Un an après l’explosion du port de Beyrouth, la capitale libanaise commémorait mercredi 4 août le drame qui a fait plus de 220 morts, des milliers de blessés et détruit une très large partie de la ville. Pour rendre hommage aux victimes, des dizaines des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Beyrouth pour observer une minute de silence, puis crier leur colère. Car un an plus tard, aucun des responsables présumés n’a pour l’instant été traduit en justice. Les manifestations se sont rapidement transformées en émeutes à Beyrouth.
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Avec notre correspondant à Beyrouth, Noé Pignède et notre envoyé spécial, Nicolas Falez
Devant l’enceinte du Parlement libanais, les manifestants jettent des pierres sur les forces de l’ordre, qui répliquent par une pluie de gaz lacrymogène. La place est noire de monde et la colère est vive.
Pour, Oliver, les yeux rougis par la fumée, le message de la police est clair : « Foutez le camp, c’est ce qu’ils nous disent. Mais on ne partira pas, le but est d’aller au Parlement, parce que c’est la source de la corruption. Ils lancent des bombes un peu partout et donc il n’y a plus un endroit sécurisé, c’est partout la même chose. Il faut que la France arrête de vendre au gouvernement libanais des bombes à gaz et commence à envoyer au peuple les masques. »
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Les responsables de l’explosion en ligne de mire
La foule court dans tous les sens, au rythme des charges de la police anti-émeute. Mais pour les manifestants comme Brouna, pas question de quitter le cortège. En première ligne, elle appelle à l’action violente contre la classe politique. « C’est une action comme les autres, explique-t-elle. Il n’y a pas d’autre choix. Tous les gens qui n’ont pas protégé le Liban doivent aujourd’hui partir. Et comme ils ne veulent pas partir, on leur souhaite la mort. On a été patients, ça fait un an. On nous a promis la vérité, on n’a toujours pas de réponse. »
D’après la Croix-Rouge libanaise, ces affrontements ont fait plusieurs dizaines de blessés côté manifestants. Mais ces militants l’assurent, ils continueront le combat coûte que coûte, jusqu’à ce que les responsables de l’explosion du 4 août soient derrière les barreaux.
Des tirs de grenades lacrymogènes pour faire le vide sur la place des Martyrs. Les manifestants qui se dirigeaient vers le Parlement libanais se replient en courant au milieu du ballet des ambulances qui évacuent les blessés…
♦ Des divergences au sein de la population
Au-delà du recueillement, de la tristesse et de la colère, les Libanais ont affiché leurs divergences dans ce moment censé rassembler un peuple frappé sans distinction par le malheur, rapporte notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh. Ces divergences se sont manifestées dans la couverture médiatique de l’évènement, dans les déclarations politiques et sur les réseaux sociaux.
Pour le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, « au-delà du deuil », la journée de mercredi a été marquée par « le sursaut de Beyrouth ». Les reportages publiés par le journal donnent la bonne part aux slogans hostiles au président Michel Aoun et à son allié chiite le Hezbollah, brandis par une partie des manifestants. Le but de la mobilisation était de « réclamer justice et de faire renaître l’esprit révolutionnaire », écrit L’Orient-Le Jour.
Ce n’est pas l’avis du quotidien Al-Akhbar, proche du Hezbollah, qui regrette que le parti chrétien des Forces libanaises, proche de l’Arabie saoudite, ait « fait main basse sur la commémoration du drame du port ». Le journal écrit que des forces politiques ont exploité cet événement dans le but de provoquer « une discorde visant le Hezbollah » en brandissant des slogans accusant le parti chiite et son sponsor iranien de la responsabilité du « crime du port ».
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Farès Souhaid, un ancien député farouchement hostile au Hezbollah, a tweeté que « la fin de l’occupation iranienne commence par la démission du président Michel Aoun ». Pour Ali Khreiss, député du mouvement chiite Amal, « l’exploitation du sang des victimes pour servir des plans douteux est inadmissible ».
♦ La Conférence de soutien au Liban, un soulagement pour la population
Les commémorations ont coïncidé avec l’organisation à l’initiative de la France et de l’ONU d’une Conférence de soutien au Liban, qui a rassemblé 370 millions de dollars d’aide à la population libanaise, meurtrie par l’une des pires crises économiques au monde depuis 1850, selon la Banque mondiale.
Les résultats de cette conférence ont été globalement accueillis avec soulagement par une population qui manque de tout. Le quotidien An-Nahar, proche de l’opposition et des pays occidentaux, souligne le niveau élevé des participants avec notamment les présidents français Emmanuel Macron et américain Joe Biden.
L’Orient-Le Jour a mis en exergue les propos du président français qui a martelé qu’il n’y aura « pas de chèque en blanc à un système politique « qui mise sur le pourrissement » ». Pour Al-Akhbar, la conférence a établi le plan de travail exigé par la communauté internationale du prochain gouvernement libanais.