Avec 4 millions de personnes infectées et plus de 300 000 morts dans le monde, la pandémie du nouveau coronavirus est devenue, en un temps record, la pire crise sanitaire que le monde a enregistré depuis des décennies. Malgré ses 70 000 cas déclarés, l’Afrique est la région la moins touchée par la maladie. Mais il serait toutefois bien présomptueux de penser que le continent traversera cette épreuve haut la main. Il lui reste encore à subir de dures épreuves, tant sur les plans social et économique que sanitaire.
Alors que la riposte mondiale contre la maladie s’organise, de nombreux observateurs voient en cette crise une occasion pour l’Afrique d’adopter de nouveaux paradigmes, pour enfin lancer la dynamique de son développement. On retiendra déjà cinq leçons importantes que le nouveau coronavirus enseigne à l’Afrique.
1. Doper les investissements dans la santé
S’il y a bien une leçon à retenir de la crise actuelle, c’est d’abord le fait que les pays africains ont encore des besoins énormes dans le secteur de la santé. Selon le Global Health Security (GHS) Index, plus de 60% des pays africains n’étaient pas préparés à faire face au nouveau coronavirus.
Plus précisément, l’édition 2019 du rapport (qui analyse les capacités des pays à faire face à des menaces sanitaires) nous apprend qu’aucun pays du continent n’a un niveau de préparation élevé en matière de gestion d’une crise sanitaire. Alors que 21 pays africains seulement ont un niveau « moyen » de préparation, plus de 61% des pays du continent (33) ont un niveau de préparation faible. D’après le rapport, 28 pays africains comptent parmi ceux qui ont les plus faibles capacités à détecter et à notifier précocement des cas d’une épidémie telle que le coronavirus, tandis que le nombre monte à 34 (62% des pays du continent) pour ce qui est de la capacité à réagir rapidement et à enrayer sa propagation.
« Tout comme en temps de guerre, lorsque les dépenses de défense d’un pays augmentent considérablement, les pays africains doivent considérer la pandémie de Covid-19 comme une « guerre » à gagner et être prêts à augmenter considérablement leurs dépenses de santé publique »
Cette situation est essentiellement due aux faibles investissements effectués par les pays africains, principalement ceux de la région subsaharienne, dans le secteur de la santé. Selon l’OMS, l’Afrique est la région la moins hospitalière du monde, avec un indice de couverture sanitaire universelle (CSU) de 46 contre une moyenne mondiale de 64. On estime également que la densité médicale du continent africain est de 12,8 médecins compétents pour 10 000 habitants, très en dessous de la moyenne mondiale qui est de 52,8 médecins compétents pour 10 000 habitants. De plus, l’analyse des données montre que, sur le continent africain, les pays qui consacrent plus de 100 $ par habitant en dépenses de santé publique sont peu nombreux. On estime que les pays africains n’investissent en moyenne que 5 à 6% de leur produit intérieur brut (PIB) dans le secteur de la santé. A titre comparatif, c’est deux fois moins que la moyenne mondiale, pour des besoins beaucoup plus élevés.
Depuis plusieurs années pourtant, les pays africains ont adopté des textes visant à accélérer leurs investissements communs dans la santé. L’Agenda 2063 de l’Union africaine et les Objectifs de développement durable (ODD) prévoient d’ailleurs tous les deux, en leurs points 3, de garantir une bonne santé à leurs populations. Grâce à la crise du nouveau coronavirus, on a noté un réengagement des pays africains en faveur d’un investissement plus massif dans le secteur de la santé. Fin avril, les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont annoncé qu’ils mettraient tout en œuvre pour allouer au moins 15% de leur budget annuel au renforcement de leurs systèmes sanitaires.
« Tout comme en temps de guerre, lorsque les dépenses de défense d’un pays augmentent considérablement, les pays africains doivent considérer la pandémie de Covid-19 comme une « guerre » à gagner et être prêts à augmenter considérablement leurs dépenses de santé publique » a commenté, à ce propos, John Ataguba, professeur associé à l’Unité d’économie de la santé de l’université du Cap (UCT).
2. Diversifier les économies
La chute brutale des cours des matières premières en 2014 était apparue comme un véritable avertissement lancé à l’économie mondiale. Les pays africains, qui étaient (et sont toujours) en majorité dépendants de l’exportation des matières premières, semblaient alors avoir pris la mesure de la fragilité d’un tel système économique. Hélas, six ans après, les choses semblent n’avoir pas ou peu changé, malgré les engagements pris par les chefs d’Etats du continent.
