Les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement tiennent, ce jeudi 26 mars, leur troisième sommet en visioconférence. Objectif : la coordination des efforts face à l’épidémie, mais aussi la préparation de l’après-crise et sa gestion.
Des réactions en ordre dispersé, des gestes qui ont choqué comme le vol de masques destinés à l’Italie par la République tchèque. Après ces journées qui ont mis à très rude épreuve la cohésion européenne et qui ont donné parfois le sentiment d’une Union presque désemparée, cette fois il s’agit de se mettre en ordre de bataille.
Et il y a des signaux plus positifs ces derniers jours, venant de l’Allemagne notamment. Mardi, par exemple, le président de la région Rhénanie-du-Nord-Westphalie s’exprimait devant le Parlement de sa région. Entre mesures de relance et soutien aux malades touchés, Armin Laschet a aussi fait cette annonce : « Nous avons besoin d’une profonde solidarité en Europe, et cela aussi envers nos amis en Italie. C’est pourquoi j’ai proposé hier à l’ambassade de ce pays d’admettre dans un premier temps dix patients des régions particulièrement touchées dans le nord de l’Italie dans nos hôpitaux. C’est une petite goutte d’eau dans l’océan mais nous voulons le dire aux Italiens : « Vous n’êtes pas seuls ». Chaque vie que nous sauvons en vaut la peine ».
La France, elle même pourtant confrontée à des difficultés d’approvisionnement et un début de polémique sur ce sujet, tient à faire savoir qu’elle agit également au nom de la solidarité européenne : un million de masques et 200 000 blouses médicales ont été envoyés à l’Italie. « Il faut sortir de « l’Europe bashing » », dit un conseiller à l’Élysée. « Dans cette crise inédite dans le monde entier, il y a eu des apprentissages et des erreurs ».
Une bataille de la communication perdue
Sauf que dans cette bataille de communication, qui est aussi et surtout une lutte d’influence dans le monde, la Chine et la Russie ont pris beaucoup d’avance. Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, explique : « En janvier dernier, l’Europe avait envoyé à la Chine 56 tonnes de matériel pour faire face à la pandémie. La Chine avait demandé à l’Europe d’être très discrète sur cette aide, et elle avait respecté cette demande. Quelque part, cela se retourne contre elle. La présidente de la Commission a posté plusieurs vidéos, a fait des messages, mais très souvent c’est plutôt l’aide chinoise ou russe qui est médiatisée. En fait, c’est une bataille perdue à ce stade par la Commission ». Le faire savoir, c’est aussi un talon d’Achille de toujours (ou presque) de l’UE : « Ce n’est pas seulement dans cette période que la communication de l’Europe est invisible, souligne Sébastien Maillard. Tout ce que fait l’Europe pour soutenir des projets, de la recherche, des co-financements, passe très souvent inaperçu. L’Europe a perdu la bataille de la communication sur le sens de son projet depuis très longtemps, malheureusement ».
Une difficulté supplémentaire alors que l’Union affronte son troisième choc majeur en quelques années, après la crise financière de 2008 et la crise des réfugiés de 2015. Elles sont d’ailleurs nombreuses les figures européennes à s’inquiéter, comme Enrico Letta. Dans une interview à l’hebdomadaire L’Obs, l’ex-ministre et ex-dirigeant de l’Italie juge que « le coronavirus est peut-être la crise finale de l’idée européenne ».
Une solidarité financière indispensable
Ce jeudi, les Vingt-Sept vont essayer de montrer l’inverse. Et cette fois, il y a des raisons d’espérer que les États membres puissent avancer ensemble, affirme Sébastien Maillard : « Il n’y a pas, dans cette crise, de coupable désigné. Ce n’est pas la faute de la Chine, de la Turquie, des banques, d’un pays qui se serait mal comporté ou aurait été un peu léger sur ses finances. Ça touche tout le monde, qu’on soit dans la zone euro ou pas, ça ne divise pas, ça n’a rien à voir avec la taille d’un pays ou le poids de sa population. Le fait d’être tous confrontés au coronavirus peut inciter à une réponse collective. On en a besoin : on sait que, notamment sur le plan économique, aucun pays ne pourra affronter ça seul, avec ses seuls bras ».
Les esprits évoluent à toute vitesse, souligne-t-on à l’Élysée : « Qui aurait pu imaginer, ne serait-ce qu’il y a deux semaines, l’abandon de la règle des 3% ? ». La solidarité financière européenne est, on le sait, au cœur de l’agenda français. Corona bonds ou pas, peu importe le terme ou le mécanisme, Paris espère faire avancer ce sujet de la dette commune pour financer notamment les systèmes de santé et ne pas laisser l’Italie ou la Grèce « seule face à la reconstruction ».
rfi