KALIDOU KOULIBALY : « ON EST CAPABLES DU MEILLEUR COMME DU PIRE »
Défenseur central du Sénégal et pilier du Napoli, Kalidou Koulibaly parle de la sélection sénégalaise, de la Coupe du monde et de son parcours.
Te qualifiant de « phénoménal » , El Diez a déclaré il y a deux ans que tu étais devenu « le meilleur défenseur de Serie A » . Un constat qu’a confirmé le Centre international d’études du sport en début d’année, en te nommant meilleur défenseur des cinq grands championnats. Est-ce justifié à ton avis ?
Faire partie du top 5 mondial à mon poste, c’est un des objectifs que je me donne. Je suis conscient qu’il reste du travail, que rien n’est fait. Aujourd’hui, les gens parlent de moi, car ils voient les bénéfices de mon travail, mais pour moi ce n’est pas fini. Je veux encore grandir. Devenir meilleur.
Dans quel secteur as-tu progressé dernièrement ?
Je commence à marquer des buts. Pour un défenseur, c’est le plus dur. J’en ai mis cinq cette année, j’ai vraiment franchi un palier à ce niveau. L’année prochaine, on va viser plus.
Tu dis souvent que tu es « perfectionniste » . Qu’est-ce que cela implique ?
J’aime bien regarder les vidéos des matchs, pour voir les erreurs que j’ai commises. Voir ce que j’ai fait de bien, mais surtout ce que j’ai fait de mal, analyser les erreurs pour ne pas les refaire dans le futur. Ici, le coach et son staff sont très méticuleux, ils m’aident beaucoup sur ce point.
À la télé italienne, Maradona a aussi assuré que tu étais victime d’un forme de racisme plus silencieux en disant que si tu étais blanc, tu jouerais déjà pour le Real Madrid ou le FC Barcelone.
Ça, je ne sais pas. Chacun choisit les joueurs qu’il veut. Tu ne vas pas forcer les clubs à prendre un jouer à cause de sa couleur de peau. Moi, j’essaie simplement d’être irréprochable sur et en dehors du terrain, et après je laisse les dirigeants faire leur choix. Certains joueurs de couleur sont déjà dans les meilleurs clubs, et j’espère bientôt en faire partie. J’aurai peut-être d’autres pensées après ma carrière, mais pour l’instant, je préfère utiliser mon joker.
Tu as commencé à Metz.
Oui, grâce à Olivier Perrin, qui travaille maintenant à Génération Foot, au Sénégal. C’est lui qui m’a découvert à 13 ans. Quand j’ai quitté Metz, pour moi, c’était lui qui avait choisi de ne pas me garder. Dans ma tête, c’était lui le coupable, alors qu’il n’était pas le seul. Derrière, il est venu me chercher pour me dire qu’il voulait que je revienne. Je m’en souviens, il est venu à la maison, on avait mangé sénégalais, du Tiep Bou Dienn. C’est un coach qui me connaît très bien. Quand j’en ai besoin, je l’appelle tout le temps. Je ferais tout pour lui comme lui ferait tout pour moi.
Quel est le meilleur souvenir de tes années messines ?
Indéniablement la victoire en Gambardella. Je jouais avec tous mes potes, Yeni Ngbakoto, Bouna Sarr, Gaetan Bussman… Tous ceux de ma génération. Après les premiers tours, on joue contre Saint-Étienne chez eux. Un match très difficile, contre Faouzi Ghoulam je m’en souviens, on a gagné aux tirs au but. Pas mal. Derrière arrive Lyon. C’étaient les stars, Yanis Tafer, Clément Grenier, Enzo Reale, les cracks de l’année 1991, tout le monde les connaissait. On les tape à la maison. À ce moment, on s’est dit qu’on pouvait aller au bout. On a battu le Sochaux de Bakambu en finale aux tirs au but grâce à notre gardien Anthony M’Fa Mezui qui a fait des gros arrêts. À l’époque, on était tous fous, on avait du mal à réaliser.
Tu quittes alors le club pour aller à Genk…
C’était plus compliqué que ça. Quand on est descendus, Dominique Bijotat a été remplacé par Albert Cartier.
