Comment rire de Macron

Le président a d’abord déconcerté les humoristes. Aujourd’hui, ils inventent une nouvelle façon de railler le chef de l’Etat.

Jeudi 4 mai, 20h20. Paris. Avec les premiers jours de printemps, l’ambiance est à la fête place Blanche, à Paris. Le jour décline doucement entre les pales du Moulin-Rouge. Déjà, les néons fluo crépitent au-dessus des vitrines des sex-shops. Sur le boulevard de Clichy, entre les grappes de touristes désorientés, une foule s’agglutine devant le théâtre des 2 Ânes, le repaire centenaire des chansonniers. Parmi elle, un couple de spectateurs, la soixantaine, détaille l’affiche du spectacle qui va commencer : Tout est bon dans le Macron.

Au premier plan, Jacques Mailhot, humoriste en chef et directeur du lieu, tient un plateau sur lequel déambule un Emmanuel Macron miniature, présenté comme un mets gastronomique. L’effet est saisissant. Mais le couple semble circonspect. « Autant Jacques Mailhot et sa bande m’ont fait hurler de rire avec Chirac, Sarkozy et Hollande, autant là, franchement, avec lui, je demande à voir, lance la femme à son mari. Ce type est quand même le président le moins drôle de la Ve République. » Le couple s’engouffre malgré tout dans la salle. Au théâtre, l’affaire se juge sur pièce.

 Un bon client ?

Le président est au pouvoir depuis un an. L’heure est au bilan. Profitons-en pour poser la question qui fâche (ou qui fait rire) : Emmanuel Macron est-il un bon client pour les humoristes ? Dans ce registre, fait-il mieux ou moins bien que ses prédécesseurs ? De toute évidence, le quadra porte beau, il a le sens de la mise en scène et maîtrise le discours. Autant de qualités, qui, a priori, ne prêtent pas à rire. A croire qu’en bousculant le paysage politique, le nouveau président a également bouleversé les ressorts satiriques.

Mais le vent tourne, enfin. Aujourd’hui, les chroniqueurs de tout bord inventent une nouvelle façon de rire du chef de l’Etat. Des bureaux de Radio France jusqu’aux loges des salles de théâtre, en passant par les coulisses de la chaîne Paris Première, certains s’accordent même à dire que le potentiel comique d’Emmanuel Macron est supérieur à celui de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy. Tiens, voilà justement le couple de sexagénaires qui réapparaît sur le boulevard de Clichy. Leurs mines ravies laissent peu de place au doute : tout a l’air bon dans le Macron.

Retour en 2016. L’ancien ministre de l’Economie déclare sa candidature à la présidence de la République le 16 novembre. Hormis François Hollande, l’annonce ne surprend personne. Et pourtant, ce jour-là, Sandrine Sarroche (Zemmour & Naulleau, Paris Première) s’arrache les cheveux. « Je repasse le discours en boucle et c’est l’angoisse de la page blanche, se souvient la chroniqueuse. Je ne vois pas l’ombre d’une bizarrerie dans son élocution ni dans son apparence, même pas une trace d’auréole sous la chemise. Devant son pupitre, il est un premier de la classe sur lequel on n’a aucune prise. » En clair : le style Macron manque d’aspérités et si, par malheur, le candidat termine à la fonction suprême, la tâche s’annonce tristoune.

« Hollande était un génie »

D’autant qu’en matière de ridicule, les ressources de l’ancien monde sont inépuisables. Quand François Hollande renonce à se représenter, Tanguy Pastureau (La Bande originale, France Inter, Les Terriens du dimanche, C8) s’empresse d’annoncer à l’antenne qu’en l’absence du candidat corrézien, il risque d’abandonner sa carrière à son tour. « Avec lui, la politique ressemblait à une comédie de boulevard, commente-t-il. Souvenez-vous de l’épisode du scooter, du discours prononcé sous la flotte ou des blagues en conférence de presse. Ce type était un génie. »

En comparaison, l’ancien banquier fait pâle figure. Pour Jacques Mailhot, néanmoins, ce changement n’est pas uniquement lié à la personne du chef de l’Etat. « C’est une question de génération, estime-t-il du haut de ses quarante-six ans d’expérience. Laurent Wauquiez, Benoît Hamon, Bruno Le Maire… Ces gars-là sont des technocrates cadrés par des services de com’ interchangeables. » Le chansonnier est formel, avec le départ de François Hollande, la truculence a disparu de la scène politique.

