Est-ce un tournant dans la lutte contre la pandémie ? Mercredi 5 mai au soir, les États-Unis annoncent qu’ils sont favorables à la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Bruxelles, Berlin et Paris ont emboîté le pas à Washington ce jeudi et l’Union africaine se félicite de ces évolutions. Concrètement, cela veut dire que les pays en développement pourraient produire du Moderna ou du Pfizer sans demander l’autorisation des fabricants. Mais l’industrie pharmaceutique reste à convaincre.
L’Inde et l’Afrique du Sud le réclamaient depuis longtemps. Les États-Unis, hier soir, ont apporté leur soutien à leur demande. La position américaine pour une levée des brevets sur les vaccins anti-Covid constitue « une remarquable expression de leadership », a déclaré ce jeudi matin le directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies du continent (Africa CDC), qui dépend de l’Union africaine (UA).
Et les réactions se succèdent. Ce jeudi matin encore, c’est la Commission européenne s’est dit, elle aussi, « prête à discuter » d’une levée des brevets des vaccins contre le Covid-19 afin d’en accélérer la production et la distribution. « L’UE est prête à discuter de toute proposition qui s’attaquerait à la crise de façon efficace et pragmatique. Nous sommes prêts à discuter de la façon dont la proposition américaine peut permettre d’atteindre cet objectif », a assuré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
L’Allemagne a emboîté le pas. Berlin est « ouverte » à une « discussion » au sujet de la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid, envisagée par Washington, a déclaré jeudi le chef de la diplomatie allemande, Heiko Mas, qui ajoute : « C’est une question que nous devons nous poser, car il s’agit de mettre fin à cette pandémie » de Covid-19.
Pour ne pas être en reste, la France, par la voix d’Emmanuel Macron, se positionne aussi. Le chef de l’État, qui inaugurait un grand vaccinodrome porte de Versailles ce jeudi matin, se dit « tout à fait favorable à ce qu’il y ait, en effet, cette ouverture de la propriété intellectuelle. Vous m’avez entendu le dire il y a un an. Ce que j’ai dit simplement, c’est qu’aujourd’hui nos goulets d’étranglement, ce qui rend difficile l’accès au vaccin, ce sera à un moment donné le prix et l’accès à la propriété intellectuelle, c’est aujourd’hui le transfert de technologie et la capacité à produire… Oui, nous devons évidemment faire de ce vaccin un bien public mondial. Mais à coup sûr, la priorité, aujourd’hui, est sur deux choses : l’esprit de solidarité et d’efficacité de tous les pays riches, comme l’Europe le fait et comme, j’espère, elle sera suivie par les Britanniques, les Américains et d’autres. C’est le don de doses. À court terme, c’est cela qui nous permettra de vacciner. »
Le président russe Vladimir Poutine s’est dit jeudi favorable à l’idée de lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19. « Bien sûr, la Russie soutiendrait une telle approche », a affirmé M. Poutine lors d’une réunion sur la pandémie retransmise à la télévision, demandant au gouvernement russe d’étudier cette éventualité.
L’industrie pharmaceutique très réservée
La mesure n’a pas encore été approuvée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont la directrice générale plaide pour le développement d’accords de « licence volontaire » de fabrication de vaccins, comme l’a fait AstraZeneca avec le Serum Institute of India, en Inde.
Mais l’annonce américaine a pris de court l’industrie pharmaceutique, farouchement opposée à la suspension des brevets, rapporte notre correspondant à Genève, Jérémie Lanche. La proposition américaine est une réponse simple, mais une mauvaise réponse à la crise, voilà comment a réagi la Fédération internationale de l’industrie pharmaceutique, l’IFPMA, après l’annonce de Washington.
Son patron, Thomas Cueni, affirme que lever les brevets ne permettra pas d’augmenter le nombre de doses disponibles. Ce serait même tout le contraire. « Lever le brevet ne vous donne pas d’autres doses, mais donne un signal négatif et augmentera les problèmes. »
En face, l’organisation GAVI, l’Alliance du vaccin, estime que la multiplication des sites de production pourrait à l’inverse permettre de contourner les blocages dans les exportations. Comme c’est le cas en Inde. « Il y a vraiment une prise de conscience qui est en train de se passer sur le besoin des pays les plus touchés, estime Aurélia Nguyen, responsable du programme de partage de vaccins à GAVI. Et pour répondre à cette crise sanitaire mondiale, il faut vraiment jouer sur toutes les mesures possibles qui vont lever les contraintes d’approvisionnement de vaccins ».
L’OMC doit se réunir à nouveau, le mois prochain, sur ce dossier.
RFI