Notre pays a vécu, en cette année de grâce 2019, au premier trimestre et, à bien des égards, une immense frénésie politique et sociale. Néanmoins, nous n’oublions pas un fait : l’année 2018 finissant en a porté les prémices ; elle n’a pas été, loin s’en faut, l’hirondelle annonciatrice du printemps, avec le tumulte verbal des questions et des contestations sur l’avènement du parrainage, généralement accepté dans son principe – rationalisation oblige –, mais débile de plusieurs zones d’ombre.
Du 2 au 22 février, sauf à signaler et déplorer, dans les rangs de civils et gendarmes, quelques blessures et pertes en vies humaines, la campagne électorale s’est déroulée dans un calme relatif. Les quatre prétendants au « trône » ou, plutôt, au « fauteuil présidentiel », comme ceints dans une camisole de force, appelée « Code de bonne conduite », ont confronté leurs visions et programmes, rudement, mais en gentlemen, autrement dit, d’une manière civilisée.
Vient la trêve d’un jour, suivie du vote du 24 février, lequel, pour le moins que l’on puisse dire, a lieu dans une paix constatée et dans la détermination des électeurs. Pour le reste !
Au menu de l’entracte précédant la proclamation des résultats, affluent, attente longue et suspense aigu, doute pesant et méfiance paroxysmale, peur bleue et crispations fortes. Survient la délivrance des résultats provisoires publiés par la Commission nationale de Recensement des votes, n’ayant pas fait l’objet de recours, et donnant gagnant le Président sortant « dès le premier tour », chiffres et aboutissement rejetés d’un revers de main par les adversaires du Président sortant, plutôt hérauts d’un ballotage et donc, d’un inéluctable deuxième tour. N’ayant pas été saisie de recours, la Cour constitutionnelle confirme, servant ainsi un enterrement de première classe à cette prétention.
Rêve brisé et clivage gravé de l’opposition d’avec le pouvoir, choses ayant materné des soubresauts post-électoraux violents.
Heureusement pour le contraire ! La « Guerre de Troie » n’a pas eu lieu.
Nous le devons, principalement, à la citoyenneté affichée et au patriotisme effréné de la population ; secondairement, à la dissolution, dans le repli sur soi et la ratatouille des silences et résignations des concurrents du Président sortant, de leur défiance affriolante et absolue à l’égard de de la Cour constitutionnelle ; subsidiairement, d’une part, à la tempérance sublime et à la modestie superbe, du candidat déclaré vainqueur : « le scrutin du 24 février a consacré le triomphe du peuple sénégalais ; il n’y a eu ni vainqueur ni vaincu » et, d’autre part, à l’appel vibrant à l’unité : « je vois un seul camp : celui du Sénégal … ; un seul peuple, animé par un seul but et une seule foi » ; je serai, par conséquent, le Président de toutes les sénégalaises et de tous les sénégalais ; parce que c’est la charge qui m’incombe en vertu de la Constitution » (Discours du 5 mars 2019).
Tout cela étant placé sous le baldaquin d’une ouverture cordiale, au travers de son appel réitéré souvent : « je tends la main (à toutes les forces vives du pays, politiques, économiques et sociales), pour engager, (dans l’intérêt supérieur de la Nation), un dialogue (républicain) … constructif et ouvert ». (Ibidem).
I – LA REFORME DE L’ADMINISTRATION
A – LA VISION DU P.R
Souvenons-nous. Du discours d’investiture prononcé le 2 Avril 2019 par le Président de la République élu , il sourd des priorités fixées pour le quinquennat, la quatrième étant « la réforme de l’administration », épine dorsale de l’Etat, assurant la stabilité et la continuité au-delà des changements de gouvernements et de régimes, devant épouser les réalités de son temps, s’adapter à ses missions … plus nombreuses, … diversifiées, … complexes et donc plus exigeantes ; une administration … plus accueillante …, plus diligente dans son fonctionnement …, plus performante dans ses résultats et répondant mieux à ses missions régaliennes de service public et de développement ».
B – LE DEBUT DE LA MISE EN ŒUVRE
Dès le 05 Avril, le Premier Ministre M. M. B. A. Dione présente sa démission, entraînant de droit, celle de son équipe. On s’interroge : reconduction ou remplacement ?
