Avant de s’attaquer à la réforme technique en profondeur de l’Administration sénégalaise pour la sortir de ses habitudes de «commandement» et l’installer dans une optique de «développement», le Président de la République va mener une guerre de plusieurs batailles, sur plusieurs fronts, que ses prédécesseurs n’ont jamais entamées contre un mal endémique, frein, sous tous les cieux, à l’émergence : la déperdition de centaines de milliards de francs Cfa des deniers publics du fait de la gabegie provoquée par le train de vie indue de l’Etat. Quels seront ces batailles, et les fronts ? La liste est longue : la commande, l’utilisation et le coût de l’entretien des véhicules administratifs, la consommation de carburant, d’eau, d’électricité, de téléphone, les logements conventionnés, l’octroi de l’indemnité kilométrique ; mais, elle n’effraient par Macky Sall, qui, déjà, a pris le dessus là où le mal faisait des ravages : la Présidence de la République.
Le 18 décembre 2018, au deuxième et dernier jour de la rencontre du Club de Paris, au cours de laquelle le Sénégal enregistrait un éclatant succès dans la collecte des contributions des bailleurs de fonds pour le financement de la Phase II du Plan Sénégal émergent (Pse), le Président de la République proclamait, à nouveau, ce qui devrait figurer au rang de ses ambitions majeures, s’il était réélu : réformer en profondeur l’Administration du Sénégal.
«Parmi les urgences principales de la Phase II du PSE, devront donc figurer la poursuite de la réforme (…) de l’administration générale (…). L’administration publique (figure parmi les) révélateurs de l’état d’une société. (…) Pour bâtir le progrès, les usagers du service public ont droit à des prestations diligentes et efficaces. Il nous faut donc plus une Administration de développement qu’une Administration de commandement.»
Vingt mille véhicules achetés depuis 2000
Aujourd’hui, quatre mois plus tard, sa réélection acquise, il est sur le point d’enclencher un processus, qui, à terme, va révolutionner – le mot n’est pas trop fort – le vécu et les habitudes d’«une Administration de commandement» qui devra se muer en «une Administration de développement» dans le but de mieux placer le Sénégal sur les rampes de l’émergence.
Et avant les réformes purement techniques, Macky Sall va prendre le taureau de la gabegie par les cornes, pour parler de manière prosaïque. Son premier chantier : réformer la commande et l’utilisation des véhicules.
Pourquoi une telle réforme ? Les études commanditées font parler des chiffres effarants ! De 2000 à cette année, l’Etat et le secteur parapublic ont passé commande de… vingt mille (20 000) véhicules. Soit environ mille (1 000) véhicules l’an. A une moyenne de vingt cinq (25) millions de francs Cfa l’unité, ce n’est pas moins de cinq cent (500) milliards de francs Cfa qui ont été engloutis dans ce domaine, ces vingt dernières années.
Avec cette enveloppe, combien d’universités, de lycée, d’écoles, de postes de santé, auraient été construits ? Inutile de faire le calcul !
Montant de la facture : cinq cent milliards de FCfa
A ce gâchis viennent s’ajouter d’autres, lorsqu’on jette un coup de loupe sur l’utilisation et la gestion faites de ces véhicules ?
Il ressort des mêmes études à ce propos que la durée de vie moyenne d’un véhicule administratif est de trois années. Cinq fois moins qu’un véhicule privé, qui est de quinze années. En somme, l’État est obligé de renouveler son parc automobile toutes les trois années.
Les causes de cette gabegie scandaleuse renvoient à trois maux :
primo, l’absence totale d’effort pour l’entretien de ces biens publics de la part des affectataires ;
secundo, l’utilisation des véhicules administratifs à des fins privées ;
tertio, la cannibalisation fréquente et persistante, pour dire le moins, des véhicules administratifs pour équiper les véhicules privés.
A cela se greffent la difficulté de retracer le parc des véhicules de l’Etat, et le déséquilibre ou la disproportion entre la gamme ou le standing des véhicules et le niveau de responsabilité des affectataires, ou leur niveau de vie, en violation des dispositions (décrets, arrêtés) existantes qui réglementent tout cela.
