Le Ramadan est une période de forte consommation. Il faut savoir anticiper sur toute la chaîne pour satisfaire tous les intervenants et tirer son épingle du jeu, fait savoir Malick Seck. Le patron Afrique de RIA Money Transfer, spécialiste en Marketing, et son confrère Cheikh Tidiane Guéye (TCT Mobile Sénégal) analysent, pour REUSSIR, les comportements des consommateurs et des entreprises durant cette période.
Comment analysez-vous l’impact du Ramadan sur le comportement des consommateurs ?
Tidiane Guéye : Quand on parle de l’impact du Ramadan sur le comportement du consommateur final, il est évident qu’on fait allusion au Musulman qui jeûne pendant un mois et qui fait preuve d’une certaine abstinence pour ce qui est de la nourriture et de la boisson. Celui qui reste, très tôt le matin jusqu’à 19-20H le soir sans manger ni boire, forcément voit ses habitudes alimentaires changer. Il a l’habitude de prendre les trois repas quotidiens et là, voilà qu’on lui demande de s’abstenir pendant un mois. Evidement, pendant cette période, on essaie de gérer les efforts, de chercher à les calculer pour ne pas trop dépenser, mais il va s’en dire que le rythme ne suit pas forcément.
Du coup, ce qui va se passer chez ce consommateur final, il est physiquement affecté parce qu’il n’a plus le même apport en calories, alors qu’il garde sa même débauche d’énergie, soit intellectuelle parce qu’il est au bureau, soit physique s’il est dans une activité pénible. Je pense aux professionnels qui jeûnent donc, forcément le corps est éprouvé. Mentalement aussi, le corps est éprouvé quand on n’est pas suffisamment préparé, surtout à des heures précises où on avait l’habitude de prendre son café, son repas, etc. Des moments très pénibles chez le jeûneur, particulièrement les jeunes. Pour eux, les rares instants de répit sont quand ils font leurs ablutions, un peu plus prolongées, histoire de se rafraîchir… Une des raisons qui fait que beaucoup de jeunes, pendant le Ramadan, préfèrent aller à la plage, une façon d’humidifier un peu le corps et de sentir un peu moins la pression du jeûne, parce qu’ils sont entre copains, par exemple, etc.
D’autres le passent beaucoup plus à l’aise parce qu’ils sont déjà préparés à ça, psychologiquement. Ils savent que c’est un acte de dévotion, des moments forts de symbiose et de synchronisation avec son Seigneur. Ils prennent beaucoup sur eux.
Alors, ce qui est paradoxal, c’est que pendant le Ramadan, certains maigrissent, perdent du poids ; d’autres, par contre, grossissent. Certains jeûneurs se passent des trois repas quotidiens, comme imposé par la religion durant la journée, mais se rattrapent entre le crépuscule et la prière de Fadjr (l’aube). Ce sont eux qui prennent du poids ou ceux qui passent la majeure partie de la journée à dormir, étant en congés ou sans activités. Des personnes un peu oisives qui, avec la prise des repas, surtout des boissons sucrées après les repas gras, se couchent directement sans prendre la peine de digérer avant de dormir. Il y a une accumulation de graisses et de calories qui fait que le jeûneur est, malheureusement pour lui, pendant cette période, dans une situation de prise de poids supplémentaire.
«La consommation de dattes, pendant le Ramadan, est extraordinaire. On constate aussi une surconsommation des boissons chaudes sucrées (café, lait, thé…) et des boissons fraiches (bissap, gingembre, corossol…).Cheikh Tidiane Guéye
Malick Seck : Pour ma part, je constate un paradoxe. Le mois de Ramadan, c’est un mois de sobriété et d’abstention et, en même temps, un mois de forte consommation de la part des Musulmans. On consomme beaucoup pendant ce mois, alors qu’on a que deux repas par jour au lieu des trois. Les sociétés agro-alimentaires le savent ; je ne dis pas qu’elles en profitent, mais ça fait partie des pics de consommation. Vous savez, dans notre métier comme dans beaucoup d’autres, on tient compte de la saisonnalité. Le Ramadan, à l’image de Noël dans d’autres pays, est une période de forte consommation et, par conséquent, les sociétés, les distributeurs, tout le monde s’organise par rapport à cette période ou abstinence dans la journée rime souvent avec abondance dans la soirée. Le mois béni de Ramadan est une période de grande dévotion et de prières, mais aussi un moment privilégié des Sénégalais pour diversifier leur mets. C’est le mois des records : pic de la consommation et, naturellement, pic des investissements publicitaires par les entreprises, mais aussi pic des recettes pour les médias.
