L’opposition annonce une coalition électorale pour contrôler les collectivités territoriales. Mais plusieurs fois, ses tentatives de regroupement ont échoué à cause de ses querelles internes. Le Président Macky Sall aussi a, souvent, d’une manière ou d’une autre, participé à l’éclatement des coalitions.
Ousmane Sonko a annoncé l’imminence d’une grande coalition de l’opposition pour aller à l’assaut des élections territoriales. «Dans les prochains jours, ou même prochaines heures, nous allons présenter aux Sénégalais, une grande coalition de l’opposition qui va achever ce régime», a-t-il dit lors de la cérémonie d’officialisation de la fusion de Pastef et de 13 autres partis et mouvements, le 13 août dernier. Cette plateforme électorale a été longtemps et maintes fois annoncée. C’est une question de vie ou de mort… politique pour les uns et les autres. Pour les partis qui doivent confirmer leur leadership et les élus en sursis du fait de la reconfiguration de l’opposition. Dès fin mars 2021, au lendemain des émeutes parties de l’arrestation du leader de Pastef, le Front de résistance nationale (Frn) avait organisé une rencontre avec «les partis politiques de l’opposition, le M2D, la coalition Jotna, le Crd, les mouvements et associations de la Société civile, les syndicats de travailleurs, les activistes et lanceurs d’alerte de tous bords» pour la mise en place d’un «Grand cadre d’unité d’action». Puis, en mai dernier, c’est le coordonnateur du Frn lui-même, Mohamadou Moctar Sourang, qui disait au Jury du dimanche de I-Radio : «En tout cas, en tant que coordonnateur du Frn, à partir de maintenant, je travaille pour la constitution d’une large coalition de l’opposition. Nous allons y aller ensemble pour gagner ces élections. Nous sommes convaincus que le Président Macky Sall n’a plus la majorité dans ce pays. Le M2D, proche de Ousmane Sonko, et le Frn sont en discussion et sont en train de parachever ce qu’on appelle un «mécanisme d’unité d’action» qui va nous permettre d’agir, de manifester et de revendiquer ensemble. Et je puis vous assurer que c’est presque bouclé.» «Bouclé», mais trois mois après, ça peine à se concrétiser. Mais pourquoi cette longue gésine ? Tout indique que le Front de résistance nationale (Frn) est sur la «bonne voie», mais la tâche est délicate parce qu’elle requiert des arrangements, des concessions, des sacrifices pour arriver à des investitures consensuelles. Et tout indique que c’est la formule de Benno siggil Senegaal en 2009 qui se profile : miser sur les hommes forts dans leur fief. A la seule différence, cette fois, que c’était plus facile pour le Ps, l’Afp, l’Apr et autres parce que c’était une élection au suffrage universel indirect où les élus étaient désignés par des conseillers. Avec le nouveau code électoral, on connaît à l’avance celui qui sera maire ou président du Conseil départemental en cas de victoire.
Se sauver ou périr
Dans tous les cas, les leaders de l’opposition sont conscients des grands enjeux de cette élection qui nécessite un front uni et unique pour espérer prendre des communes ou villes. «Soit on est ensemble, soit on disparaît», avait averti M. Sourang. Qui ajoutait : «Déjà, il y en a qui ne peuvent plus être candidats. Si on n’y prend garde, même pour Ousmane Sonko, il y a beaucoup d’incertitudes. Il a un dossier et ils (le pouvoir) peuvent le prendre comme une épée de Damoclès. Ils peuvent attendre les élections pour le convoquer, le déstabiliser. Personne n’a intérêt à aller aux élections seul. J’ai une position qui me permet aujourd’hui de discuter avec les uns et les autres dans ce sens.» Le 10 juin dernier, c’est le leader du Grand parti qui a lancé «l’Appel de Kaolack». «Devant l’impérieuse nécessité de le réaliser, l’opposition n’a d’autre alternative que de s’unir. C’est tout le sens de l’appel historique que j’adresse, depuis le Saloum, à toutes les forces vives de la Nation pour une unité intégrale de l’opposition, des mouvements citoyens et de la Société civile», avait déclaré Malick Gakou. Ces appels insistants à l’unité s’expliquent, en effet, par la capacité de nuisance du pouvoir qui a les yeux rivés et les oreilles scotchées sur les stratégies que peaufine l’opposition. C’est en fonction de cela que le Président Macky Sall trouve les moyens de les diviser ou de les disperser. Comme il a eu à le faire par le passé en s’appuyant sur la machine de la majorité présidentielle.
