La Cour de justice de l’Union européenne a jugé la semaine dernière en Autriche, le 3 octobre, que Facebook pouvait être contraint de supprimer dans le monde entier des commentaires jugés injurieux par la juridiction d’un pays européen. Tout est parti de la plainte d’une femme politique autrichienne.
De notre correspondante à Vienne,
Eva Glawischnig est l’ancienne cheffe des Verts autrichiens, aujourd’hui retirée de la politique. En 2016, un internaute poste un article de presse avec une photo d’elle, accompagné d’insultes. Elle y est qualifiée de « traître » et accusée d’être « corrompue ». L’élue demande alors à Facebook de supprimer la publication, en vain.
Elle décide donc de porter plainte contre l’entreprise, lui demandant de supprimer la publication de cet internaute mais également toutes les insultes similaires la concernant présentes sur le réseau social. Un tribunal autrichien ordonne finalement à Facebook de supprimer la publication, ce que fait l’entreprise mais uniquement en Autriche. Cela ne suffit pas aux yeux d’Eva Glawischnig, qui souhaite que Facebook supprime ce message ainsi que les insultes similaires dans le monde entier. L’affaire remonte à la cour suprême autrichienne qui se tourne alors vers la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci donne finalement raison à l’élue autrichienne.
« La lutte contre la haine en ligne… »
La Cour a estimé en effet qu’un hébergeur de contenus comme Facebook pouvait être contraint de supprimer au niveau mondial des commentaires jugés diffamatoires ou injurieux par la juridiction d’un pays européen. En clair : un contenu reconnu illicite dans un pays de l’Union européenne pourra être supprimé non seulement dans ce pays mais également dans le reste du monde. La Cour va même plus loin en jugeant possible la suppression automatique des « contenus identiques ou équivalents » à celui qui a été interdit initialement par la justice. Eva Glawischnig a salué « un succès historique pour les droits de la personne contre les géants du web ». Selon son avocate l’arrêt de la Cour est « une étape clé dans la lutte contre la haine en ligne ».
L’inquiétude des ONG
Mais cet arrêt est loin de faire l’unanimité. Il est critiqué d’une part par Facebook, qui invoque la liberté d’expression. Selon l’entreprise, cette décision « sape le principe de longue date selon lequel un pays n’a pas le droit d’imposer à un autre sa législation sur la liberté d’expression ».
Facebook estime qu’une telle décision ne pourra être appliquée que si les juridictions nationales établissent des définitions claires de ce qui peut être considéré comme un contenu « équivalent » à celui initialement interdit par la justice. Mais certaines ONG, elles aussi, sont inquiètes. C’est le cas notamment de l’association de protection des données epicenter.works. Selon elle, la suppression automatique de contenus équivalents pourrait conduire à effacer des publications qui ne posent pas problème d’un point de vue juridique comme dans le cas de la satire, des publications qui doivent, selon l’ONG, être protégées par la liberté d’expression.
rfi