Lors de la précédente campagne de commercialisation de l’arachide, le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural avait donné le feu vert à la Sonacos pour revendre vingt mille tonnes d’arachides à des privés étrangers, sur sa collecte qui n’atteignait pourtant que 28 mille tonnes ! Hélas, un document officiel et confidentiel faisant état de cette approbation par ledit ministère a fuité, créant un tollé au sein des producteurs sénégalais qui voient, dans cette décision, une arnaque de la Sonacos sous la couverture du ministère de l’Agriculture. En effet, d’après les producteurs, l’huilier national achète leurs graines à vil prix tout en les cédant aux prix fort à des clients étrangers. Ce qu’ils qualifient de « détournement d’objectif » en ce sens que ces graines sont destinées à la trituration. Donc à faire tourner l’industrie sénégalaise. Il s’y ajoute, selon des acteurs de la filière interrogés, que la Sonacos a cédé cinq cents tonnes de graines à des privés nationaux dont un établi à Dakar, d’où « l’instauration d’une concurrence déloyale entre les opérateurs ». Ainsi, les producteurs sénégalais menacent de porter cette affaire devant l’Organisation mondiale du commerce et mettent en garde le ministère de l’Agriculture contre tout renouvellement de cet agrément qui a permis à la Sonacos d’exporter « injustement » une bonne partie de la production nationale qu’elle aurait dû triturer elle-même !
Cela est passé inaperçu. La Sonacos, malgré une faible quantité de graines collectées la saison dernière, 28 mille tonnes seulement, a revendu vingt mille tonnes aux exportateurs. Si cela ne s’est pas su c’est parce que, nous informe-t-on, l’huilier national avait « voulu garder le secret puisqu’il sait que c’est indécent d’agir de la sorte ». Ce n’est qu’après avoir accompli cet acte avec la complicité du ministère de l’Agriculture qui l’a autorisé, en date du 22 Mai 2020, d’exporter une telle quantité de graines décortiquée que le « deal » a été dévoilé.
Nos interlocuteurs voient d’ailleurs dans ce choix de revendre des graines destinées à l’industrie nationale, une « campagne camouflée visant à tuer le paysan sénégalais ». En effet, expliquent-ils, « la Sonacos achète à un prix bas et revend plus cher, donc c’est une arnaque puisque la politique de la Sonacos n’est pas de concurrencer les producteurs, mais de créer les conditions de leur faciliter l’écoulement de leurs graines ».
En effet, souligne le Sg de l’Association des agriculteurs du bassin arachidier, Cheikh Tidiane Cissé, « le ministère de l’Agriculture n’aurait pas dû signer cette autorisation qui ne reflète que la volonté de la Sonacos de noyer les agriculteurs sénégalais ». Dans le même sillage, il explique que si l’autorisation a été cachée au grand public, c’est parce que le ministère de l’Agriculture sait que c’est indigne de revendre des graines achetées à de pauvres paysans à des prix très bas pour les exporter au profit des exportateurs privés principaux concurrents des paysans sénégalais.
Fort de ce constat, les acteurs de la filière arachidière, notamment les agriculteurs et opérateurs sénégalais mettent le ministère de l’Agriculture en garde contre toute décision d’autoriser à nouveau une commercialisation de graines par la Sonacos. Aux yeux de ces producteurs, en effet, il est incompréhensible qu’un ministère qui promeut la relance de l’agriculture puisse prendre une telle mesure au moment où le paysan souffre car ne trouvant pas une meilleure offre auprès de la Sonacos. Laquelle cède ses graines à des prix élevés après avoir payé un prix aux producteurs très faible.
« Si la Sonacos veut exporter nos graines, elle a intérêt à nous l’acheter à un prix raisonnable… »
Certains paysans mettent toutefois de l’eau dans leur « bissap ». En effet, ils disent ne pas être totalement contre cette politique d’exportation de graines par la Sonacos. Ce qu’ils disent attendre de la tutelle, c’est de créer les conditions de permettre à l’huilerie nationale de faire une bonne offre lors des campagnes de commercialisation de la graine. Ce qui reviendrait à créer les conditions pour que la Sonacos s’enrichisse au même titre que les producteurs sénégalais. C’est en tout cas l’avis d’un certain nombre de responsables d’organisations paysannes dont ceux du Syndicat des agriculteurs, éleveurs et maraichers du Sénégal.
Ils menacent de durcir le ton si toutefois la Sonacos s’arroge le droit de détourner leurs graines vers les marchés étrangers. Surtout que, soutiennent-ils, « cette saison est mal partie avec les 250frs/Kg proposés par la Sonacos au tout début de la campagne même si ce prix a été revu à la hausse sans que l’huilerie nationale ne soit présente pour acheter nos graines ».
« Nous n’excluons pas de porter l’affaire devant l’OMC… »
D’autres organisations paysannes n’excluent pas de porter cette affaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’il advenait que le ministère de l’Agriculture donne le feu vert de nouveau à la boite dirigée par Modou Diagne Fada pour exporter ou vendre des graines en l’état sur le marché national.
Les membres de l’Association des agriculteurs du bassin arachidier menacent d’ailleurs carrément de saisir l’Organisation mondiale du commerce car, estiment-ils, « la Sonacos nous fait une concurrence déloyale parce que simplement elle revend également nos graines à des privés implantés ici au Sénégal ». A preuve, selon « Aar Souniou Momél », la Sonacos avait vendu 500 tonnes de graines d’arachide décortiquées à la structure KTS-Khoudane trading services, basée au Point E, rue de Fatick X Tamba, Dakar.
Au final, retenons qu’en plus de ces organisations citées nommément, d’autres sont d’avis que l’exportation des graines des producteurs d’arachides vers l’étranger est un coup dur porté à notre agriculteur.
La Sonacos défend sa position
D’après la Sonacos, cette autorisation n’est pas un secret car, en réalité, l’année dernière, elle avait une quantité de graines insuffisante pour faire tourner ses machines. En effet, dit la direction de la Sonacos, si toutefois cette quantité était utilisée, les unités industrielles n’auraient fonctionné que quelques jours avant de s’arrêter complètement. Ainsi, selon toujours la direction, cette stratégie de revendre les graines permet de payer les salariés de la boîte et assurer d’autres dépenses de fonctionnement. Le restant de cette faible collecte est en phase d’être décortiqué dans le cadre de la production de cette année…
Le Témoin