En amont de la campagne agricole qui s’annonce, le Forum civil est monté au créneau à travers une campagne de sensibilisation, pour alerter l’Etat sur son devoir de veille sur la qualité des semences livrées aux producteurs. Birahim Seck qui estime que tous les obstacles ne sont pas levés dans la chaîne de production, met l’Etat devant ses responsabilités.
M. Seck, le Forum civil a initié une vaste campagne de communication invitant l’Etat à distribuer dans la transparence des semences de qualité aux paysans. Votre message a-t-il été entendu ?
Cette question doit être appréciée par rapport aux différents acteurs qui interviennent dans le secteur. Les paysans ont été très réactifs et n’ont pas cessé de nous encourager dans notre démarche. Ils ne cessent de témoigner de leur satisfaction à l’endroit du Forum Civil qui a su mettre le doigt là où il fallait , selon eux.
Certains spécialistes, qui se sont rapprochés de notre organisation, ont aussi confirmé le diagnostic issu de la rencontre des sections du Forum Civil du bassin arachidier. Il y a aussi des acteurs du secteur qui nous appellent pour renforcer l’argumentaire du Forum Civil, surtout en ce qui concerne la nécessité de publier la liste des gros producteurs. Au regard de ces faits, nous pensons modestement que notre message a été bien entendu par les parties prenantes. En tout état de cause, le Forum Civil travaille dans la recherche d’impact plutôt que d’avoir simplement des résultats.
Le débat sur la nécessité de transparence dans la distribution des semences, intrants et matériels agricoles, est bien présent dans l’espace public. Le Forum Civil continuera sur cette lancée et sera toujours du côté des populations en plus d’alerter l’Etat pour la réalisation de la transparence dans ce domaine, conformément à l’axe 3 du PSE et en adéquation avec notre cadre stratégique.
En somme, nous pensons que nos préoccupations concernant la prise en charge correcte des besoins et intérêts des producteurs agricoles, commencent à trouver un écho dans le débat public.
Samedi prochain, 75.000 tonnes de semences seront distribuées aux paysans si l’on en croit le président du Comité de pilotage de la campagne agricole. Avez-vous été associé à ce processus ?
Il est vrai que nous n’avons pas encore fait la demande pour faire partie du Comité de pilotage. Nous ne manquerons pas de le faire dans l’avenir. Néanmoins, certains de nos membres sont présents dans certains comités de distribution. Au Forum Civil, le contrôle citoyen demeure permanent même en dehors des instances mises en place par l’Etat. C’est une obligation constitutionnelle pour tout citoyen de défendre les ressources du pays. C’est un travail qui incombe à tous les citoyens animés par un sentiment de protection des ressources nationales.
Nous pouvons penser que cette annonce est somme toute, un mode de réponse à nos interrogations.
Mais toujours est-il que ces réponses ne sont pas encore à la hauteur des attentes.
Nous sommes dubitatifs sur les possibilités actuelles du marché pour fournir 65 000 tonnes de semences certifiées.
Ensuite, nous ne pensons pas que les autorités aient pu réellement épurer la chaîne d’intermédiation prédatrice qui capte l’essentiel des ressources injectées dans le secteur agricole, pour les semences les engrais et le matériel agricole.
Enfin, nous ne sommes pas sûrs que ceux qui parlent actuellement au nom des producteurs soient les plus qualifiés pour parler en leur nom.
Concrètement, disposez-vous d’outils vous permettant de juger de la qualité des semences sur le terrain ?
Nous nous sommes fait l’écho des préoccupations et des informations que nos sections locales nous ont remontées.
Maintenant, c’est à l’Etat, qui quand-même a injecté et continue d’injecter des ressources très importantes, de se donner les moyens de contrôler qu’effectivement, les opérateurs ne fourguent pas du tout venant aux producteurs à la place de semences certifiées ou écrémées. Il est de la responsabilité de l’Etat de ne pas trahir sa volonté de rationaliser les ressources publiques mais, aussi d’être conséquent avec lui-même, pour ne pas sacrifier le monde rural qui ne cesse de souffrir de cette mauvaise politique de distribution des semences. La qualité des semences fait défaut : c’est une réalité. Donc, il appartient à l’Etat de se donner les moyens nécessaires de vérifier la qualité des semences souvent néfaste à la production agricole.
