Entretien avec Papa Massata Diack : «Si la Cour d’appel n’est pas biaisée, j’aurai…»

Entretien avec Papa Massata Diack : «Si la Cour d’appel n’est pas biaisée, j’aurai...»
Entretien avec Papa Massata Diack : «Si la Cour d’appel n’est pas biaisée, j’aurai...»

Après le verdict du procès sur le dopage russe prononcé par la justice française le 16 septembre dernier avec de sévères sanctions pour le Président Lamine Diack et son fils Papa Massata Diack, ce dernier a fait face à la presse pour livrer sa part de vérité. Certaines questions n’ont cependant pas été abordées et d’autres l’ont été de manière lapidaire.

RECORD a ouvert ses colonnes à Papa Massata Diack qui s’est prononcé à cœur ouvert sur ce dossier du dopage russe qui défraie la chronique depuis quelques années maintenant.

Le Président Lamine Diack est retourné devant les juges à Paris le jeudi 24 septembre. Quelle lecture en avez-vous fait ?

J’apprends effectivement qu’il y a une deuxième instruction sur le dossier des Jeux Olympiques de Rio, de Tokyo et des championnats du monde de Doha. C’est tout ce que j’en sais. Je n’ai reçu aucun acte d’instruction sur ce dossier donc je ne peux pas en parler.

Donc, vous n’êtes pas concerné par cette nouvelle affaire à titre personnel ?

Ils (les juges français) parlent de mes sociétés mais comme je n’ai reçu aucun acte d’instruction, je ne peux pas m’avancer sur ça. Le dossier pénal français, je ne l’ai reçu que cinq jours avant l’audience. Je ne l’ai jamais reçu et ils ne m’ont jamais signifié bien que j’ai accepté la commission rogatoire. Mais entre le 13 janvier 2020 lorsqu’on est apparu au tribunal et jusqu’au mois de juin, ils ont refusé de me donner le dossier. Ils ne me l’ont donné qu’à cinq jours du procès. C’est presque dix mille pages qu’on a eu à digérer et à envoyer nos points à nos avocats français, dont Me Antoine Beauquier.

J’ai répondu à toutes les questions qui étaient au nombre de 35. On a annexé 12 documents. J’ai montré juste un document : les droits de télévision sur la Russie. L’ordonnance de renvoi parle de 6 millions d’euros (3,9 milliards de FCFA). Alors qu’il est écrit ici 1,2 million d’euros (787 millions de FCFA) avec papier en-tête de la télévision russe. Donc, s’ils avaient intégré l’accusation disant qu’on a renégocié des contrats avantageux de VTB Group, ils ne l’auraient pas avancée. C’est juste un des points et j’ai répondu à toutes les 35 questions.

L’ordonnance de renvoi du juge, de mai 2020, ne prend pas en compte mes réponses. Alors qu’il disait que l’excuse de renvoi de six mois, c’est qu’ils venaient d’avoir les documents de Pape Massata Diack. J’ai ici l’ordonnance de renvoi de Renaud Van Ruymbeke au mois de juin 2019. Il ne m’a même pas entendu et il a renvoyé en correctionnel. La nouvelle (ordonnance) ne pouvait pas avoir d’excuse. Cela montre le parti pris de la justice française. C’est un procès à charge et pour moi la messe était déjà dite.

Le Sénégal a refusé de vous extrader comme le réclamait la justice française. Confirmez-vous que la justice sénégalaise a mené ses propres investigations vous concernant ?

Effectivement. J’ai les mêmes chefs d’inculpation. Le procès est à ciel ouvert (rires) donc le doyen des juges n’avait pas besoin de faire des investigations supplémentaires. Tout est dans la presse et j’ai été mis sous contrôle judicaire dès 2016. Dire que le Sénégal refusait de m’extrader… La lettre du ministre Sidiki Kaba (ministre des Affaires étrangères au moment des faits) était sans équivoque, j’ai tout lu lors de la conférence de presse.

Ce document disait que c’est une affaire qui concerne un citoyen sénégalais et dont les sociétés sont au Sénégal. Donc, on va exercer notre souveraineté juridique. En droit international, aucun pays au monde n’extrade son citoyen. Je ne sais pas pourquoi ils veulent mettre la pression sur le Sénégal à ce niveau là. Ça ne tient pas la route, d’autant plus que le parquet financier a notifié le juge d’instruction que le Sénégal exercera sa compétence juridique et sa souveraineté.

