IGFM – Prenant part au festival du rire de Guéoul, l’artiste comédien Demby Fall porte un jugement sévère sur le théâtre sénégalais. La nouvelle génération est dans son viseur.
M.Demby Fall, vous êtes artiste comédien, très connu par le public sénégalais, quel regard jetez-vous sur le théâtre d’aujourd’hui ?
Depuis 1977, je fais du théâtre et fais partie aujourd’hui des doyens. Il faut le reconnaître, le théâtre a bien évolué ces dernières années. Les artistes de notre génération n’étaient pas guidés par l’argent et faisaient du théâtre juste pour éveiller les consciences. Nous étions bien formés, encadrés. A l’époque, il n’y avait qu’une seule télévision et une seule radio, nationales (Rts). Aujourd’hui, les enjeux ne sont plus les mêmes, les données ont véritablement changé. Le théâtre est devenu un véritable business. Les artistes tirent profit des retombées de la publicité et du sponsoring. Ils commencent à vivre de leur art. Certains parmi eux ont des véhicules de luxe et disposent de belles maisons et autres biens. Ils font du business, car ils acceptent de jouer n’importe quel thème ou d’interpréter tout rôle qu’on leur propose. Mais ils ne mettent plus en exergue nos valeurs et portent le plus souvent atteinte à nos bonnes mœurs.
Faites-vous allusion à ces téléfilms, où l’on retrouve des séquences osées, par exemple, l’habillement des jeunes filles, le fait de s’embrasser…?
Cela ne fait pas partie de notre culture. Et nous devons avoir le courage de le dénoncer. Diffuser certaines images, comme s’embrasser, se caresser, ou coucher en couple sur le même lit, cela ne fait pas partie de notre culture. Certaines séquences doivent être revues et corrigées. Nous nous désolons aussi de certains comportements et des artistes qui s’habillent d’une manière indécente à la télé. Nous ne devons pas laisser de côté nos valeurs. Très souvent, quand ils imitent l’accoutrement des Européens pour ensuite s’exprimer en wolof, ils déroutent les téléspectateurs. Ils font n’importe quoi. C’est ça la vérité.
Mais le théâtre d’aujourd’hui, qui irrite les puristes comme vous, nourrit bien son homme…
C’est la même chose que la lutte, seul un petit groupe, les «Ténors», brassent des millions et pourtant, les combats mettant aux prises les jeunes lutteurs sont plus intéressants. Ces jeunes-là ne gagnent rien. Le théâtre c’est par étape. Chaque année, il y a des révélations. Il appartient à ces gens-là de bien gérer leur carrière pour mieux préparer leur avenir.
Est-ce-que Demby Fall gagne sa vie avec le théâtre ?
Le théâtre m’a tout donné. Il m’a permis d’avoir une maison, de régler mes problèmes et de payer la scolarité de mes enfants. Seulement, il faut le dire, notre métier est très poreux. Aujourd’hui, les lutteurs, les journalistes, les animateurs, les musiciens, sont tous devenus des artistes comédiens et pourtant, ils ont leur salaire. C’est Dieu qui veille sûrement sur ce métier, car nous soignons nos semblables, malades, avec le rire. Les artistes sénégalais sont fatigués. Le public sénégalais aime suivre les prestations des artistes, mais ne sait pas comment les aider. Par exemple, si l’on faisait une entrée payante dans une salle de spectacle, personne ne paierait 50 FCFA. Pourtant, si c’était de la musique, ils n’hésiteraient pas à casquer 50 mille francs.
«Je suis choqué…»
Il se dit que les artistes évoluent dans un milieu malsain, où l’on fait recours souvent au maraboutage pour nuire à un concurrent, en se basant sur votre longue expérience, pouvez-vous confirmer ou infirmer de telles allégations ?
Moi, je n’ai jamais été marabouté, je n’ai jamais non plus marabouté personne. Seulement, ces pratiques font partie des réalités sénégalaises. Dans tous les secteurs de la vie, les gens le font. Les lutteurs, les footballeurs, les musiciens et tant d’autres, mettent en avant ces pratiques pour se positionner. Les artistes comédiens sont les plus indexés, car ils ont tout simplement bon dos. Je suis choqué d’entendre les gens dire, souvent à tort, que nous nous entretuons avec ces histoires de maraboutage. Ce n’est pas vrai. Ces pratiques malsaines existent partout. L’artiste tombe malade comme tout le monde. Il trouvera à l’hôpital des milliers de ses compatriotes, qui trainent la même maladie. Mais les mauvaises langues, sans essayer de comprendre, soutiennent qu’il a été marabouté. Ce qui n’est pas souvent le cas, car nous sommes tous appelés à mourir.
Quel conseil donnez-vous à la jeune génération d’artistes comédiens ?
Je leur conseille de mettre en avant la culture sénégalaise. Il faut qu’ils veillent davantage sur leur habillement. L’artiste doit s’habiller décemment et doit aussi modérer son langage. Nous avons tous été éduqués dans la pudeur et le respect de nos valeurs. Et il faut que l’artiste sache qu’il s’adresse à toutes les couches sociales, y compris les autorités religieuses. Si le théâtre fait la promotion des antivaleurs et n’éduque pas, cela veut dire qu’il a perdu sa vocation.
ABDOU MBODJ