Employé au consulat général de France à Jérusalem, Romain Franck a été inculpé le 19 mars pour « trafic d’armes avec circonstances aggravantes ». L’acte d’accusation du chauffeur français, dont RFI a a pris connaissance, détaille ce trafic, sans pourtant livrer tous les secrets de cette affaire crapuleuse aux contours flous.
De notre correspondante à Jérusalem
Pendant plus d’un mois, les autorités françaises et israéliennes ont gardé le silence sur l’arrestation de Romain Franck, le 15 février dernier. Ce jour-là, le chauffeur, employé au consulat général de France à Jérusalem, s’avance dans le terminal frontalier d’Erez qui marque la frontière entre la bande de Gaza et Israël, au volant d’une voiture blindée aux plaques consulaires. Sous les yeux médusés des diplomates français présents, le jeune homme de 24 ans est alors arrêté par le Shin Beth, le service de sécurité intérieure israélien. Soupçonné de convoyer des armes entre Gaza et la Cisjordanie à l’insu du consulat, il avoue le soir même selon plusieurs sources palestiniennes et françaises.
Un scénario bien rôdé
Après quatre semaines d’interrogatoires menés par le Shin Beth, Romain Franck est inculpé pour « trafic d’armes avec circonstances aggravantes » par le tribunal israélien de Beer Sheva. Un trafic détaillé dans l’acte d’accusation que RFI a pu consulter. Selon ce document judiciaire, entre le 21 décembre 2017 et le 12 février 2018, Romain Franck aurait transporté au total 70 armes de poing et deux fusils automatiques en échange de commissions, en suivant un scénario bien rôdé.
Sur ordre d’un certain Muhammad Jamal al-Khaldi, Zuheir Abadeen, un employé du centre culturel français de Gaza remet à chaque fois un paquet d’armes « de type inconnu » et emballées dans du plastique à Romain Franck. Le paquet est placé dans la voiture du consulat qui traverse sans encombre le point de passage d’Erez. Une fois à Jérusalem, l’employé du consulat transfère le colis en question dans son véhicule personnel. Direction, Ramallah, le siège de l’Autorité palestinienne, où les armes sont remises à des contacts du mystérieux Muhammad Jamal al-Khaldi. A charge pour les trafiquants de les revendre ensuite en Cisjordanie.
Transporter des armes hors de la bande de Gaza peut paraître incongru. Car l’enclave palestinienne, gouvernée de facto par le Hamas qui prône toujours la résistance armée contre Israël, est soumise à un blocus sévère depuis plus de dix ans. Les célèbres tunnels de contrebande sont régulièrement détruits par l’Egypte ou Israël. Mais selon une source proche des services de sécurité palestiniens ce trafic peut sembler logique : « les armes sont plus abordables dans la bande de Gaza et elles peuvent donc se revendre plus cher en Cisjordanie où, en raison du contexte politique incertain, les gens s’arment pour se protéger, car ils ont peur de l’avenir. » Ce qui peut expliquer la rapidité avec laquelle elles sont écoulées en Cisjordanie. En quelques jours seulement, selon le document judiciaire.
A chaque convoyage, le nombre d’armes augmente. Un engrenage qui s’enraye le 12 février dernier. A cette date, selon l’acte d’accusation, Mohammad Sayyad, un agent de sécurité palestinien qui travaille également au consulat général de France à Jérusalem et ami de Romain Franck vole le sac contenant les armes. Un évènement aux circonstances encore floues, qui aurait pu précipiter l’arrestation du ressortissant français.
Une affaire crapuleuse sur fond de naïveté?
Le Shin Beth a conclu à un trafic motivé par l’appât du gain, écartant ainsi le lien avec une entreprise terroriste. Mais le montant des commissions déclarées, un peu moins de 4 500 euros au total, peut paraître bien dérisoire au regard des risques encourus par le volontaire international. Décrit par ses proches comme aimable et serviable, le jeune pompier professionnel originaire de la région lilloise avait l’habitude de jongler entre les petits boulots avant son arrivée à Jérusalem en janvier 2017. Selon l’une de ses connaissances en Israël, « les responsabilités qu’on a lui confiées à Jérusalem ne correspondent pas à son profil. C’est une personne trop volatile pour ce genre de mission. »
Son avocat israélien, Abed Abu Amir, qui s’inquiète des conditions de détention de son client, insiste sur la naïveté de Romain Franck : « S’il s’avère qu’il a fait quelque chose de mal, il ne fait aucun doute qu’il a été utilisé et manipulé », souligne-t-il en pointant du doigt les Palestiniens de Gaza en charge de ce trafic. L’acte d’accusation n’a pas encore révélé tous ses secrets, confie le conseil d’un autre prévenu, qui dénonce une procédure « basée uniquement sur des aveux. Pour le moment, il n’y a pas de preuves avancées par la police. Il semble que les armes en question n’ont pas été saisies ».
Selon la défense, le chauffeur n’a pas été pris en flagrant délit, car dit-elle, le véhicule diplomatique conduit par Romain Franck le 15 février lors de son arrestation ne contenait rien d’illégal.
Au cours de son procès qui pourrait durer au moins un an, le chauffeur sera également défendu par Frank Berton. Avocat de Florence Cassez ou plus récemment de Salah Abdeslam, ce ténor du barreau de Lille est devenu une référence dans les affaires impliquant des ressortissants français à l’étranger.
rfi