Le peuple n’a pas beaucoup attendu pour goûter à la sucette. Le clairon a vite sonné : la réponse transparaît, d’une part, dans le communique lu devant la presse par le nouveau
Secrétaire général du Gouvernement et ce, au travers des lauriers tressés par le Chef de l’Etat à M. Dione : un « homme … , loyal et travailleur, ayant accompli avec satisfaction les tâches qui lui étaient confiées » et, d’autre part, de la réplique de l’intéressé, un indiscret et généreux sourire aux lèvres : « Je suis à la disposition totale du Chef de l’Etat pour répondre à l’appel de la patrie et à ses côtés pour servir le peuple sénégalais ».
« Ecce homo » ! Mais, par ailleurs, le panégyrique va plus loin, marqué par la floraison et l’inflation des vertus à lui collées : « … pièce centrale, cheville ouvrière dans le dispositif de l’Etat » ; un homme de « fidélité, engagement, dévouement, confiance, compétence, docilité, expérience ».
Disons donc : Bon travail et bonne conduite. Mention honorable. Un laps de temps après, la délibération tombe, sans surprise : M. Dione redouble sa classe, avec le décret n°2019-759 du 6 Avril 2019 ; maintien réaffirmé par le décret n°2019-760 du même jour, l’investissant, en même temps, Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République.
C’est le début du commencement.
Un petit commentaire. A notre humble avis, pour pourvoir le poste de Premier Ministre, et, relativement au formalisme, on aurait gagné plus d’orthodoxie en se suffisant du seul décret n°2019-759 du 6 Avril 2019. En effet, eu égard à l’objet déjà réalisé par cet acte le décret n°2019-760 du 6 Avril 2019 est, tout simplement, superfétatoire, en plus de porter incidemment, une illégalité manifeste : « Le Premier Ministre » reste une Institution de la République ; donc, rien ne doit, en biais ou directement, entacher cette nature constitutionnelle, accroître ou alléger ses prérogatives et tâches expressément fixées par notre loi fondamentale, non encore modifiée ou anéantie, au moment où nous écrivons.
Or, en nommant M. Dione, « Ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République, on embrasse goulûment le contraire. Au reste, sous ce rapport et, au plan organique et fonctionnel, surgit une énormité : « Le Premier Ministre », en dépit de sa qualité d’institution est subordonné à une autre, le «Président de la République ».
Sitôt annoncée, voilà donc, amorcée la première réforme envisagée, lançant, par la même occasion, les bases de la seconde métamorphose.
II – LA SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE
En lien avec le projet fabuleux d’une refondation de l’administration, le Président de la République, dans son discours d’investiture du 2 Avril 2019, annonce également la saisine de « l’Assemblée nationale pour l’accompagnement (des) changements dans la gouvernance de l’Exécutif et un meilleur suivi des politiques publiques ».
Plus précisément, il ne fait plus aucun doute qu’il s’agit de soumettre au Pouvoir législatif un projet de loi portant suppression du poste de Premier Ministre. Au demeurant, le Président de la République donne une idée de ses motivations :
« Le devoir de travailler pour que les réformes et les projets puissent impacter les populations le plus rapidement possible ».
A – LES PREROGATIVES
Aux termes de l’article 6, de la Constitution n°2001-03 du 22 Janvier 2001, modifié et remplacé, par la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016, la République du Sénégal dispose de neuf (9) Institutions, dont deux constitutives du pouvoir exécutif : le Président de la République et le Gouvernement, composé du premier Ministre, son Chef, et des Ministres.
1 – DU PRESIDENT DE LA REEPUBLLIQUE
Selon le même texte, le Président de la République est déjà en charge de très nombreuses et exclusives attributions. Un véritable « no man’s land ».
Il est gardien de la Constitution, garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. Il détermine la politique de la Nation et préside le Conseil des Ministres (Art. 42). Il est responsable de la Défense nationale, dirige le Conseil supérieur de la Défense nationale et le Conseil national de Sécurité. Chef suprême des Armées, il dispose de la force armée (Art. 45). Les « Affaires étrangères » sont son « Domaine réservé » : accréditation d’ambassadeurs et d’envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères (Art. 46), négociation, ratification ou approbation des engagements internationaux (Art. 95).