Le Ramadan, qui supposé être un mois de recueillement et de forte religiosité, est aussi devenu un contexte social festif, notamment en Afrique du Nord, en Turquie, dans les pays musulmans du Golfe et en Asie.
Aujourd’hui, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre un gaspillage indigne dans certains pays musulmans durant ce mois de la modération.
Par rapport aux activités économiques, avez-vous noté des changements ?
T.G : Présentement dans mon cas, je suis consultant, dirigeant de TCT Mobile Sénégal et représentant d’une marque de téléphone. Pendant le Ramadan, nous souffrons. C’est une période pendant laquelle les dépenses de consommation sont plutôt alimentaires, des denrées de première nécessité pour l’essentiel, sachant que c’est un pays avec +90%, voire 95% de Musulmans. Du coup, un téléphone n’est pas forcément un produit recherché par le consommateur final, pendant cette période. Certains essaient de booster leurs ventes avec des promotions, mais ce n’est pas le cas chez Alcatel, on connaît nos limites pendant cette période. Donc, nos ventes ralentissent, parce que le consommateur lambda va dire : «Un mois ou 15 jours avant le Ramadan, c’est le temps d’économiser un peu d’argent pour le préparer et vers la fin du mois, on est beaucoup plus sur les dépenses d’habillement pour la fête de Korité ou de dépenses alimentaires…» Après le Ramadan, c’est aussi une période creuse. Ce qui fait que nous, dans la vente des appareils de téléphonie, nous avons 2 à 3 mois, en général, pendant lesquels nous sommes assez impactés par le Ramadan. Par contre, il y a d’autres périodes assez festives comme les vacances, les fêtes de fin d’année, la fête des parents pendant lesquelles on peut offrir des cadeaux, donc des téléphones…
On dirait que le transfert d’argent est bien boosté durant cette période, alors quelle est la stratégie RIA pour capter ces opportunités liées au Ramadan ?
M.S : Oui, nous avons un plan ! Nous sommes présents dans 150 pays sur les 5 continents. Vous savez, à l’exception des pays du Golfe, la plupart des pays musulmans sont des pays de réception de transferts d’argent (Sénégal, Afrique du Nord, Bengladesh…). Depuis quelques semaines, les Directions Europe, Amérique et pays du Golfe organisent des promotions et multiplient les supports de communication en préparation de ce mois de Ramadan. Et les messages sont naturellement adaptés aux us et coutumes de la Diaspora du pays de destination des transferts.
Nous fonctionnons par corridor. Notre métier, c’est un peu comme le transport aérien. Il y a des corridors, des couloirs directs entre l’Italie et le Sénégal, la France et le Maroc, l’Allemagne et la Turquie, les Emirats et Bangladesh, etc. Et sur ces couloirs, nous organisons des promotions durant le mois de Ramadan et la période précédant la Tabaski. Ça peut être un cadeau qu’on offre après l’émission ou le retrait d’un transfert ou des tarifs très attractifs pour booster le volume. C’est un mois où on bat des records. En termes de volumes, on a des augmentations de 20 à 25% pendant le Ramadan. Il y a des pics, par exemple, à la rentrée des classes, le Ramadan, la Tabaski, la fin de l’année… Et vous savez l’importance des transferts d’argent dans les pays en développement… Ils permettent de lisser la consommation pour permettre à ceux qui n’avaient pas les moyens de pouvoir faire comme les autres. Et les migrants envoient énormément d’argent à leurs familles pour un mois de Ramadan paisible.Très souvent, ils envoient une ou deux fois par mois, mais pendant le Ramadan, le panier augmente, la fréquence aussi…
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«Le Ramadan aussi, à l’image de Noël dans d’autres pays, est une période de forte consommation et, par conséquent, tout le monde s’organise par rapport à cette période…», Malick Seck
Avec votre casquette de Senior en Marketing, avez-vous remarqué d’autres tendances de consommation très forte durant le Ramadan ?
M.S : Il y a aussi une forte consommation de produits laitiers, surtout le fromage et le lait, la viande rouge et de la volaille, selon les pays et les habitudes alimentaires. Aussi, les entreprises avaient l’habitude d’offrir des cadeaux à leurs clients et partenaires en fin d’année. Depuis quelques temps, le mois de Ramadan est devenu le mois des cadeaux d’entreprise. Certaines sociétés offrent même des coupons de bazin. Le Ramadan participe, en fait, à renforcer et raffermir les relations clients-fournisseurs et les relations entre partenaires. La tradition de la société sénégalaise se reflète également dans nos entreprises.
La suite de cet entretien croisé lundi 4 Juin prochain