malgré tout : « À chaque fois que j’ai réclamé à Édouard une réunion de ministres, je l’ai eue. Ça ne voulait pas dire qu’il croyait à mes scénarios, à mes angoisses, mais nous avons travaillé main dans la main. »
C’est, semble-t-il, un peu plus tard que les choses s’emballent et se corsent. Fin janvier, les messages d’Agnès Buzyn à Édouard Philippe et Emmanuel Macron se font « insistants », explique Le Monde. « Je suis à votre disposition pour faire un point de situation quand vous le souhaitez », écrit-elle notamment à Emmanuel Macron, le 25, en critiquant l’avis de l’OMS qui vient, à ce moment-là, de refuser de déclencher une alerte mondiale sur le Covid-19. Personne ne la rappellera.
Forcée de quitter le navire
Moins d’une semaine plus tard, le 30 janvier 2020, Agnès Buzyn exprime directement à Édouard Philippe ses doutes quant à la tenue des élections municipales. Le même jour, la ministre de la Santé demande, à nouveau, une audience à Emmanuel Macron pour lui rendre compte de la situation. « On fait ça demain sans problème », répond le président, après minuit, toujours selon le récit de la ministre, relayé par Le Monde. « Il fallait commencer à préparer l’opinion publique », explique-t-elle aujourd’hui. « Mais je n’arrivais pas à avoir de rendez-vous. »
« Je n’aurais jamais dû partir. À la santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment »
Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé
L’entretien attendra plus d’une semaine, quand Emmanuel Macron l’appellera le 8 février alors qu’elle est au cinéma avec son mari. Elle quittera son poste moins de dix jours plus tard, pressés par tous de remplacer Benjamin Griveaux qui vient d’abandonner la course à la mairie de Paris.
« J’ai tenté de résister, mais la pression était trop forte », raconte-t-elle au Monde, alors qu’Alexis Kohler, le plus proche collaborateur d’Emmanuel Macron aurait exigé qu’elle précise quitter le gouvernement « à [sa] demande ». « Je n’aurais jamais dû partir. À la Santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment », siffle encore Agnès Buzyn alors qu’elle n’a cessé, après, de demander au gouvernement de décaler les élections. Elle sera entendue, uniquement pour le second tour.