Avec la crise du nouveau coronavirus, la nécessité de repenser cette structure économique très peu favorable à l’industrialisation du continent est de plus en plus évidente. Le secteur des hydrocarbures fait déjà les frais du nouveau coronavirus. Selon une étude publiée par la société Rystad Energy, les investissements mondiaux dans le pétrole devraient baisser de 30 milliards $ à cause du coronavirus, une situation qui impactera certainement les projets pétroliers de pays comme le Sénégal, le Ghana ou encore l’Ouganda qui ambitionnent de devenir des producteurs de l’or noir majeurs au cours des prochaines années.
Et déjà, les principaux producteurs africains de pétrole subissent rudement les conséquences de la crise dans le secteur. En mars, le Nigeria a dû réduire de plus de 1500 milliards de nairas son budget 2020, à l’instar de l’Angola qui a annoncé fin mars qu’il reverrait également à la baisse son budget pour faire face à la chute des cours du pétrole. En Algérie, le gouvernement anticipe déjà une baisse de ses réserves de change, d’un niveau initialement prévu à 51,6 milliards $, à 44,2 milliards $, d’ici à la fin de l’année. Dans ces trois pays, le pétrole compte en moyenne pour plus de 90% des recettes d’exportations et plus de la moitié des recettes publiques.
Dans le secteur des mines, des pays comme la Zambie, la RDC, la Namibie, l’Afrique du Sud, qui dépendent fortement de leurs exportations de métaux se préparent à subir une baisse conséquente de leurs recettes. Une situation rendue encore plus difficile par l’effet de la crise sur l’économie chinoise, principal importateur des matières premières africaines.
3. Améliorer les performances fiscales
Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), le continent affiche le plus faible ratio recettes publiques/PIB au monde. Ce ratio se chiffrait en moyenne à 24,5 % sur la période 2000-2018, soit moins que ceux des pays émergents et des pays à revenu intermédiaire d’Amérique latine (27,8 %), d’Europe (34,8 %), et de l’ensemble des économies avancées (35,9 %). Cette situation est essentiellement due à la faiblesse des recettes fiscales mobilisées par le continent, malgré les revenus importants (mais insuffisants) tirés de leurs matières premières.
Selon la CEA, la faiblesse du revenu par habitant, l’étendue du secteur informel, l’importance de l’agriculture paysanne et la faiblesse de l’industrie manufacturière et des services modernes sont des facteurs affaiblissant la mobilisation fiscale sur le continent. Ceci empêche les investissements dans des secteurs prioritaires tels que les infrastructures de base, la santé, la sécurité alimentaire, l’éducation et l’atténuation des effets du changement climatique, dont les besoins de financement sont estimés à environ 210 milliards $ pour le continent, sur la période 2015-2030.
La pandémie du nouveau coronavirus a mis en évidence cette difficulté des Etats africains à répondre aux besoins de leurs populations, en raison du manque de recettes fiscales conséquentes pour préparer un plan de riposte. Alors que leurs homologues européens, américains ou asiatiques ont annoncé des plans chiffrés à plusieurs milliers de milliards de dollars pour renforcer la résilience de l’économie et venir en aide aux populations, les pays africains ont dû, encore une fois, se tourner vers le FMI et la Banque mondiale pour obtenir des prêts. De plus, un appel à l’annulation de la dette africaine a été lancé en vue de permettre au continent de dégager des ressources financières immédiates sur le terrain. Pourtant, il existe d’autres solutions facilement accessibles et bénéfiques sur un plus long terme.
Malheureusement, cette importante manne financière échappe aux Etats africains, en raison des nombreux régimes fiscaux d’exception mis en place et qui permettent à ces sociétés déjà multimilliardaires de générer des profits encore plus importants.
Grâce au nombre d’entreprises présentes sur son sol, dont de grandes multinationales attirées par l’exploitation de ses ressources naturelles, le continent dispose en effet d’une base potentielle bien plus grande que celle utilisée actuellement pour collecter l’impôt. Malheureusement, cette importante manne financière échappe aux Etats africains, en raison des nombreux régimes fiscaux d’exception mis en place et qui permettent à ces sociétés déjà multimilliardaires de générer des profits encore plus importants. A ceci s’ajoutent les pertes de ressources dues aux flux financiers illicites alimentés, entre autres, par les systèmes d’optimisation et d’abus fiscaux mis en place par ces sociétés.
4. Financer la recherche et l’innovation
La crise de la Covid-19 a révélé la capacité de création et d’innovation de nombreuses start-up africaines. Malgré l’impact attendu de la crise sur leurs activités, nombre d’entre elles ont réussi à trouver dans la pandémie une nouvelle opportunité de rebondir. Ainsi, la crise sanitaire a permis à beaucoup d’entreprises africaines de multiplier les initiatives d’e-santé qui se révèlent de plus en plus indispensables pour permettre à tous les Africains, même ceux des milieux ruraux, d’avoir un accès aux services de soins. Les applications telles que AntiCoro (développée par un réseau de 10 start-up ivoiriennes), SOS-Covid (start-up camerounaise House innovation) ou encore le projet Dédé (société togolaise Semoa) sont des outils permettant aux populations de s’autodiagnostiquer et de connaître la procédure à suivre pour éviter les contaminations.