Quarante milliards de FCfa de carburant par an
L’autre saignée monstrueuse que subit l’Etat et à laquelle Macky Sall est décidé à mettre un terme, c’est la consommation de carburant : l’enveloppe culmine à – retenez votre souffle ! – quarante (40) milliards de francs Cfa l’année (État et secteur parapublic confondus). Ici aussi, les abus sont la règle ; la bonne conduite est l’exception.
A tous les échelons de l’Etat et du secteur parapublic, les dotations de carburant aux affectataires de véhicules administratifs sont sans rapport avec les besoins réels. La redistribution des dotations à des fins privées est monnaie courante, avec la persistance d’un système de monnayage des tickets et cartes de carburant au détriment de l’État.
Et l’explication de cette situation qui grève le budget national d’un pays sous-développé comme le Sénégal renvoie à une violation généralisée, connue de tous, restée impunie, de la réglementation sur le carburant. Une disposition qui exige cinq (05) litres par jour et par véhicules, donc en moyenne cent cinquante (150) litres par mois et par affectataires. Mais, dans la réalité sénégalaise, les dotations sont très largement dépassée, allant en moyenne de deux cent cinquante (250) à cinq cents (500) litres par affectataires de véhicules.
Montant annuel… surfacturé des réparations : dix-huit milliards de FCfa
Last but not least, le non respect systématique des critères d’ayants droits : seuls ceux qui ont un véhicule de service ou de fonction ont droit à la dotation. Mais, dans les faits, et c’est ce qui est le plus scandaleux, les bénéficiaires qui n’ont pas de véhicules administratifs sont plus nombreux.
Parallèlement à la commande et l’utilisation des véhicules administratifs, et la consommation de carburant par l’Etat et le secteur parapublic, Macky Sall va s’attaquer à une autre plaie : les indemnités kilométriques.
A ce sujet, le principe est simple : ne doivent en bénéficier que ceux qui, après autorisation, utilisent leurs véhicules privés pour les besoins du service. Dans la réalité, c’est autre chose : cette indemnité est presque généralisée sur simple présentation d’une carte grise au nom du requérant. Pis, l’étude indique qu’il est avéré que les bénéficiaires utilisent leurs véhicules exclusivement à leurs besoins privés.
Bamboula des non ayants droits, une dette de plus 100 milliards FCfa sur l’eau, l’électricité et le téléphone
La cinquième bataille dans la guerre déclarée à la gabegie, Macky Sall la mènera sur les champs des frais d’entretien et de réparation des véhicules de l’Etat et du secteur parapublic. Une offensive d’envergure toute légitime lorsqu’on prend connaissance du dernier montant annuel faramineux de la facture : dix-huit (18) milliards de francs Cfa ! Ce qui aurait permis l’acquisition de sept cent vingt (720) véhicules flambant neuf.
Et ce gâchis est d’autant plus scandaleux et inacceptable que, d’une part, ses engagements de près de vingt milliards de francs Cfa sont faits, révèle l’étude, sur des véhicules amortis, ne devant plus être réparés par l’administration ; d’autre part, ils sont caractérisés par une exagération, pour ne pas dire autre chose, des coûts de réparation et d’entretien par des prestataires qui se disent qu’ils ont affaire à une vache à lait : l’Etat.
Une exception : la Présidence de la République déjà assainie
Gabegie, encore gabegie et toujours la gabegie qui étend ses tentacules à d’autres charges courantes de l’Etat et de ses entités du secteur parapublic : les consommations en eau et en électricité, et la facture du téléphone, qui révèlent les tares du rapport du Sénégalais aux biens publics.
Pour le téléphone, l’eau et l’électricité, les factures de l’État sont… globalisées auprès de la Sonatel, de la Sde et de la Sénélec. Conséquence ? Il s’est installé une irresponsabilité généralisée du fait qu’il est impossible de savoir qui consomme combien. Les branchements clandestins sur les réseaux d’électricité et d’eau de l’État sont légion. A ceux-là, s’ajoutent des milliers d’abonnements privés (eau et électricité) au nom de l’Etat.
