En Malaisie, le parti au pouvoir depuis 1957 a perdu les élections législatives du mercredi 9 mai 2018. Mahathir Mohamad, 92 ans, qui a déjà dirigé le pays, a mené à la victoire la coalition de l’opposition. Il va probablement retrouver le poste de Premier ministre, qu’il avait quitté en 2003.
Pour la première fois depuis 1957 et son indépendance de la Grande-Bretagne, la Malaisie ne sera pas dirigée par la coalition Barisan Nasional (Front national, BN). La coalition de l’opposition Pakatan Harapan, l’Alliance de l’espoir, avec un parti allié dans l’Etat de Sabah à Bornéo, a en effet remporté 121 sièges, soit la majorité absolue nécessaire pour former un gouvernement, selon les résultats officiels fournis par la Commission électorale. Pour Elsa Lafaye de Micheaux, spécialiste de la Malaisie et maître de conférences à l’université de Rennes 2, c’est « une grande page qui va s’ouvrir, une page nouvelle de l’histoire de la Malaisie ».
« La majorité des Malaisiens célèbrent l’évènement à leur manière, dans la joie. Il y a beaucoup de monde dans les rues, dans les centres commerciaux, on sent que les gens sont heureux et ravis que le peuple ait enfin gagné », renchérit Ahmad Fauzi Abdul Hamid, professeur de sciences politiques à l’université Sains Malaysia. Le chercheur salue une autre première : « Voir tous les malaisiens se réunir autour d’une coalition qui ne se sert par des questions éthniques et religieuses, comme principal programme électoral ou politique ». En effet, explique-t-il, « la coalition de l’opposition a construit son agenda politique, du moins pour l’instant, sur la lutte contre la corruption, la transparence, le partage équitable des richesses du pays et a proposé un bien meilleur programme concernant les minorités, les races et les religions ».
Le probable futur nouveau Premier ministre, Mahathir Mohamad, qui a conduit avec succès la campagne de l’opposition, n’est pourtant pas un novice à la tête du pays, bien au contraire. Mahathir a auparavant dirigé la Malaisie d’une main de fer pendant 22 ans, entre 1981 et 2003, sous la bannière du BN. Celui qui va devenir le plus vieux Premier ministre au monde a expliqué au cours de la campagne vouloir réparer ses « erreurs » et remettre le pays sur les rails, rapporte notre correspondante à Singapour, Carrie Nooten.
Après la victoire de sa coalition, il a déclaré à la presse ne pas chercher « la revanche » et vouloir « restaurer l’Etat de droit ». Il s’attend à être investi ce jeudi. De son côté, le Premier ministre sortant, Najib Razak, 64 ans, a annoncé « accepter le verdict du peuple » et reconnu sa défaite, ce jeudi. Au pouvoir depuis 2009, il est apparu très touché après le revers historique subi par son parti.
Une sortie de retraite couronnée de succès
Le retour spectaculaire de Mahathir Mohamad pour défier son ex-protégé, empêtré dans un scandale de détournements de fonds, a donc eu l’effet espéré : provoquer un séisme politique dans ce pays d’Asie du Sud-Est à majorité musulmane.
Sorti de sa retraite à l’occasion de la campagne pour les législatives, le nonagénaire s’est allié avec des partis qui étaient opposés à lui du temps où il était au pouvoir (1981-2003), en particulier avec son ex-ennemi juré, Anwar Ibrahim, un dirigeant de l’opposition actuellement emprisonné. Certains chuchotent d’ailleurs qu’une fois Anwar gracié, le pouvoir pourrait lui être confié.
La coalition d’opposition avait gagné du terrain ces dernières semaines. Elle a rogné sur le socle électoral des partis au pouvoir, les Malais musulmans qui forment l’ethnie majoritaire de cet Etat.
Le Premier ministre sortant impliqué dans un scandale de corruption
Habitués à un découpage électoral qui favorise la majorité et aux petites manœuvres de scrutin, très peu d’électeurs pensaient possible que le Barisan Nasional perde la main sur la Malaisie un jour. Déjà, aux dernières élections, ils avaient manqué ce rendez-vous historique de très peu.
Mais, cinq ans plus tard, l’augmentation du coût de la vie a fait encore plus de mécontents et le premier ministre Najib Razak, dont l’image s’est fortement écornée dans un gigantesque scandale de corruption, a vu ses soutiens se mobiliser moins fortement.
Le fonds souverain 1MDB, créé par Najib Razak à son arrivée au pouvoir en 2009 pour moderniser la Malaisie est en effet aujourd’hui endetté à hauteur de 10 milliards d’euros. Surtout, il est au cœur d’allégations de corruption qui font l’objet d’enquêtes dans plusieurs pays, notamment en Suisse, à Singapour et aux Etats-Unis.
(et avec agences)