Dans son bureau, je lui dit que je suis prêt à rester en National pour remonter en Ligue 2, parce que je me dois de rendre quelque chose à mon club formateur. Derrière, il me nomme capitaine. Devant Gregory Proment qui revenait au club. Greg, moi, je le kiffais, quand j’étais au centre de préformation, c’était lui le capitaine. J’avais gardé cette image de lui. Il était trop fort. Premier repas : j’étais censé décider quand on se levait et quand on partait, tous ensemble. « Greg c’est toi qui décide maintenant. C’est toi le plus ancien » , je lui dis. « Non, Kouly, c’est toi le capitaine, le coach a décidé. » Et moi : « Je ne peux pas décider pour toi, je ne suis pas légitime. » On a eu une petite discussion en tête à tête pour arranger la situation et se projeter dans la saison. C’était un gars super humble. Mais le lendemain, les dirigeants me disent : « En fait, on a besoin d’argent, il faut qu’on vende des joueurs, tu es susceptible de partir. » Moi, je ne m’y attendais pas du tout, mais j’ai dit ok, pour le bien du club. Trois jours après, j’étais à Genk.
Quelles ont été tes premières impressions à la tanière ?
C’était presque comme si j’étais à la maison. Pour mon premier match, j’ai joué avec Kara directement. Dans le groupe, je connaissais déjà Diafra Sakho, Sadio Mané, Fallou Diagne de Metz, Kouyaté – on se voyait quand il était à Anderlecht. Khadim N’Diaye aussi m’a très bien accueilli.
Cet homme est connu pour être un simulateur hors pair. Le magazine France Football l’a d’ailleurs élu plus grand simulateur de l’histoire pour un croche-patte qu’il s’est lui-même administré à la CAN 2017, en tirant un six-mètres.
C’était contre l’Algérie, pour nous faire gagner du temps. Un beau geste technique. (Rires.) C’est un titre mérité.
Devant des figures comme Ravanelli, Busquets, Suárez et Rivaldo…
Khadim, le grand Khadim. Il est gardien en Guinée, à l’Horoya FC. Khadim le fou on l’appelle, mais c’est quelqu’un de très intelligent et de très important pour la sélection. C’est l’un des plus anciens, il est dans le groupe depuis 2010. Je le kiffe. Je l’ai souvent au téléphone, au moins une fois par semaine. C’est le meilleur, toujours des anecdotes, toujours des histoires à raconter. En sélection, il vient souvent dans ma chambre pour embêter Lamine Gassama. Je me souviens d’une fois où on a passé trois heures dans un couloir, il m’a raconté les lions, le passé de la sélection, les joueurs qu’il a connus. Il m’a fait comprendre ce qu’était le football sénégalais et la Ligue des champions africaine.
Il a récemment déclaré que le pire ennemi du Sénégal à la Coupe du monde serait le Sénégal.
Il a raison. On est capables du meilleur comme du pire. Il faut avoir confiance en soi, mais pas trop. Le Sénégal est connu pour son humilité, c’est dans nos racines, dans notre sang, donc ça il faut qu’on le garde. Dieu seul sait le destin qu’on aura. Travailler, travailler, travailler.
Un adversaire qui t’inquiète en particulier ?
Je respecte tout le monde, mais je n’ai peur de personne. Si tu te concentres trop sur un joueur, c’est peut-être l’autre qui va marquer. J’étudie l’équipe adverse en entier et je fais tout pour que personne ne marque.
Si on analyse un peu le style de jeu de la sélection, on voit que vous imposez un pressing très haut pour gêner la relance adverse et forcer les longs ballons. Charge à toi et Kara de remporter vos duels, ou bien à Gueye et Kouyaté de récupérer les seconds ballons. Ensuite, ça va très vite devant.
Et quand on a le ballon, on essaie de bien construire et de trouver vite les attaquants. Et puis on a Sadio. Il est aujourd’hui dans un grand club, il a joué et marqué en finale de la Champions, c’est déjà énorme.
Une comparaison avec El-Hadji Diouf est-elle possible ? Ils semblent opposés en tout, mais à 16 ans d’écart, ils sortent tous les deux de l’ordinaire, ont joué pour Liverpool et ont la lourde charge d’être les leaders techniques des lions au Mondial.
Ce sont deux gars aux caractères totalement différents. El Hadji, tout le monde le connaît. Sadio est plus introverti, plus timide, mais c’est un leader technique comme Diouf à son époque. Tu peux les comparer, mais c’est vraiment Docteur Jekyll et Mister Hyde. J’espère que Sadio aura le Ballon d’or africain après la Coupe du monde, car lui aussi, il le mérite