Il n’y a pas besoin de faire une commission rogatoire internationale, mais il a continué à insister. Il a écrit directement au ministre de la Justice en violant même le sacro-saint principe du droit. Le ministre n’a même pas répondu et cela montre que Renaud Van Ruymbeke se foutait du Sénégal. Il voulait faire son show mais ça n’a pas marché.

Qu’est-ce qui explique alors ce qui apparaît comme un acharnement du juge Van Ruymbeke ?

Parce que j’ai refusé de déférer à sa convocation. Il pensait m’intimider. Je ne m’y suis pas rendu pour trois raisons. La première, je ne suis pas citoyen français, je ne suis pas résident français, contrairement à ceux qu’ils disent. Je n’ai jamais habité à Monaco ou encore à Paris. J’habitais au Sénégal et je ne vois pas pourquoi je devais répondre. Deuxièmement, dans le rapport qui a été déposé au parquet financier, le principe du contradictoire a été violé. C’est un rapport entièrement mensonger sur tous les plans. Pour preuve, dans l’ordonnance de renvoi le nom de la personne qui a fait le rapport disparaît.

Richard Pound n’est plus celui qui a fait le rapport. Celui a fait le rapport s’appelle Anthony Hopper. Alors que tout le monde sait que la dénonciation a été faite par Richard Pound. Ils disent que l’AMA (Agence mondiale antidopage) a fait une commission d’investigation et ils mettent entre parenthèses Anthony Hooper. Van Ruymbeke avait fait la même chose en disant que c’est un certain Anthony Hooper, alors que tout le monde sait que c’est le rapport de l’AMA. Comme ils m’ont entendu dire que le rapport est biaisé, ils ont dit qu’on risque de tomber et le procès n’aurait pas lieu pour cause de nullité. Ils se sont empressés de mettre ce rapport (Anthony Hooper) qui ne fait pas partie de la commission d’investigation.

Il n’a jamais été à l’AMA, c’était le rapporteur de la commission d’éthique de l’AMA. Les faits m’ont donné raison. Et heureusement je ne me suis pas rendu là-bas. Car ils auraient procédé comme ils ont fait avec mon père, c’est-à-dire t’attraper et chercher des preuves. Ce n’est pas une enquête ça. Dans une enquête, on cherche des preuves, on auditionne et on confronte, avant d’ouvrir une information judiciaire. Ils ont enquêté pendant trois ans pour Michel Platini et deux ans pour l’affaire Bernard Laporte. Quand il s’est agi de Lamine Diack, on l’a mis en garde à vue au bout de deux jours. Donc, je n’avais aucune raison de déférer à la justice française.

Néanmoins des Sénégalais (et des Africains) estiment que vous ne devriez pas laisser votre père affronter seul la justice française. Que leur répondez-vous ?

Non, je ne l’ai pas laissé seul. La preuve, j’ai constitué cinq avocats et je me suis présenté au 13 janvier 2020. Si j’avais laissé mon père, j’allais faire comme les Russes Alexeï Melnikov et Valentin Balakhnitchev qui ne se sont pas présentés. Ils n’ont pas envoyé d’avocats et n’ont même pas répondu à la justice française. Le juge a émis un mandat d’arrêt contre eux en 2019, alors que moi d’entrée de jeu, en décembre 2015, il a lancé un mandat d’arrêt international. Ce sont les Russes qui ont abandonné Lamine Diack. Il (Lamine Diack) est laissé seul par ses collaborateurs.

Aujourd’hui, on ne voit aucun de ses collaborateurs venir témoigner en sa faveur, aucun membre du Conseil. Personne ne le connaît. Il est laissé à lui seul. J’ai été là-bas, j’ai fait des frais en constituant des avocats, deux Sénégalais et trois Français. Ils n’ont pu être là-bas en juin 2020. Dans cette affaire, je ne suis pas défendu car mes avocats n’ont pas pu se rendre en France. Alors que Lamine Diack a présenté ses preuves et conclusions en présence de ses avocats. À cause de la Covid-19, mes avocats n’ont pas pu faire le déplacement. J’ai demandé le renvoi et ils ont refusé. On fait le procès et on te condamne. Je dis que ce n’est pas un procès.

Et quel est l’état d’esprit du Président Diack avec toutes ces péripéties ?

