En Centrafrique, après sa lettre au président Faustin-Archange Touadéra, Danièle Darlan sort maintenant de son silence médiatique. L’ex-présidente de la Cour constitutionnelle, démise de ses fonctions lundi dernier par décret présidentiel, annonce qu’elle « tourne la page ». Elle ne retournera pas à la Cour constitutionnelle. Elle n’engagera pas non plus de procédures pour contester son éviction. En exclusivité pour RFI, Danièle Darlan répond ce matin aux questions de Clémentine Pawlotsky.
RFI : La semaine qui vient de s’écouler a été, on l’imagine, très intense, très chargée sur le plan émotionnel pour vous. D’abord, comment est-ce que vous allez ?
Danièle Darlan : Écoutez, je vais bien. Bien sûr, ça n’a pas toujours été facile, vous pouvez l’imaginer, mais bon, après quelques jours on arrive à intégrer et puis à digérer tout cela. Je pense qu’aujourd’hui, avec cette interview, je tourne la page de la Cour constitutionnelle.
Cela veut dire qu’à l’heure où on se parle, Danièle Darlan, même si vous contestez la légalité du processus d’empêchement définitif à votre encontre, vous considérez que vous n’êtes plus présidente de la Cour constitutionnelle de République centrafricaine ?
Absolument. Je conteste la façon dont j’ai été relevée de mes fonctions, mais je n’ai pas l’intention de retourner à la Cour constitutionnelle parce que j’ai tourné la page. Je ne peux pas rester à me morfondre, à dire : « Holala, holala ». Non, il faut que je tourne la page pour pouvoir avancer. En tant que présidente de la Cour constitutionnelle, j’ai pris pratiquement tous les coups, toutes les insultes, toutes les violences ; c’est comme ça, c’est le chef qui prend les coups, donc je les ai pris, je ne me suis jamais exprimée, je n’ai jamais répondu, et je pars la tête haute, je pars la conscience tranquille.
Danièle Darlan, il n’y a eu aucune déclaration, aucune réaction officielle de la Cour constitutionnelle depuis votre éviction lundi dernier, pourquoi ce silence ?
C’est vrai que je suis déçue, mais quelles ont été leurs motivations ? Peut-être qu’ils me le diront un jour, mais pour l’instant, je ne le sais pas du tout. Moi, j’avais quand même quelque chose à dire, je me suis dit en l’absence de déclarations de la part de mon équipe, de la part des juges, je vais quand même essayer de m’expliquer puisque le décret me vise moi. Vous savez que le décret a été diffusé et puis, je crois, deux jours après l’Inspection générale d’État s’est présentée à la Cour pour faire passer le service au vice-président, donc depuis, je ne me suis pas présentée à la Cour constitutionnelle.
Vous parliez à l’instant, madame Darlan, du vice-président. L’Inspection générale de l’État a placé jeudi Jean-Pierre Waboe à la présidence par intérim de la juridiction, selon vous Jean-Pierre Waboe aurait-il dû, ou pu, refuser cette passation, par solidarité avec vous ?
Cette passation de service n’avait pas lieu d’être. Pourquoi l’a-t-il accepté ? Il était venu me voir le matin, il m’en a parlé, je lui ai dit : « Je ne me présenterai pas à cette passation », mais par contre, j’ai ajouté : « En ce qui vous concerne, vous êtes libre, ça dépend de votre choix, de vous y présenter ou de ne pas vous y présenter. » Il a choisi d’aller et de faire cette passation de service. En tout cas, il m’assure, en ce qui me concerne, que ce n’est pas une trahison, on semble dire que c’est une trahison, mais il m’assure que ce n’est pas une trahison. Qu’est-ce qui l’a motivé ? Il n’y a que lui qui pourrait l’expliquer, mais moi, je ne lui en veux pas. Maintenant, c’est sa responsabilité et il assume la responsabilité de cela.
Du côté de l’opposition politique, le BRDC [Bloc républicain pour la défense de la Constitution, NDLR] a dit cette semaine qu’il ne reconnaissait pas la légitimité de Jean-Pierre Waboe en tant que président par intérim de la Cour constitutionnelle, est-ce que vous vous reconnaissez sa légitimité ?
Je reconnais sa légitimité en tant que vice-président de la Cour constitutionnelle, mais pas en tant que président. Et lui-même d’ailleurs, il sait actuellement qu’il est vice-président, assurant l’intérim du président. Donc moi, c’est comme ça que je le vois.
Danièle Darlan, il y a aussi votre carrière de professeure de droit qui prend fin après près de 40 ans d’exercice. Vendredi, vos collègues de la faculté de sciences juridiques et politiques de l’université de Bangui se sont réunis en assemblée extraordinaire, ils ont pris acte de votre mise à la retraite par les autorités. Est-ce que vous vous attendiez à cette décision ?
Non, je ne m’attendais pas à ce qu’ils prennent acte de ma mise à la retraite, et le fait qu’ils prennent acte, c’est comme s’ils reconnaissaient que tout avait été fait dans les règles, donc j’étais un petit peu surprise. Mais bon, ça ne change rien à la suite, je ne le conteste pas, il faut bien partir à la retraite à un moment donné. Ce qui me pose problème, c’est que j’avais un mandat au niveau de la Cour constitutionnelle. Normalement ce mandat se terminait en mars 2024, c’est ça qui me pose problème. Et je sais que le président de la République, son Excellence Faustin-Archange Touadéra, sait que je n’ai pas démérité mais il y a peut-être eu d’autres raisons qui ont fait qu’il a fallu me relever de mon mandat de la Cour constitutionnelle.
Est-ce que vous avez pu échanger avec lui depuis la lettre que vous lui avez adressée vendredi ?
Non, pas du tout, je ne veux pas le déranger. Mais si un jour nous avons l’occasion d’en parler, je pense que je serai vraiment disposée à le faire, d’autant que le président Touadéra sait que -contrairement à beaucoup-, chaque fois que je me suis trouvée en face de lui, je lui ai toujours parlé très très sincèrement, lui montrant les problèmes, les difficultés juridiques bien entendu, et j’ai toujours été très sincère, dans le sens de l’aider, d’aider l’exécutif, d’aider le législatif, surtout de promouvoir l’État de droit ; c’était ça ma préoccupation, donc je pense que j’ai fait de mon mieux même si j’ai pu dire parfois des choses qui peut-être n’ont pas plu, je ne sais pas.
Mais en tout cas, c’étaient mes convictions de juriste parce qu’à partir du moment où on essaie de tordre le cou au droit, ça s’enchaîne : d’abord énormément de contestation, ensuite une instabilité constitutionnelle, crise constitutionnelle, crise politique et ça nous mène où ? On ne sait pas. On a une histoire qui nous donne beaucoup de leçons, référons-nous à cette histoire, ayons la sagesse de penser au peuple centrafricain avant de penser à nous-même, tout simplement.