“China Cables” : Zhu Hailun, artisan de la “rééducation” des Ouïghours

La répression de la minorité musulmane des Ouïghours, dans la région chinoise du Xinjiang, a été largement mise en place par un homme : Zhu Hailun, selon des documents confidentiels révélés, lundi, par un consortium de journalistes d’investigation.
Il est omniprésent. Les “China Cables”, ces documents confidentiels du gouvernement chinois publiés par le Consortium international des journalistes d’information (ICIJ), lundi 25 novembre, démontrent le rôle central joué par Zhu Hailun, le numéro 2 du parti communiste au Xinjiang (territoire au nord-ouest de la Chine), dans la politique de répression de la minorité musulmane des Ouïghours.

C’est l’homme qui a approuvé le document le plus explosif des “China Cables” : le “manuel” d’organisation des camps de “rééducation”, ces centres où ont été internées plus d’un million de personnes, d’après les estimations de l’ONU. Ce mémo de 2017 dresse le portrait d’un système carcéral où les individus à “rééduquer” peuvent être retenus pour une durée indéterminée, sont placés sous une surveillance constante et soumis à un programme d’endoctrinement intensif.

Homme de terrain

Zhu Hailun a aussi paraphé les trois bulletins confidentiels décrivant la manière dont le système de surveillance électronique massif mis en place au Xinjiang permet de repérer les individus à placer dans les centres de rééducation. Ces documents décrivent des centaines de cas à travers la région où les forces de l’ordre sont invitées à procéder à des “arrestations” ou des “compléments d’enquête” concernant des personnes qui ont été prises dans le filet du vaste réseau de vidéosurveillance.

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Jusqu’à présent, cet apparatchik de 61 ans était resté dans l’ombre de Chen Quanguo, le représentant du PCC dans la région du Xinjiang. Cet homme à poigne, connu pour avoir “pacifié” le Tibet où il avait été en poste jusqu’en 2016, a été chargé de lutter contre la “menace terroriste” et aussi de mater les velléités indépendantistes de la minorité ouïghoure. À bien des égards, Chen Quanguo n’a fait que moderniser le dispositif de surveillance et de harcèlement policier appliqué avec succès au Tibet en intégrant des innovations technologiques comme la reconnaissance faciale.

Mais il lui fallait un connaisseur du terrain pour transformer sa vision d’un Xinjiang mis au pas. C’est le rôle dont a hérité Zhu Hailun, qui a mis en place l’appareil répressif imaginé par Chen Quanguo, à partir de 2016. “Chen Quanguo était l’incarnation du parti, mais Zhu Hailun est celui qui savait ce qu’il fallait faire, qui il fallait arrêter et comment procéder”, résume un homme d’affaires ouïghour en exil, interrogé par l’agence Associated Press (AP).

Zhu Hailun est arrivé au Xinjiang en 1975, dans le cadre d’un programme du régime qui incitait les jeunes cadres ambitieux du parti à vivre quelques années dans des régions plus reculées du pays. “Mais contrairement à la plupart de ses semblables qui revenaient rapidement dans leur ville d’origine à la fin de leur affectation, Zhu Hailun a choisi de rester au Xianjiang”, note l’ICIJ.

Il a lentement gravi les échelons du parti jusqu’à la fin des années 1990. Zhu Hailun s’est progressivement bâti une réputation d’efficacité et d’autorité. Il avait, notamment, l’habitude d’organiser des raids policiers en pleine nuit dans les villages ruraux à majorité musulmane pour assurer sa mission de maintien de l’ordre.

Penchant pour la politique du bâton

Des méthodes qui ne sont pas passées inaperçues à Pékin. Et lorsque les émeutes interethniques de 2009 ont éclaté à Urumqi, la capitale régionale, le régime a décidé de promouvoir ce fonctionnaire zélé au poste de chef du parti dans cette ville. C’était une décision inhabituelle, car “d’ordinaire, le PCC dépêchait dans les capitales régionales des hommes de Pékin pour leur donner une expérience de terrain à des postes en vue”, rappelle AP.

Peu après sa nomination, Zhu Hailun a organisé une vaste campagne de harcèlement par la police de la population musulmane locale qui, en un sens, préfigurait l’approche répressive prônée à partir de 2016 par Chen Quanguo.

Les deux hommes partagent donc un même penchant pour la politique du bâton. En 2017, Zhu Hailun a d’ailleurs tenu un discours très ferme devant des centaines de policiers. Il a appelé les forces de l’ordre à “charger leur fusil, dégainer leurs épées et frapper les terroristes [musulmans] avec force et brutalement”, raconte le quotidien hongkongais South China Morning Post.

Et alors même qu’il haranguait les forces de l’ordre, Zhu Hailun commençait, en parallèle, à superviser la construction des camps de “rééducation” destinés à tous ceux qui seraient pris pour cible.

Début 2019, Zhu Hailun a été mis à la retraite. Il a été élu à la tête du parlement régional, ce qui est considéré comme un cadeau de fin de carrière, note l’ICIJ. Son successeur, Wang Junzheng, un “jeune” loup de 56 ans, est considéré comme l’une des principales étoiles montantes du Parti communiste chinois.