Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo acquitté par la CPI, un jour charnière pour le FPI

Pour le Front populaire ivoirien (FPI), c’est sans conteste l’un des jours les plus importants de l’histoire du parti, voire un tournant dans l’histoire politique du pays. Mardi 15 janvier 2019, l’ancien président de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, a été acquitté des charges que la justice internationale faisait peser sur lui, tout comme son compagnon d’infortune, l’ex-leader des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé. Retour sur cette journée savoureuse pour les pro-Gbagbo à Abidjan.

Il est 10h30 mardi matin dans le salon du secrétaire général du Front populaire ivoirien, Assoa Adou. A ses côtés, à Cocody, une trentaine de personnes écoutent la télévision avec attention. La Cour pénale internationale est en train d’annoncer que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont acquittés.

L’assistance explose. « C’est une joie immense qui envahit mon corps, qui envahit mon esprit. Voilà huit ans que nous courrons après la vérité mais aujourd’hui, la joie reprend la place parce que nous venons de faire un grand pas vers la réconciliation nationale », confie M. Adou.

Un peu plus tard, à quelques kilomètres de là, les sympathisants du FPI se rassemblent dans la cour de la résidence de l’ex-première dame Simone Gbagbo. Elle-même sortie du tourbillon judiciaire, l’épouse de l’ancien chef de l’Etat réagit également à la grande nouvelle du jour.

« Moi-même, dit-elle, j’en sors et je sais ce que c’est que d’être en prison. Mais moi, j’étais ici, j’avais la possibilité de manger mon attiéké, de manger mon foutou, mais lui, là-bas à La Haye, dans ce pays froid et loin des siens, c’est horrible et méchant. Et aujourd’hui, on lui rend justice et je rends gloire à Dieu. »

Pour ses partisans, Laurent Gbagbo a surmonté le plus dur. Un maître-mot ce mardi : la réconciliation. L’ex-président est le « chaînon manquant » d’une réconciliation qui n’a pas eu lieu depuis 2011, avancent tous les membres du parti interrogés. C’est à lui de la mener à bien, explique Hubert Oulaye.

C’est lui qui a souffert. Et c’est lui qui doit pardonner. Ceux qui ont échoué n’avaient pas la volonté de réussir. Parce que, pour eux, faire la réconciliation signifie beaucoup de choses. Signifie reconnaître les faits qui sont très graves!
Hubert Oulaye, ancien ministre de Laurent Gbagbo

 

Pascal Affi N’Guessan voit toutes les conditions de l’unité réunies

Hubert Oulaye a plusieurs fois été ministre de M. Gbagbo. « C’est une réconciliation qui n’intéresse pas que les partis politiques, mais qui intéresse tous les Ivoiriens dans leur ensemble », plaide-t-il. Réconcilier ? Conquérir le pouvoir en 2020 ? C’est presque devenu une formalité à l’en croire.

Pour Pascal Affi N’Guessan, qui dirige le courant modéré du FPI dont il était le candidat à la dernière présidentielle, l’acquittement de Laurent Gbagbo crée en effet « toutes les conditions de l’unité, parce que plus que jamais, la possibilité de revenir au pouvoir en 2020 est forte ».

« Il faut donc, ajoute-t-il, que tous les militants de quelque bord qu’ils aient appartenu pendant cette période récente se mettent ensemble pour la reconquête du pouvoir. Je crois que la libération du président Gbagbo va fortement contribuer à l’unité du parti, comme elle va contribuer aussi à la réconciliation nationale. »

L’actuel président du parti se dit prêt à lui rendre son poste : « Le président Gbagbo n’était pas le président du FPI en 2010-2011. Cela fait 17 ans que je suis à la tête de ce parti. S’il pense que c’est en étant président du FPI que nous pouvons reconquérir le pouvoir en 2020, rien ne s’oppose à cela. »

Laurent Gbagbo quittera-t-il sa cellule de Scheveningen dès ce mercredi ? Plus tard ? Peu importe ; pour ses partisans, l’acquittement et la remise en liberté immédiate annoncés par le juge Cuno Tarfusser constituent une victoire définitive. Laurent Gbagbo reviendra très bientôt au pays, ses partisans en sont convaincus.

En Côte d’Ivoire, nous sommes un peuple. Du nord au sud, à l’est et à l’ouest. Des hommes, des femmes, des êtres qui s’amusent, qui rigolent entre eux. Le couteau, la machette, les fusils, vraiment c’est diviser la Côte d’Ivoire
Maurice Lohourignon, président du mouvement «Solidarité Gbagbo»

A Abidjan, la libération de M. Gbagbo ne laisse personne indifférent

Toute la journée de mardi, ainsi qu’une bonne partie de la nuit, l’alcool a coulé à flots à Yopougon, immense commune de l’ouest d’Abidjan réputée acquise à l’ancien président et où, à la mi-décembre, une rumeur sur la libération de M. Gbagbo avait jeté des dizaines de milliers d’habitants dans les rues.

Par milliers, jeunes, vieux, hommes, femmes et enfants ont à nouveau défilé en cortèges pour célébrer la décision de la CPI. Claver, jeune professeur de philosophie au lycée, a tout laissé en plan quand il a appris la nouvelle. « J’étais en plein service, dit-il, et on m’a envoyé un SMS quand le procès a commencé. »

« Lorsque je suis arrivé, le juge a prononcé l’acquittement. J’ai ressenti une joie immense, un soulagement, une liberté pour la Côte d’Ivoire », ajoute-t-il. Défilés dans les rues, réunions arrosées dans les maquis ; la fête a duré toute la nuit, sous l’œil attentif des très nombreux policiers déployés pour l’occasion.

Le reste de la ville d’Abidjan a connu une journée ordinaire. Pourtant, la libération de Laurent Gbagbo ne laisse personne indifférent. Ces dernières semaines, cette libération possible était dans toutes les discussions. Accompagnée d’impatience pour ses partisans. D’inquiétude pour les autres.

Comment ne pas envisager en effet qu’en ramenant en Côte d’Ivoire le dernier des trois protagonistes de la crise de 2010-2011, tout cela ne recommence pas ? Dans l’équation : l’échéance cruciale de 2020, autour de laquelle tourne déjà toute la vie politique ivoirienne actuelle.

 

Rfi