Ne pensez-vous qu’il est temps de supprimer les multiples intermédiaires qui se sucrent sur le dos des paysans en leur fourguant, au prix fort, des semences de très mauvaise qualité ?
Absolument. C’est d’ailleurs le sens de cette campagne d’information et de sensibilisation du Forum Civil, pour encourager l’Etat à s’inscrire dans un exercice de redevabilité pour qu’enfin, tous ses efforts en direction du monde rural arrivent réellement aux destinataires véritables. Et cela passe par un assainissement du secteur pour éliminer totalement les parasites qui se sucrent sur le dos des producteurs et de l’Etat. Nous avons l’impression que l’Etat est complice de cette situation qui ne cesse de perdurer.
Cependant, nous avons un préjugé favorable sur nouveau ministre de l’Agriculture (Ndlr : Moussa Baldé) qui disait le 29 avril 2019 à Kolda, qu’« il n’est pas question que du matériel agricole dorme dans les hangars, pendant que les paysans sont dans les champs ». Le Ministre de l’Agriculture avait ajouté qu’il allait « suivre personnellement ce processus et la même dynamique sera de mise en ce qui concerne les semences ». Nous le prenons au mot et nous mettons à contribution nos sections locales pour suivre le processus de distribution en partenariat avec les producteurs.
A y voir de plus près, y a-t-il réellement une volonté politique de faire des paysans des agriculteurs qui, regroupés en Gie, s’occuperaient de leurs propres semences ?
Nous ne pouvons pas dire que la volonté politique n’existe pas, mais tout semble indiquer que sa mise en œuvre est à parfaire car, comme dans bien des secteurs, nous nous heurtons à des problèmes de gouvernance qui commandent un changement de démarche plus inclusive concernant les acteurs. Et une des solutions, c’est d’organiser les producteurs en coopérative.
De façon plus englobante, nous réitérons ce que nos sections du bassin arachidier avaient préconisé comme solutions : assurer une plus grande transparence dans le processus de réception et de distribution des semences et des intrants agricoles ; assurer aux paysans des semences de qualité ; encourager les paysans à participer aux coopératives agricoles ; garantir une meilleure sélection et un meilleur contrôle des acteurs intervenant dans le secteur (gérants de Secco, délégués de quartier, chefs de village etc.) ; renforcer la présence de la société civile dans le processus, mettre en adéquation les lieux de distribution et la domiciliation des bénéficiaires, assurer plus de transparence dans le processus d’attribution des agréments ; protéger les paysans contre les racheteurs véreux présents tout au long du processus de distribution.
De façon plus spécifique, ces mesures requièrent l’implication rigoureuse du ministre en charge de l’Agriculture qui devra faire face à un système d’intermédiaires prédateurs à l’endroit du système de production agricole.
Pour finir, où en êtes-vous avec le scandale des mauvaises semences d’oignon que Tropicasem a fourguées aux paysans de la Vallée ?
Il faut tout d’abord féliciter le journal « Kritik » pour avoir révélé cette situation préoccupante qui s’est abattue sur certains producteurs d’oignon de la Vallée du fleuve Sénégal. L’alerte du journal nous a amenés à mettre en action notre section de Saint-Louis, qui a reçu un groupe de producteurs impactés. Au sortir de cette rencontre, des recommandations ont été formulées. Ainsi, des actions d’information ont été déployées. Nous avons eu écho que les responsables de Tropicasem et des responsables de l’Etat se sont déplacés sur les lieux pour échanger avec les impactés, qui ont informés notre section locale de Saint-Louis que des engagements ont été pris pour trouver une solution durable.
Nous restons optimistes que des solutions heureuses vont être trouvées entre l’entreprise Tropicasem et les producteurs touchés.