La facture du téléphone dégringole : de plus de 04 milliards FCfa à 02 milliards FCfa
C’est le cortège des «impossibles» : impossible de retracer auprès de la Sde et de la Sénélec les polices d’abonnements réels de l’Etat, ce qui laisse libre cours à une évaluation hâtive et souvent exagérée des consommations de l’État ; impossible d’avoir une idée précise et exacte du parc de téléphones de l’État, car là aussi les factures sont globalisée auprès de Sonatel, et nul ne sait, aussi au sein de l’État, qui consomme quoi.
En gros, pour l’eau, l’électricité et le téléphone, c’est une énorme bamboula du fait d’agents de l’État, mais aussi de citoyens qui en profitent indument.
De façon globale, le flou est tellement persistant dans le paiement des charges courantes de l’Etat, qu’il est impossible de l’évaluer avec exactitude.
Trois cent cinquante abonnements frauduleux résiliés
Mais, au 31 décembre 2018, les cumuls retracés ont révélé le montant faramineux de plus de cent (100) milliards de francs par an. Une ardoise que l’État n’est jamais parvenu à honorer, qui vient s’ajouter au stock de sa dette auprès d’une foultitude de prestataires. Cependant, au niveau du téléphone, un croisement de dettes Etat-Sonatel, a permis la mise en œuvre d’une compensation.
Ces diagnostics effarants et alarmants établis, une question légitime se pose – que faire et comment ? –, qui renvoie aux méthodes et moyens que Macky Sall va mettre en œuvre pour juguler l’hémorragie.
Un plan de guerre que nous exposerons dans nos prochaines éditions et qui devra épouser les contours de ce que le Président de la République avait entrepris en balayant avec succès devant sa propre porte : la Présidence de la République.
En effet, aujourd’hui, du flou de ce gaspillage, elle est la seule institution qui émerge. La seule à avoir pris le taureau par les cornes pour mettre fin au laisser-aller dans la gestion des logements conventionnés, des consommations en téléphone, eau et électricité, en engageant des réformes aux résultats élogieux, qui n’ont pas manqué de provoquer beaucoup de grincements de dents.
La facture des logements conventionnés passe de seize à sept milliards FCfa
Depuis 2013, la Présidence de la République est la seule à avoir procédé à un recensement exact de son parc de téléphones. La seule à avoir demandé ses factures. La seule à avoir rationalisé ses consommations de téléphone (mobiles et fixe), au moyen de gescompte.
Les résultats ne se sont pas fait attendre : les consommations ont été réduites de soixante pourcent (60%) ; sept cents (700) millions de francs Cfa de baisse rien que sur les mobiles ; la facture globale passant de plus de quatre (04) milliards de francs Cfa à deux (02) milliards de francs Cfa.
Macky Sall est arrivé à ce résultat en ordonnant une réduction drastique du nombre d’abonnés, tous désormais gescomptés (crédits plafonnés), et la résiliation de quelques trois cent cinquante (350) abonnements… frauduleux, aussi incroyable que ça puisse paraître.
Tous les abonnements en eau et électricité identifiés
Pour les logements conventionnés, l’ardoise était scandaleuse à l’arrivée au pouvoir de Macky Sall : seize (16) milliards de francs Cfa par an pour loger une foule de non ayants droits. Une fois que tous ont été quasiment expulsés de ces logements, la facture locative annuelle a dégringolé comme celle du téléphone pour se maintenir à sept (07) milliards de francs Cfa. Mais, Macky Sall ambitionne mieux : zéro convention à usage de bureaux à l’horizon 2022 ; c’est toute l’essence de la construction de cités ministérielles administratives à Diamniadio
Last but not least, pour l’eau et l’électricité, la Présidence a réussi aussi son pari. Elle est la seule administration qui connaît avec exactitude et maîtrise ses polices d’abonnement, ses factures d’eau et d’électricité, après avoir résilié une faune d’abonnements douteux et frauduleux. En somme, ici, on sait qui consomme quoi et combien.
Le Soleil