Enseignements et renseignements généraux
Ils sont nombreux à redouter une nouvelle division de l’opposition en direction des Locales du 23 janvier 2022. Pourtant l’épisode des avec les deux camps, celui de Wade et celui de Khalifa Sall est un enseignement à tirer puisque la grande coalition Manko wattu Senegaal, qui ambitionnait d’imposer la cohabitation en contrôlant l’Assemblée nationale, a buté sur le choix de la tête de liste. Khalifa Sall, qui était en prison, a mis sur la balance son statut de maire et «maître» de Dakar pour avoir pris les 16 communes sur les 19 de la capitale. Or, Abdoulaye Wade, en plus de son pedigree d’ancien président de la République, avait déjà un Pds fort de son groupe parlementaire et de son assise nationale. C’est ainsi que se sont constitués deux grands pôles : Khalifa Sall prend le Mankoo et y ajoute son taxawu Senegaal avec des alliés comme Idrissa Seck et Malick Gakou, et Wade maintient le Wattu Senegaal avec Pape Diop, Mamadou Lamine Diallo, Mamadou Diop Decroix, entre autres. Le résultat est décevant puisque Benno bokk yaakaar a obtenu presque le même nombre de sièges qu’en 2012, à l’arrivée de Macky Sall. Le Pds et ses alliés ont pu amasser plus qu’un groupe parlementaire. Chat échaudé craint l’eau froide. C’est pour cela que tous ou presque appellent à l’unité. Le président du Grand parti l’a encore en travers de la gorge. «Macky Sall n’est pas fort mais c’est l’opposition qui est faible par ses divisions. En 2016, nous étions divisés et on s’est fait battre. Au lendemain du référendum, j’ai rencontré des acteurs politiques et Wade pour créer la coalition Manko wattu Senegaal, pour que cette plateforme puisse devenir une coalition politique. Manko a été finalement disloquée pour un problème de tête de liste. Il faut qu’on oublie nos intérêts personnels pour l’intérêt national», avait dit Malick Gackou qui recevait Ousmane Sonko le 17 mars dernier à la permanence du Grand parti.
Macky et ses coups de pied dans la fourmilière de l’opposition
Des fois c’est l’opposition elle-même qui éclate par ses querelles d’ego. «Il faut tirer des leçons que le Peuple nous a adressées. Il faut oublier nos ego car le Peuple a espoir en nous. Nous devons être à la hauteur de ça. Nous demandons à toutes les forces vives de nous rejoindre pour forcer Macky à appliquer l’agenda et ensuite partir. Il faut mutualiser nos forces pour le contraindre à respecter nos exigences», avait dit Sonko. Mais d’autres fois c’est le Président Sall lui-même qui disperse les blocs par des promesses et promotions de gros poissons qu’on imaginerait jamais dans les eaux du pouvoir. Et même par des torpilles lancées dans les réunions de l’opposition avec des taupes plus efficaces que des Rg (Renseignements généraux). D’autres plateformes de l’opposition comme le Front pour la défense du Sénégal (Fds/Mankoo wattu Senegaal) ou encore l’Initiative pour des élections démocratiques (Ied), ont subi la loi du pouvoir. Pour prévenir ces trahisons, les leaders de Manko wattu Senegaal avaient décidé, le 20 septembre 2016, d’établir un Code de conduite. La métaphore de Gakou est révélatrice de la fragilité de l’opposition qui peine à être un roc devant les tentations du pouvoir. «C’est une unité granitique que la réalité nous impose. Unis nous sommes forts, mais divisés nous sommes faibles. Cette fois-ci, c’est le bon moment pour reconstruire ce pays (…) Le pouvoir a surfé sur nos divisions pour gagner du terrain», avait-il ajouté. Le leader de Pastef aussi ne néglige pas cette capacité de Macky Sall à mettre un coup de pied dans la fourmilière de l’opposition en gestation. Même s’il est convaincu que les alliés ne répondront plus aux sirènes du Palais. «Cette fois-ci, personne ne pourra diviser cette coalition, comme ils ont l’habitude de le faire en corrompant ou en menaçant les uns et les autres. Nous irons ensemble aux Locales, puis aux Législatives et, ensuite, nous mettrons en place un cadre pour superviser le processus qui mène à la Présidentielle. 2024, ils vont nous remettre notre pays», avait promis Sonko.
Par Hamath KANE