Le nom de Fass est souvent associé à ce félin sauvage, prédateur des forêts, reconnaissable à sa fourrure rousse rayée de noir. Le titre de Tigre de Fass a été attribué avec tout le mérite qui sied, à l’un des plus grands lutteurs du Sénégal, depuis le jour où Mbaye Guèye se faisait ouvrir en plein échange de coups, l’arcade sourcilière.
Il a refusé de voir le combat être arrêté aussi bien par ses partisans, que par les arbitres. Il terrassa ce jour-là, Sa Ndiambour, d’une victoire sans bavure, malgré un visage tout paré de zébrures ensanglantées, creusées par la férocité des poings.
La disparition annoncée de Mbaye Guèye en cette matinée pluvieuse du samedi 7 août 2021, est ressentie comme un sevrage soudain de plusieurs années de gloire de la première école de lutte du Sénégal, dont il fut le porte-étendard. Mbaye Guèye régalait toute une génération avec son talent exceptionnel, moulé autour d’un courage rarement rencontré dans ce milieu de la lutte.
Tout le temps dans la provocation, il a été le précurseur de face-à-face houleux, en utilisant des mots suffisamment durs pour déstabiliser psychologiquement son éventuel adversaire. Cela ne date pas d’aujourd’hui.
Ses entrées spectaculaires, au rythme endiablé du tam-tam de Vieux Seng Faye, ponctuant une marche composée de petites enjambées zigzagantes, le visage aspergé de lait caillé, le ruban mystique de couleur blanche bien serré dans ses mains, assurant la symétrie des mouvements hélicoïdaux des deux bras pointés vers le ciel. C’était ça la grande épopée de l’écurie Fass, incarnée pendant plusieurs années par Mbaye Guèye. Vivement que la commune de Gueule Tapée Fass Colobane puisse se doter d’un véritable musée de la lutte sénégalaise, où serait exposé tout le patrimoine culturel lié à ce sport national.
Les Fans Clubs, les cachets à millions, la lutte avec frappe, l’interdiction aux passants d’emprunter la ruelle qui mène vers sa maison les semaines qui précèdent ses combats : Mbaye en était également le précurseur. C’était ça le charme de l’écurie de Fass. Etant tout jeunes, nous nous amusions à vouloir traverser les barrières infranchissables gardées de jour comme de nuit. Et l’acceptation de nous laisser passer par les équipes qui disait «ha bayi ko ki souniou Mara la» nous envahissait de joie, car ayant le sentiment de faire partie du cercle de confiance. C’était devenu pour mes amis et moi, avec notre démarche de star, un jeu qui valait tous les détours.
Mais en réalité la famille de Mbaye Guèye vouait une très grande estime pour tout ce qui était lié à Seydi Djamil. A la veille de chaque combat, le Tigre de Fass venait humblement devant Serigne Moustapha Sy Djamil (RTA), lui tendre les mains pour une prière. Ce rendez-vous était devenu pour nous, enfants de la maison, un prélude au spectacle qui devait être servi le lendemain par le grand champion Mbaye Guèye. Nous le guettions toute une journée car ne connaissant pas l’heure à laquelle il allait se pointer, accompagné de notre frère Serigne Cheikh Tidiane Sy (son grand ami). Un jour, un grand dilemme s’est posé lorsque Alioune Seye (fidèle sympathisant du Marabout) est venu le matin recueillir les prières et Mbaye Guèye le soir. C’était un ouf de soulagement (surtout pour Ndiaye Khalifa) lorsque nous avons appris que le combat s’est terminé en queue de poisson sans vainqueur.
A tous les habitants de la commune de Gueule Tapée Fass Colobane, Serigne Mame Gorgui Ndiaye en tête, nous présentons nos sincères condoléances. Avec la famille du Tigre de Fass, je partage la douleur. A Moustapha Guèye, j’adresse mes sincères remerciements pour nous avoir accompagné Pape Fall et moi, à son chevet, il y a moins d’un an, afin de nous enquérir de son état de santé. Moustapha Guèye a dignement accompagné son frère jusqu’à son repos éternel. Il a tout hérité de lui, en le surpassant. Son talent, sa bravoure, sa fougue, sa témérité, alors qu’il avait plutôt pris l’option de devenir un grand footballeur. Jusqu’au jour où lors d’un mbapatte, un grand lutteur a terrassé tour à tour les Mbita Ndiaye, Birahim Ndiaye, Toubabou Dior. C’est un jeune habillé d’une tenue de foot qui est venu lui régler son compte. C’était un Moustapha Guèye qui venait de se révéler aux grands dignitaires de l’écurie comme un successeur potentiel du Tigre de Fass. Et c’était le cas.
A Abass Ndoye et à tous les pensionnaires de l’écurie Fass, je renouvelle mes encouragements, afin de maintenir cette flamme de la lutte qui continue d’alimenter les passions dans cette belle localité qui regorge de talents à l’instar de Gris Bordeaux mais également de génération plus jeune comme Anti, Ada Fass, Bo Gars, Plateaux, Siteu bou Anti, Benteigner et tant d’autres. Vous avez Mbaye Gueye en legs et son élégance en exemple.
Il a été Tigre jusqu’à son dernier souffle. Que la terre de Touba lui soit légère.
Adieu Serigne Cheikh Mbaye Guèye Yalla na Yalla Yessal Yeurmeundém thi sa kaw, kharé le Aldiana Firdawsi. Amine.
El Hadji Cheikh Oumar Sy Djamil
Dimanche 8 Août 2021