Je n’ai pas de contact. Les gens qui reviennent me disent qu’il a le moral, qu’il tient le coup. Il vieillit peut-être, mais je pense qu’il va mieux. Je ne peux pas trop m’avancer.

Avec quelques semaines de recul, quel regard portez-vous sur la peine prononcée à votre encontre par la justice française : cinq ans ferme et un million d’euros d’amende ?

Premièrement que le jugement est dépourvu de toute logique. En droit pénal, on parle de soupçons, de charges et de preuves. Là, on n’a vu aucune preuve. Le deuxième point, on a parlé de corruption, que nous avons reçu de l’argent d’athlètes russes. Pourquoi ils ont été en Russie en commission rogatoire ?

Ils ont fait le déplacement et ils n’ont pas entendu les athlètes qui nous ont «corrompus», ni ne les ont inculpés encore moins mis en examen. Alors que dans le cas de Nasser al-Khelaïfi (président du PSG, ndlr) pour les soupçons de corruption qu’ils ont sur les championnats du monde de Qatar avec le contact signé avec la société de son frère et Pamodzi Consulting (structure appartenant à Papa Massata Diack, ndlr), ils l’ont mis en examen. Pour l’affaire de Tokyo, le virement du comité de candidature sur la société Black Tidings, ils ont mis en examen un membre de la CIO, le président de la commission marketing, un membre de la famille impériale, Tsunekazu Takeda.

Est-ce qu’il est reproché aux Russes un délit qui vaille qu’ils soient mis en examen ou inculpés ?

Alexeï Melnikov et Valentin Balakhnitchev ont été accusés de raquette par les athlètes russes. La Fédération leur demandait de l’argent pour les autoriser à compétir avec l’équipe olympique. Ils ont donc bénéficié financièrement de ça. Alexeï Melnikov, c’est le coach, qui a demandé de l’argent aux athlètes. Je n’y vois pas Papa Massata Diack.

Dans les procès verbaux, on parle d’un avocat et on se lève un bon matin pour dire que c’est Massata Diack. La plainte de la commission d’éthique est là avec moi, on dit que c’est un homme noir qui vient souvent à Moscou qui aurait demandé de l’argent à l’athlète Liliya Shobukhova. Sans aucune mise en examen ou inculpation. Rien du tout. Cela montre le manque de logique dans ce procès.

L’accusation a parlé d’abus de confiance opéré par le Président Lamine Diack et Papa Massata Diack, à l’encontre de l’IAAF…

Comment on peut dire que Lamine Diack et Papa Massata ont abusé de la confiance de l’IAAF ? Alors que Lamine Diack, en tant que président, a eu tous ses rapports exécutés, audités, certifiés et a reçu quitus du cabinet Pricewaterhousecoopers de Monaco sur sa gestion de 16 ans, soit 4 mandats de 4 ans. Il a eu tous les quitus de ce cabinet d’audit. Il a laissé 74 millions de dollars (41,5 milliards de francs) de réserves. Il a fait vendre presque 835 millions de dollars (469 milliards de FCFA) en termes de contrats. Cette personne aurait détourné des contrats de sponsoring ?

Donc, c’est absolument faux et ils n’ont aucune preuve de leurs allégations. Me concernant, les contrats ont été conclus par mes sociétés et AMS (Athletics Managements et Services) qui m’a donné mandat pour négocier pour le compte de DENTSU qui a le droit exclusif mondial. J’ai été mandaté par ces deux sociétés qui n’ont pas été auditionnées ni emmenées à la barre. On parle de détournement de recettes de sponsoring alors que c’est eux qui ont signé les contrats et gagné le principal. Ils m’ont payé une commission de 8% ou dans certains cas 21,8%.

Renaud van Ruymbeke, le juge d’instruction, vous reproche également de n’avoir pas déféré à la convocation de la justice française. Que pouvez-vous répondre ?

La lettre de Sidi Kaba est dans la commission rogatoire internationale. Ils l’avaient reçue, mais ils l’avaient dissimulée à Lamine Diack. Donc, ça montre qu’il y avait une volonté de nuire et Renaud Van Ruymbeke voulait faire du show. Ce n’est pas une enquête à charge ou à décharge. On parle de représentation à l’audience. J’ai contesté la compétence territoriale de la France. On me dit que les faits ont eu lieu au Sénégal, à Singapour, en Russie, au Qatar, au Japon et à Monaco. En quoi c’est rattaché à la France ?

