Ce 31 mai, Emmanuel Macron et Angela Merkel tiennent un Conseil des ministres franco-allemand, le 22e depuis sa mise en place. Il a lieu par visioconférence, pandémie oblige. Ce sera le dernier pour Angela Merkel qui quitte ses fonctions à l’automne après quinze ans à la tête de l’Allemagne. Hélène Miard-Delacroix est professeure à la Sorbonne et a publié chez Fayard « Ennemis hérédiaitaires ? Un dialogue franco-allemand ». Elle revient sur l’origine de ce Conseil franco-allemand.
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Olivier Da Lage: quelle est l’origine du Conseil des ministres franco-allemand ?
Hélène Miard-Delacroix : Le Conseil des ministres franco-allemand, c’est le résultat d’une décision qui a eu lieu le 22 janvier 2003. C’était à l’occasion des 40 ans de la signature du fameux traité de l’Elysée de 1963 que Charles de Gaulle et Konrad Adenauer avaient signé. L’esprit était de relancer et d’approfondir des dispositifs qui étaient déjà pensés en 1963, c’est-à-dire l’idée que l’exécutif français et allemand se rencontrent chaque fois que c’est nécessaire et au moins deux fois par an pour essayer de rapprocher les positions nationales.
On sait que ce qu’on appelle en France « le couple franco-allemand » est en concertation permanente. Mais là, c’est un petit peu formel comme exercice ?
Exactement. Et donc, cela vient de 2003 où on a eu l’impression que, une dizaine d’années après la réunification allemande, le couple franco-allemand – l’entente franco-allemande – s’était endormi voire affaibli et donc, il y avait une volonté de la part de Gerhard Schröder, l’Allemand, et de Jacques Chirac, le Français, de trouver un dispositif nouveau. Après, on peut le critiquer, en effet, aujourd’hui en disant, finalement c’est très formel, c’est une façon de réunir les ministres ensemble alors que le travail a été fait en amont. On peut le prendre aussi dans l’autre sens en disant, qu’à partir du moment où l’on sait qu’une à deux fois par an, il y va y avoir cette rencontre et que les différents ministres vont devoir rendre compte du travail qui a été fait en bilatéral chez eux, cela crée quand même une petite pression. Donc, il ne faut pas attendre du Conseil des ministres qu’il décide des choses, mais c’est plutôt, dans l’appareil de décision franco-allemand, un de ces dispositifs qui obligent un petit peu à ne pas oublier de travailler ensemble et de faire avancer les dossiers communs, qui ne sont – en général – pas très connus du grand public.
Ce que vous appelez « l’appareil franco-allemand », en France, les médias l’appellent « le couple franco-allemand », y compris dans sa dimension crise de couple. En allemand, on n’utilise pas du tout ce terme ?
En allemand, on utilise le terme de « tandem », voire de « moteur ». Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Quand, dans les médias, on parle du « couple franco-allemand », on le personnalise et là, cela marchait très bien depuis qu’Angela Merkel était au pouvoir, parce qu’on avait un homme – une femme. Ce qui fait le couple franco-allemand, ce n’est pas cette mise en scène quasiment main dans la main, des deux qui se téléphonent dès qu’il y a un problème, mais c’est tout ce que j’appelle, moi, « l’appareil franco-allemand », c’est-à-dire tout ce qui est invisible et qui est l’ensemble de ces réseaux, soit au niveau gouvernemental, mais aussi au niveau des Parlements et puis, sans parler bien évidemment de tous les différents dispositifs qui existent dans différents domaines, que ce soit universitaire, scolaire.. Et puis il y a les entreprises bien sûr.
Quinze ans de pouvoir, c’est long. En quoi Angela Merkel a-t-elle marqué de sa personnalité ce tandem, ce « couple franco-allemand » ?
En effet, Angela Merkel a une personnalité particulière. Elle avait d’ailleurs beaucoup troublé les Français par son côté un peu effacé, neutre, sans affect, n’utilisant pas de grands mots et ne faisant pas de grandes phrases. Peut-être est-ce cela qu’elle a apporté, c’est-à-dire une rationalité, un refus des grandes envolées. On peut le regretter en même temps en disant qu’à l’époque de François Mitterrand et de Helmut Kohl ou de Valéry Giscard d’Estaing et de Helmut Schmidt, il y avait non seulement une efficacité, mais il y avait aussi un discours franco-allemand qui encourageait et qui emmenait. Madame Merkel n’a pas eu ça. Elle est devenue francophile par nécessité, mais elle est moins tournée que ses prédécesseurs vers cet idéal occidental franco-allemand qu’avait porté déjà Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.