Outre ces grandeurs, le Président de la République a certaines compétences uniques : signature des ordonnances et décrets (Art. 43) ; droit de grâce (Art. 47) ; adresse de messages à la Nation (Art. 48) ; pouvoir de délégation de certains pouvoirs au (Gouvernement)
(Art. 50) , soumission de tout projet de loi constitutionnelle au référendum (Art. 51) ; usage de pouvoirs exceptionnels, en vertu desquels, il peut procéder à une révisionconstitutionnelle et prendre toute mesure pour (remettre les choses à l’endroit)
-(Art. 52) ; fixation de la date d’ouverture de la première session de l’Assemblée nationale nouvellement élue, et décision permettant la tenue de sessions extraordinaires par l’Assemblée
(Art. 63) ; prescription de l’état de siège et de l’état d’urgence (Art. 69) ; prérogative de la promulgation des lois : loi autorisation la déclaration de guerre (Art. 71), lois ordinaires
(Art. 72) et lois organiques … déclarées conformes à la Constitution
(Art. 78) ;saisine du Conseil constitutionnel d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle
(Art. 74) ou pour avis
(Art. 92) ; initiative de la dissolution de l’Assemblée
nationale
(Art. 87) et de la révision de la Constitution
(Art. 103).De surcroit, le Président de la République a des compétences en d’autres matières :
A – Matière réglementaire
Le Président de la République nomme le Premier Ministre et les Ministres et met fin à leurs fonctions
(Art. 49). Il promeut aux emplois civils (Art. 44) et militaires (Art. 45), ainsi que, le Président et les membres du Conseil constitutionnel (Art. 89) et, avis des organes compétents, les magistrats de la Cour des Comptes … mais aussi, les autres magistrats (Art. 90) ;
B – Procédure budgétaire
Sur ce plan, si un projet de loi de finances n’est pas voté définitivement à l’expiration du délai requis, il peut le mettre en vigueur par décret, sous réserve d’une prise en compte des amendements votés par l’Assemblée nationale et acceptés de lui (Art. 64) ;
C – Procédure législative
Loisible, lui est, d’adresser, à l’Assemblée nationale, un message sollicitant une seconde lecture sur une loi (Art. 73), entre autres messages (Art. 79). Sur habilitation de l’Assemblée nationale, il prend, par voie d’ordonnances entrant en vigueur dès leur publication, des mesures plutôt dévolues à cette institution (Art. 77).
OUF !
II – LE PREMIER MINISTRE
La Constitution actuelle fait peser sur ses épaules, nombre de larges compétences.
De quoi s’agit-il ?
Le Premier Ministre, chef du Gouvernement, conduit et coordonne la politique de la Nation.
Sur sa proposition, le Président de la République nomme les Ministres, fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions (Art. 49).
Il est responsable devant le Président de la République et devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues par les articles 85 et 86 de la Constitution. Il a droit de contreseing sur les actes du Président de la République, à l’exception de ceux accomplis en vertu des articles 45, 46, 47, 48, 49- alinéa-1, 52, 74, 76 alinéa-2, 78, 79, 83, 87, 89 et 90.
Il dispose de l’administration et nomme aux emplois civils déterminés par la loi.
Il assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire sous réserve des dispositions de l’article 43 de la Constitution (Art. 50).
Le Premier Ministre préside les Conseils interministériels et les réunions ministérielles ou désigne, à cet effet, un Ministre. Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux Ministres
(Art. 57).
A la demande du Gouvernement, l’Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie de texte en discussion …, avec les (seuls) amendements proposés ou acceptés (par lui). Le Premier Ministre, a le droit d’amendement et présente les amendements du Président de la République (Art. 82).
S’il apparaît, au cours de la procédure législative, qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi, le Premier Ministre … (peut) opposer l’irrecevabilité. En cas de désaccord et, à sa demande, le Conseil constitutionnel statue dans les huit jours (Art. 83).
Le Premier Ministre peut demander et, obtenir de droit, l’inscription, par priorité, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale … d’un projet ou d’une proposition de loi ou d’une déclaration de politique générale (Art. 84). Il a la faculté de proposer au Président de la République une révision de la Constitution (Art. 103).