Massata a acheté des montres à Paris avec l’argent de la corruption. Comment ils peuvent vérifier que c’est ce soi-disant argent de la corruption, de l’argent que j’ai viré à partir de mes sociétés, dont Pamodzi. Une société Black Tidings m’a prêté 85 000 euros (55 millions de FCFA) et il y a une facture de 134 700 euros (88 millions de FCFA). Je leur ai dit que je ne peux pas payer parce que je n’ai pas l’autorisation du ministère des Finances pour le transfert en dollars. J’ai dit s’il peut payer, je pourrais payer sur nos ventes de Pékin parce qu’on travaillait avec le propriétaire de Black Tidings.

Ils ont prétexté que cette société m’appartenait. Ils sont allés à Singapour, ils n’ont vu aucun virement venant de Russie. Ils ont vu que le propriétaire de Black Tidings était consultant de Tokyo. Ils ont voulu faire le rapprochement. Donc, ce n’est pas une enquête pénale. C’est simplement de l’acharnement et ils ont voulu rattacher les faits à la France. Ils me disent que mes sociétés au Sénégal sont fictives. Pamodzi est-elle une société fictive ? PMD Consulting et Agent Marketing du Togo sont-elles des sociétés fictives ? Je pense qu’il faut arrêter.

Vous estimez que ce n’est qu’acharnement de la juge française sur les personnes de Lamine Diack et de Papa Massata Diack ?

La dénonciation de l’AMA qui n’a pas d’ailleurs terminé son enquête a été calomnieuse et irrégulière. Ils ont dénoncé le 4 août 2015 et le rapport est sorti le 9 novembre 2015. La justice française a commencé une enquête préliminaire le 18 août 2015 pour la terminer le 6 octobre, soit 50 jours. On invite Lamine Diack le 3 novembre, puis mise en examen et inculpation.

Ils le retiennent, cherchent des preuves pendant 5 ans. Ils n’ont vu aucune trace du 1,5 million d’euros (983 millions de FCFA) et des 3 450 000 euros (2,2 milliards de FCFA) que des athlètes auraient payé. On se demande à qui ? En droit pénal, on demande des preuves. Le jour où le dossier atterrira au Sénégal, s’ils ne peuvent pas prouver au doyen des juges Samba Sall qu’on a vu ces sommes dans les comptes de Massata, il va leur dire d’aller se faire voir.

C’est ce qui m’intéressait au procès et non on a vu un SMS de Massata envoyé à son père. On parle de détournement et de corruption passive, donc il faut sortir des preuves tangibles. On a vu du show et une campagne médiatique pour rien du tout.

Vous aviez dit, dans une sortie dans la presse, que vous allez dorénavant travailler exclusivement avec le sport africain. Mais la justice française vous a également interdit d’exercer une activité liée au sport…

De toute façon, j’ai interjeté appel. Et j’espère que l’on permettra à mes avocats de rentrer dans le territoire français. Mes avocats n’étaient pas là-bas (au procès) et on a fait une élection de domicile d’avocats français. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient, ils ont fait une plaidoirie. Mais ceux qui ont les documents (ses avocats) seront à Paris pour leur montrer que leurs accusations sont fausses.

Je suis sûr que si la Cour d’appel n’est pas biaisée, j’aurai raison sur le Parquet financier. C’est leur souhait de me faire condamner pour une interdiction de mise en service. Ça ne s’appliquera jamais. Je m’en fous, je n’ai rien à voir avec la France. Le sport mondial ne m’intéresse plus, je l’ai dit depuis longtemps. Il n’y a qu’ingratitude et racisme.

Ils m’ont exclu de l’IAAF et je m’en fous. C’est moi qui faisais rentrer de l’argent à l’IAAF. Ils étaient à 8 sponsors et ils n’en sont maintenant à 4. Les réserves financières ont quitté 74 millions de dollars pour moins de 30 millions de dollars. L’IAAF est dans une situation difficile. Ce n’est pas ma faute encore moins celle de Lamine Diack. Dire qu’ils peuvent interdire à Massata Diack de travailler dans le sport, c’est dans leur rêve. Personne ne peut le faire. Et il faut que ça soir très clair.

Hubert MBENGUE et Mor Bassine NIANG (Record)