Après 60 ans d’indépendance, on se comporte comme des pays qui n’ont pas les moyens de leur développement

Paris a abrité hier le sommet sur le financement de la relance des économies africaines. Une vingtaine de chefs d’Etat ont ainsi répondu à l’appel pour discuter de la relance économique du continent qui, en 2020, a connu sa première récession depuis vingt-cinq ans et qui devrait enregistrer une croissance plus faible que les pays développés lors des trois prochaines années. Interpellé sur cette question, l’économiste et enseignant à l’UCAD Meïssa Babou a salué la proposition consistant à abandonner les DTS en faveur des pays africains. Pour autant, il pense que l’Afrique devrait avoir ses propres mécanismes pour gérer de telles situations.

«L’AS» : Un sommet s’est tenu à Paris sur le financement de la relance des économies africaines fortement impactées par la crise liée à la Covid-19. Pensez-vous que les problèmes du continent seront solutionnés à l’issue de cet évènement ?

Meïssa BABOU : La problématique du financement de cette relance est là. Les options étaient diverses. D’abord, compter sur des ressources intérieures qui sont devenues extrêmement faibles avec la pandémie et la récession. Ensuite, miser sur les matières premières et les mines qui ont vu les cours s’effondrer avec l’arrêt des usines du monde. Enfin, faire recours à l’endettement. Et les pays sont dans une passe difficile avec un niveau d’endettement un peu exécrable. On ne pouvait pas aussi compter seulement sur la France qui n’a même pas les moyens de sa propre relance. La France fait partie d’une union qui a dégagé 750 milliards. Mais la France en tant que pays ne peut rien faire. Par conséquent, la trouvaille des Droits de tirage spéciaux (DTS) est peut-être une bonne solution. Mais cela reste à l’état de proposition. Parce que c’est la France qui a fait la proposition à un groupe de pays, le G20. Et il faudrait que ces pays acceptent ce principe d’abandonner des DTS en faveur des pays africains. Ce qui va naturellement augmenter l’assiette financière. Sous quelle forme, de dons, de prêts concessionnels, etc.? Mais dans tous les cas, c’est un début de solution pour le financement de cette relance-là.

Le Président Macky Sall considère que ce sommet sera une réussite si on parvient à établir un plan Marshall pour l’Afrique. Quelle lecture en faites-vous ?

On sent un peu de pessimisme dans le discours du Président Macky Sall. Comme quoi effectivement, il faudra aller convaincre les autres pour l’acceptation de l’abandon de ces DTS. C’est une bonne chose mais qui reste à l’état de proposition. Je pense que le chef de l’Etat comprend cela d’autant que l’annulation de la dette n’a pas été considérée comme une solution. Beaucoup de pays ne sont pas d’accord sur cela. Donc, il a bien raison de dire qu’il faut un plan Marshall pour l’Afrique. Pour solutionner tous ces problèmes, il nous faut aller vers un changement de paradigme dans la vision ; essayer de produire davantage et de transformer nous-mêmes. Mais cela demande une réorientation de toutes ces politiques qui ne sont pas du tout une garantie pour préserver notre sécurité à tous les niveaux.

Est-ce qu’on ne devrait pas avoir honte, après 60 ans d’indépendance, de partir en France pour trouver des solutions à la relance des économies africaines, alors que des mécanismes africains solides pourraient changer la donne?

Oui, à partir de l’Union africaine (UA), on pouvait s’attendre, peut-être, à une réunion de cette nature pour regarder à l’intérieur ce qu’on peut faire. Mais à l’observation, l’Afrique, c’est un conglomérat de pays pauvres, endettés dont les politiques sont extrêmement mal orientées parce qu’extraverties. Par conséquent, oui, c’est une honte, après 60 ans d’indépendance, qu’on se comporte comme des pays qui n’ont pas les moyens de leur développement. Pourtant, nous sommes des pays extrêmement riches de notre sous-sol, de nos ressources humaines ; mais mal pilotés. Tout le regret est là. Il nous faut aller dans le sens d’un développement inclusif par une meilleure orientation des investissements au lieu de nous focaliser sur des infrastructures quine sont pas une demande sociale comme le TER et le BRT à l’image du Sénégal. Plus de 1 500 milliards engloutis comme ça qui pourraient servir quand-même à endiguer le modèle d’importation dans lequel nous sommes pour une autosuffisance alimentaire, une autosuffisance en termes de productions mêmes scolaires. Nous sommes encore dans une passe difficile dans tous les secteurs d’activité. Et le problème, c’est nous.

Avec l’AS