II – LES EFFETS DE LA SUPPRESSION DU POSTE DE P.M
Voici que la suppression du poste de Premier Ministre va survenir indéniablement, sans avoir été annoncée publiquement par le Président de la République, nulle part et auparavant, pas même durant la campagne électorale, occasion fort opportune pour étaler et clarifier ses projets. Non plus, il n’y a eu de concertations avec les partis politiques, la société civile … etc.
Qu’adviendra-t-il si le couperet tombe ?
A – UN ACCROISSEMENT EXPONENTIEL DES POUVOIRS DU P.R
D’abord, un legs universel des attributions intrinsèques du Premier Ministre va échoir au Président de la République. De surcroit, à cette donation, vont impérativement s’ajouter, ses servitudes dans le jeu du contrôle du Gouvernement par l’Assemblée nationale.
Qu’en est-il ?
Après sa nomination, le Premier Ministre fait, devant l’Assemblée nationale, sa déclaration de politique générale, laquelle est suivie d’un débat (pouvant), à sa demande, donner lieu à un vote de confiance ; celle-ci est accordée (Art. 55) ou refusée (Art. 86) à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale (Art. 55 et Art. 86) et peut porter sur un programme.
Le refus de la confiance contraint le Premier Ministre à remettre immédiatement la démission collective du Gouvernement au Président de la République (Art. 86). Enfin, le Premier Ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager, devant l’Assemblée nationale, la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un projet de loi de finances, qui, sauf motion de censure, est considéré comme adopté. Il lui est permis d’utiliser la même procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session (Art. 86).
De son côté, l’Assemblée nationale, à la majorité absolue des membres, peut provoquer la chute du Gouvernement par le vote d’une motion de censure, (devant), à peine d’irrecevabilité, être revêtue de la signature d’un dixième (1/10ème) des membres la composant et ne (pouvant) intervenir que deux jours après son dépôt (Ibidem).
Les membres du Gouvernement peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée nationale et ses commissions, avec l’assistance éventuelle de leurs collaborateurs (Art. 81), et se voir poser, avec obligation de réponse, des questions écrites ou orales et, selon une périodicité à fixer d’accord parties, des questions d’actualité. L’Assemblée nationale peut désigner, en son sein, des commissions d’enquête, dont les conditions d’organisation et de fonctionnement ainsi que les pouvoirs sont déterminés par la loi.
Les commissions permanentes de nationale peuvent entendre les directeurs généraux des établissements publics, des sociétés nationales et des agences d’exécution (Art. 85).
Sous ce rapport, quels effets pervers découlent du transfert, entre les mains du Président de la République, de ces choses exigées du Premier Ministre, dans un face à face avec les députés, nécessaire, obligatoire et consubstantiel à la démocratie réelle.
B – UN AFFAIBLISSEMENT PROFOND DU POUVOIR LEGISLATIF
Relativement à ses compétences générales, consistant à voter les lois et à contrôler l’action de l’Exécutif, l’Assemblée nationale sera très affaiblie du fait de contrecoups nombreux pouvant dériver de la suppression du poste de Premier Ministre. En votant le budget, elle donnera à l’Exécutif, à savoir, le Président de la République, les moyens de réaliser (SA) politique de la Nation ; ce, alors même que ce dernier pourrait ne pas s’obliger à déclamer, lui-même et devant elle, (SA) déclaration de politique générale, suivie de débats si tant est qu’elle existera, avec son « Plan Sénégal émergeant », dont l’année 2035 est l’horizon fixé. Au demeurant, quid du traitement des questions orales, écrites ou d’actualité ?
Quel interlocuteur pour les députés : le Président de la République et/ou ses collaborateurs (Ministres ou autres) ? Comme dit plus haut, répondre obligatoirement à ces interpellations est d’essence démocratique représentative ; c’est même d’ordre public.
Pour lever l’agression, la résurrection du bicaméralisme paraît impérative. Les non-initiés comprendront que le retour, parmi nos Institutions, du Sénat, « Chambre haute », jumelle de l’Assemblée nationale, « Chambre basse », est nécessaire dans un régime présidentiel.
En effet, dans ce système, comme celle-ci, cette institution détient deux pouvoirs primordiaux : le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale. Relativement à cette dernière fonction, la renaissance du Sénat rétablira, subséquemment, sa compagne dans ses compétences naturelles et imprescriptibles. Alors, la démocratie sera sauve.
