En Afrique du Sud, 25 ans après la prestation de serment du président Nelson Mandela, la désillusion ambiante n’a rien d’une nostalgie amnésique. Les faits démontrent que les espoirs suscités par « Madiba » ont été légitimement déçus.
Pour paraphraser les militants tchèques des sixties qui appelaient le spectre de Lénine à revenir tirer les oreilles à ses successeurs « devenus fous », le citoyen sud-africain pourrait scander : « Mandela, réveille-toi, ils sont devenus mous ! »
Mous de l’idéologie, mous du volontarisme, mous de l’exemplarité. Un quart de siècle après l’arrivée au pouvoir de Madiba, et à une encablure des élections générales du 8 mai prochain, l’Afrique du Sud est en proie à une désillusion surlignée par des faits indiscutables.
Si la ségrégation fut abolie, les documents administratifs portent toujours la mention de race et les couleurs de la “nation arc-en-ciel” se mélangent peu. La Banque mondiale souligne que les inégalités ont augmenté dans le pays, l’extrême pauvreté concernant toujours davantage les foyers noirs que les foyers blancs.
Le taux de croissance du principal concurrent économique africain du Nigeria ne devrait pas dépasser 1,2 % en 2019. Le taux de chômage dépasse les 25 %. Des sujets comme la propriété de la terre, les conditions de vie dans les townships ou la criminalité continuent d’alimenter les tensions entre communautés…
Si l’effigie du premier président noir de l’Afrique du Sud est toujours célébrée et « marketée », bien au-delà du Mandela day du 18 juillet, c’est le signe que Madiba est devenu une icône figée dans une gelée romantique, comme le cliché de Che Guevara, dont les groupies apolitiques ne savent finalement que peu de choses.
Mandatures indignes
C’est aussi le signe qu’un flambeau n’est qu’une luciole sans d’exemplaires porteurs de flambeau. Si l’héritage de Nelson Mandela n’a pas été compromis par le balancement de l’alternance – son Congrès national africain (ANC) tient la barre depuis cinq législatures -, ses successeurs n’ont même pas réussi à mener à leur terme des mandatures indignes du prix Nobel 1993.
Désavoué et démissionnaire, Thabo Mbeki a laissé une trace mitigée, truffée de polémiques. Quant à Jacob Zuma, sans préjuger des procédures judiciaires en cours, il incarne une corruption endémique que de récentes révélations continuent de dévoiler à la direction du parti, au sommet de l’État et au cœur des entreprises publiques.
La bonhomie d’un Cyril Ramaphosa conscient des échecs ou l’outrance d’un Julius Malema caricatural ne risquent guère de réveiller la statue du commandeur…