Le film a nécessité trois années de recherches et souvent le scénario de la fiction est entré en fusion avec la réalité. « Capharnaüm » représente un flamboyant plaidoyer réellement cinématographique en faveur des enfants maltraités, au Liban et dans le monde entier. Dix ans après le succès populaire de son premier film « Caramel », la réalisatrice libanaise Nadine Labaki est au Festival de Cannes en lice pour la Palme d’or.
envoyé spécial à Cannes,
C’est un film-fleuve sans répit, un tourbillon d’émotions, une ronde d’images avec une caméra qui bouge sans cesse. Quand les lumières de la salle se rallument, on a l’impression d’avoir rêvé. Dans Capharnaüm, on reste pendant deux heures à côté de Zain, un jeune garçon d’à peu près douze ans (incarné avec une empathie palpable par Zain Al Rafeea). Même ses parents ne se souviennent plus de sa date de naissance. Enregistrer le nouveau-né et faire des papiers auraient coûté entre 100 et 150 dollars. Un argent qu’ils n’avaient évidemment pas.
« Je souhaite porter plainte contre mes parents »
Composé comme un patchwork, le Capharnaüm de Nadine Labaki démarre avec un coup de poing : le jeune Zain arrive les mains menottées dans le dos au tribunal et répond à la demande du juge d’expliquer sa présence dans ces lieux : « Je souhaite porter plainte contre mes parents. » À la question pourquoi, il rétorque : « Pour m’avoir donné la vie. » Un scud envoyé à ses parents incapables de lui donner un peu d’amour et d’éducation.
Tourné caméra à l’épaule dans les rues, les souks et les taudis de Beyrouth – capitale d’un pays de 6,2 millions d’habitants ayant accueilli quatre millions de réfugiés – le film relève un double défi : être innovateur dans sa forme cinématographique et de raconter d’une manière inédite le sort des enfants abandonnés de la rue.
Le système derrière la misère
La dynamique du film, c’est comme un manège qui s’emballe, avec des forces centrifuges de plus en plus incontrôlables et insupportables. La mère paumée, le père autoritaire, le fils sale comme un pou et la fillette de 11 ans visiblement sur le point d’être vendue. Au début cela fait simplement pitié. Ensuite, on prend de la hauteur : la caméra filme à vol d’oiseau une mer de maisons de pauvres gens et on découvre le système derrière la misère. Et cela fait froid dans le dos.
La caméra bouge au rythme des bruits de la ville et de la musique instrumentale avec ses violons omniprésents. Nos yeux s’accrochent au personnage attachant du jeune Zain. « On n’existe pas », disent les parents, « on n’a pas de papiers. Nous sommes des moins de rien, des cafards. ». Leur seule chance de se faire un peu d’argent et d’avoir une bouche de moins à nourrir, c’est de marier leur fille à un homme du quartier qui pourrait être son père.
Être à la rue
Zain entre en guerre contre ses parents, quand il reçoit des coups au lieu d’une éducation à l’école. Et le mariage forcé de sa sœur bien-aimée fait exploser la cocotte-minute. Zain s’enfuit et découvre la misère d’être à la rue, à hauteur d’enfant : le pédophile qui rôde autour des jeunes garçons, une femme sans papiers éthiopienne prête à abandonner son bébé pour augmenter sa chance d’émigrer, la filière des passeurs, des couples à la recherche de bébés bon marché…
Jusqu’au bout, Capharnaüm reste un film à part, avançant par flashbacks, doté d’un message fort et porté pas seulement par l’extraordinaire personnage principal. Car pratiquement tous les rôles sont joués par des personnes dont la vraie vie est proche à celle de leur rôle. C’est le cas de Zain, mais aussi celui de sa sœur Rahil puisque la petite fille est également devenue orpheline pendant trois semaines du tournage. Un film-manifeste réussi, parce que le cinéma en sort grandi.