Mais donc, dans tout cela, que perd le Président de la République ?
C – UN ACCROC LEGER AUX POUVOIRS DU P.R
Le nouvel exécutif se résumera à un singleton : le Président de la République qui perdra son pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale ; celle-ci sera délestée de son pouvoir de provoquer la démission du Gouvernement. Certes, c’est un signe de respect du principe de la séparation des pouvoirs ; mais, c’est un anéantissement de l’équilibre de la peur et de la dissuasion, ainsi qu’un barrement d’un moyen adéquat pour éviter les crises et les blocages institutionnels, notamment, lorsque le Président de la République n’aurait pas une majorité parlementaire.
De plus, le Chef de l’Exécutif, soit le Président de la République, même au sujet du vote de la loi de finances ne sera plus en capacité d’engager SA responsabilité devant l’Assemblée nationale, étant donné qu’il n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions que devant la Haute Cour de Justice et, seulement, en cas de « Haute trahison » (Art. 101) ; vraie nébuleuse.
D – UN CHANGEMENT FONDAMENTAL DU REGIME POLITIQUE SENEGALAIS
A vrai dire, avec notre régime présidentialiste, l’institution première de l’Exécutif souffre déjà de macrocéphalie. La suppression du poste de Premier Ministre viendra en rajouter.
Le Président sera omniprésent, solitaire et omnipuissant dans ses prérogatives diverses et démultipliées. Les ministres deviennent pour lui, Commandant de bord de l’aéronef, de simples collaborateurs, de grands commis de l’Etat, des serviteurs de la République.
Quant au Premier Ministre, la Constitution du jour, loin s’en faut, ne lui fait guère de sinécure : sa place n’est pas moins déterminante dans le système ; ses fonctions sont primordiales ; néanmoins, à son grand dam, elles vont transhumer au Palais, le muant en un chef de service exalté. Point n’est besoin, pour nous, d’illustrer, outre mesure, cette vision.
Au total, on assistera, par conséquent, à un changement de la nature du régime politique sénégalais. De présidentialiste, auparavant, il deviendra, outrancièrement, présidentiel et renforcé ; avec, comme pendants, un renforcement, une concentration et une centralisation des pouvoirs du Président de la République, corps et âme du système à venir, une cure d’amaigrissement de ceux du législatif et, sur le plan administratif, à une réorganisation des services mis anciennement sous le férule du Premier Ministre.
Nous ne pouvons occulter l’existence de rapports constitutionnalisés entre notre actuel Exécutif dual et les assemblées consultatives. Et pourquoi ?
La loi organique n° 2016-24 du 14 Juillet 2016 confie, au Haut Conseil des Collectivités territoriales, la mission d’étudier et de donner un avis motivé sur les politiques de décentralisation, d’aménagement et de développement territoire. En son article premier, elle détermine les détenteurs du pouvoir de saisine du H.C.C.T : le Président de la République et le Gouvernement.
La loi organique n° 2012-28 du 28 décembre 2018, détermine, en son article 2, les personnalités et institutions aptes à saisir le Conseil économique, social et environnemental (C.E.S.E), pour consultations, avis et effectuations d ’études. Concernant ces trois objets, le Premier Ministre ou le Gouvernement le sont.
Sous ce rapport, on le voit, avec la disparition du poste de Premier Ministre, au Haut Conseil des Collectivités territoriales, comme au Conseil économique et sociale, cela va, d e facto et, à la fois, exclure, du pouvoir de saisine, cette autorité, ainsi que les Ministres. Et alors, de surcroît, le Président de la République, face à eux, sera solitaire, dans ce droit.
D’aucuns diront que nous filons tout droit vers un bonapartisme.
Avec la résurgence appelée du Sénat, il peut-être attendu de rapprocher les tâches des deux composantes du Parlement aux missions des assemblées consultatives de l’heure.
Et ce, pour éviter une collision inutile préjudiciable à l’économie, à l’efficacité et à l’efficience des interventions. Ce sera probablement notre prochain propos.
Fait à Dakar, le 23 Avril 2019
Amadou NDIAYE
Ancien Inspecteur de l’Enseignement élémentaire
Inspecteur général d’Etat, retraité,
Doctorant.
Tél :77 324 30 79 ; 77 646 03 78