Crashs aériens : les failles du 737 MAX de Boeing étaient connues dès 2018

FILE - In this March 23, 2019, file photo, a Southwest Airlines Boeing 737 Max aircraft lands at the Southern California Logistics Airport in the high desert town of Victorville, Calif. Southwest Airlines Co. reports earns on Thursday, April 25. (AP Photo/Matt Hartman, File)

Des inspecteurs américains ont envisagé d’immobiliser une partie des appareils après avoir découvert que le constructeur avait désactivé le signal d’alerte pour le rendre payant.

Un Boeing 737 Max de la compagnie Southwest Airlines, le 23 mars 2019 à Victorville, en Californie, avant que les modèles soient interdits de vol. MATT HARTMAN / AP
Des inspecteurs américains ont envisagé de clouer au sol une partie des Boeing 737 MAX, en 2018, après avoir appris que l’avionneur avait désactivé le signal d’alerte censé avertir des dysfonctionnements du système antidécrochage MCAS, a déclaré dimanche 28 avril à l’Agence France-Presse (AFP) une source proche du dossier.

Ces employés de l’Agence fédérale de l’aviation (FAA – Federal Aviation Administration) étaient chargés de superviser et de contrôler la compagnie aérienne Southwest Airlines, la plus grosse cliente du 737 MAX, avec une flotte de 34 appareils en service à l’époque.

Ils avaient émis l’hypothèse d’une immobilisation des avions pour se donner le temps de déterminer si les pilotes avaient besoin ou non d’une formation supplémentaire, a dit cette source sous couvert d’anonymat.

Après des discussions, ils avaient finalement abandonné cette piste, mais l’information n’était pas remontée jusqu’aux hauts responsables de l’agence fédérale, a encore fait savoir la source, confirmant des informations du Wall Street Journal.

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Des signaux soi-disant « opérationnels »
Les inspecteurs avaient découvert que Boeing avait choisi de rendre optionnel et payant le signal d’alerte lumineux, après que Southwest a demandé au constructeur de le réactiver à la suite de l’accident d’un 737 MAX 8 de Lion Air ayant entraîné la mort de 189 personnes le 29 octobre 2018 en Indonésie.

Boeing avait désactivé automatiquement le signal dans les 737 MAX livrés à Southwest sans en informer la compagnie aérienne. Ni celle-ci ni ses pilotes n’étaient au courant des modifications lorsqu’ils ont commencé à faire voler l’avion en 2017, a expliqué à l’AFP une porte-parole de Southwest.

Comme les régulateurs, ils n’ont été mis au courant qu’après le drame de Lion Air. « Avant l’accident de Lion Air, les signaux (…) étaient présentés par Boeing comme opérationnels, peu importe que vous ayez ou non sélectionné la fonctionnalité », a déclaré par courriel la porte-parole de Southwest. Mais « après l’accident de Lion Air, Boeing a informé Southwest que les signaux étaient inopérables si on n’avait pas pris l’option », a-t-elle ajouté. C’est à ce moment-là que Southwest a choisi de prendre cette option pour tous ses appareils, a conclu la porte-parole.

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Contacté par l’AFP, Boeing a assuré que le signal d’alerte allait désormais devenir une fonctionnalité de base et gratuite pour tous les clients. « Ce changement sera effectué sur tous les MAX qu’ils soient en production ou en phase de modification pour ceux qui étaient en service », a déclaré un porte-parole.

De son côté la FAA n’a pas souhaité commenter l’information sur l’immobilisation, mais un porte-parole a dit que le signal était « une option pour les compagnies aériennes ». Le MCAS a également été mis en cause dans l’accident d’un 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines qui s’est écrasé le 10 mars au sud-est d’Addis-Abeba, faisant 157 morts. Lundi, en marge de l’assemblée générale des actionnaires de Boeing, le PDG de l’avionneur, Dennis Muilenburg, a toutefois répété que les différents accidents étaient dus à une « chaîne d’événements ». « Ce n’est pas correct de les attribuer à un seul événement », a-t-il avancé.

Un milliard de dollars perdu pour Boeing
Cette catastrophe aérienne a entraîné l’immobilisation au sol à travers la planète de la flotte des 737 MAX. Boeing travaille à des modifications du MCAS pour obtenir la levée de l’interdiction de vol. La FAA a d’ailleurs annoncé lundi qu’elle allait effectuer un essai en vol « cette semaine ou la semaine prochaine » pour vérifier la mise à jour du système antidécrochage MCAS. « La FAA va ensuite tenir une réunion sur son site de Forth Worth (Texas) le 23 mai avec les autorités de l’aviation civile de plusieurs pays », a fait savoir un porte-parole de Boeing à des journalistes en marge de l’assemblée générale des actionnaires de Boeing à Chicago.

Mais cette crise a déjà coûté 1 milliard de dollars au constructeur. La facture devrait grimper, car l’avionneur va sans doute indemniser les compagnies aériennes qui ont annulé des milliers de vols jusqu’à cet été et ont dû étoffer leurs équipes des services clients et réservations.

Les 737 MAX d’Ethiopian Airlines et de Lion Air n’étaient pas équipés du signal d’alerte, avait révélé à l’AFP en mars une source industrielle. Baptisé « disagree light » dans le langage de Boeing, ce signal d’alerte lumineux s’enclencherait en cas d’informations erronées transmises par une ou deux sondes d’incidence (« Angle of attack », AOA) au système de stabilisation MCAS. Ce dernier mesure l’angle d’attaque et met l’avion en piqué pour lui permettre de reprendre de la vitesse et de s’éloigner du risque de décrochage fatal.

D’après les premiers éléments de l’enquête concernant Lion Air, une des deux sondes d’incidence AOA était tombée en panne. Bien que défaillante, la sonde a continué à transmettre des informations aux calculateurs, notamment au MCAS. Or cet instrument prend la main sur les commandes de vol et met l’avion en piqué, même si le pilote tente de faire le contraire, tant que le système n’est pas désactivé. Avec l’AOA hors service, il aurait fallu désactiver le MCAS. Ce que ne savait pas l’équipage de Lion Air.

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