 Mais il faut bien rire. Et, malgré tout, le cas Macron présente un aspect hors norme : sa relation avec son épouse Brigitte, de vingt-quatre ans son aînée. Dans ce sens, la différence d’âge est plutôt rare. C’est tout trouvé. Brigitte est présentée comme une cougar aux dents longues. Les premières salves fusent… Mais les blagues font pschitt. « C’était sexiste et pas très drôle, analyse avec du recul Sandrine Sarroche. Sans nous en apercevoir, nous sommes passés pour des beaufs. Tandis que le président, lui, brillait par sa modernité. » Mais l’humoriste refuse de jeter l’éponge.

Elle décide d’inverser sa stratégie : c’est en normalisant l’âge de la première dame que son mari devient ridicule. Sous sa plume, Macron ressemble à un grand enfant demandant la permission à sa mère pour tout et n’importe quoi. Les sketchs sont visibles sur YouTube ; ils sont hilarants. Emmanuel Macron, enfin, y est risible.

« Le petit gnome de droite puissance 1000 »

L’expérience de la chroniqueuse est révélatrice. Avec le nouveau chef de l’Etat, un changement de méthode s’impose. « Dans l’imaginaire collectif, Hollande le loser a fait place à Macron le winner, avance Jérôme de Verdière (La Revue de presse, Paris Première). Or il est plus difficile de rire d’un winner que d’un loser… Mais c’est faisable. » Chacun se met au travail.

Charline Vanhoenacker et sa bande (Par Jupiter, France Inter) voient en lui le patron infantile d’une start-up. « Il envisage tout à travers les prismes de l’économie et de la réussite individuelle. On peut filer la métaphore de l’entreprise à l’infini », note l’animatrice.

Pour Christophe Alévêque (La Fête de la dette), le locataire de l’Elysée est un Nicolas Sarkozy nouvelle formule. « La gagne l’a rendu vaniteux et arrogant. Au fond, il a les mêmes traits de caractère que le petit gnome de droite, mais puissance 1000 », juge-t-il.

Avec Tanguy Pastureau, il devient le gourou charismatique d’une secte à la dérive. « Je me suis appuyé sur les images de lui en déplacement, explique le chroniqueur. Regardez comme il dévore les gens du regard, sa façon de les toucher, sa ferveur extatique : il a l’air complètement illuminé. »

Quel que soit le parti pris, la règle est identique : il ne faut pas réduire le président, mais l’augmenter. « La technique est la même que celle utilisée pour le général de Gaulle, contextualise Jacques Mailhot. Le bonhomme se voit au-dessus de la mêlée ? On l’asphyxie en le hissant au niveau de Bonaparte. »

Et le public dans tout ça ? Là aussi, les débuts furent houleux. Christophe Alévêque, qui se donne en spectacle dans toute la France dès l’élection présidentielle, s’étonne de la timidité des réactions de ses spectateurs. « C’était très étrange, se souvient-il. Jusqu’en décembre 2017, peu de gens osaient rire. Comme si l’état de grâce, auquel n’avait pas eu droit François Hollande, fonctionnait à plein avec Macron. » A partir de janvier 2018, l’atmosphère se décrispe. Aujourd’hui, Revue de presse, de Christophe Alévêque, fait un carton. Comment expliquer un tel revirement ?

En un an, le président a changé

« C’est une question de pédagogie, avance Charline Vanhoenacker. Pour ma part, je n’ai jamais douté du potentiel comique d’Emmanuel Macron. En revanche, sa novlangue nous impose de passer plus de temps à expliquer le fond de sa politique libérale. Par exemple, il faut d’abord rendre compte de l’inanité des formules, comme son positionnement ‘ni de droite ni de gauche’ ou son attitude ‘à la fois ferme et flexible’, avant de pouvoir en rire. La langue de bois a fait place à la technique de l’enfumage. »

Pendant que les humoristes redoublent d’inventivité, le temps aussi fait son travail. Et l’Elysée agit en révélateur. En un an, le président a changé. La parole jupitérienne est devenue plus fréquente. Le calme olympien dont faisait preuve le candidat lors du débat avec Marine Le Pen a cédé la place à une irritabilité que le président peine à dissimuler.

« En l’absence d’opposition, note Christophe Alévêque, il est gagné par la folie des grandeurs : on le découvre nerveux, tendu, agacé. Son évolution est très intéressante. » En d’autres termes, chassez le naturel, il revient au galop. « Emmanuel Macron, pour l’instant, ne connaît pas l’échec, commente Jérôme de Verdière. C’est l’une de ses particularités. Mais la politique est cruelle. A la fin, quoi qu’il arrive, on finit toujours par perdre. » La saison 2 de Macron à l’Elysée s’annonce tragi-comique.