Très tôt, le secteur de la mode a également apporté sa contribution, en proposant des masques pas chers, efficaces et fabriqués localement par des entreprises du continent. Au Sénégal, l’Atelier 221, un collectif de créateurs de mode, a lancé le projet « 1 Sénégalais 1 masque » dont l’objectif est de permettre à tous les Sénégalais d’avoir des masques de protection efficaces et réutilisables. De nombreux autres créateurs de mode et artisans sur le continent ont également lancé des initiatives similaires.
Ces initiatives prouvent que le secteur de la recherche et de l’innovation peut apporter une importante valeur ajoutée aux pays africains.
En réponse à la pénurie des respirateurs artificiels dans les établissements sanitaires, plusieurs pays africains ont dû miser sur leurs chercheurs et ingénieurs. Au Rwanda, de jeunes ingénieurs biomédicaux du Centre régional polytechnique intégré (CRPI) ont conçu en avril dernier le tout premier respirateur artificiel entièrement made in Rwanda. Dans plusieurs autres pays, des initiatives de respirateurs artificiels low-cost menées par des chercheurs nationaux ont récemment fait leurs preuves. C’est le cas du dispositif Inshirah ou du projet iVENT-V1 au Maroc, ou encore des machines de la société sud-africaine EPCM Holdings, conçues pour être 10 fois moins chères, mais tout aussi efficaces que les respirateurs utilisés actuellement dans le pays.
Enfin, dans le domaine des traitements possibles contre la maladie, c’est le Covid-Organics, un remède à base de plantes créé par l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA) qui centralise les débats. Si le projet reste encore très controversé sur la scène internationale, le gouvernement malgache semble faire preuve d’une inébranlable confiance envers ses chercheurs, que les chiffres du bilan des cas dans le pays semblent conforter. Ces initiatives prouvent que le secteur de la recherche et de l’innovation peut apporter une importante valeur ajoutée aux pays africains, et mérite de ce fait plus d’attention et d’investissements de la part des gouvernements.
5. Repenser le schéma de la dette
Depuis plusieurs années, les institutions internationales ne cessent d’alerter sur les risques d’un surendettement des Etat africains. De nombreux experts estiment que le continent emprunte beaucoup trop et même si les besoins sont colossaux, ils appellent les Etats africains à ralentir leurs emprunts internationaux. Pourtant le véritable problème n’est pas tant dans le niveau de la dette publique africaine (seulement 58% du PIB en 2019 pour la région subsaharienne contre plus de 100 % en moyenne pour les pays de l’OCDE) que dans sa structure.
En effet, le principal problème de la dette africaine réside aujourd’hui dans son coût pour les économies du continent. Alors qu’en Europe ou en Asie les taux d’intérêt pour le remboursement de la dette sont quasi nuls, ils atteignent les 16% pour certains pays d’Afrique.
Le principal problème de la dette africaine réside aujourd’hui dans son coût pour les économies du continent. Alors qu’en Europe ou en Asie les taux d’intérêt pour le remboursement de la dette sont quasi nuls, ils atteignent les 16% pour certains pays d’Afrique.
Selon la Banque africaine de développement (BAD), les taux d’intérêt moyens des prêts consentis aux les Etats africains ont été multipliés par trois en l’espace de quatre ans, passant de 4% en 2013 à 12% en moyenne. Cette « mauvaise dette » pèse sur les fragiles finances publiques des pays africains, le service de la dette arrivant souvent loin devant des dépenses prioritaires comme l’éducation ou la santé. Avec de telles charges budgétaires, les pays se retrouvent donc démunis face à des crises comme celles de la Covid-19 qui les obligent à mobiliser d’énormes ressources financières. A cela s’ajoutent les emprunts consentis à court terme pour financer des projets à long terme, rajoutant ainsi un poids supplémentaire aux finances publiques des Etats.
L’autre principal problème est celui de l’utilisation des sommes empruntées par les gouvernements africains. En 2020, on estime que le montant des émissions africaines de dettes (eurobonds) a atteint 100 milliards $. Ces derniers ne faisant pas l’objet d’un suivi aussi rigoureux que celui de l’aide au développement des organisations internationales, il arrive que le but final d’un emprunt obligataire soit complètement différent de l’objectif de départ, ou pire, que cet emprunt finance un projet non viable.
Aujourd’hui, tous les gouvernements appellent à un nouvel ordre économique mondial. Si l’Afrique veut ressortir plus forte de cette crise, il est important que ses pays tirent les leçons qui s’imposent et qui leur permettront de sortir de la spirale infernale du sous-développement dans laquelle ils sont englués depuis les indépendances.
Auteur : Ecofin