Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des astronomes ont réussi à photographier un trou noir. L’image de ce monstre 6,4 milliards de fois plus lourd que notre soleil, situé au centre d’une autre galaxie, a été révélée ce mercredi 10 avril. Une prouesse rendue possible grâce à la coopération de scientifiques du monde entier.
Six conférences de presse ont été organisées simultanément dans le monde entier pour présenter une image. À 15h07 heure de Paris, l’humanité a fait la connaissance de M87*. Un disque orange entourant un cercle sombre, le tout un peu flou. Pour les habitués de films de science-fiction, l’image n’est pas spectaculaire. Mais elle n’en est pas moins historique.
Situé à 53 millions d’années-lumière de nous, ce trou noir pèse 6,4 milliards de fois la masse de notre Soleil. On parle d’un monstre, c’est un euphémisme : il mesure 40 milliards de kilomètres de diamètre. Il est donc plus grand que notre système solaire et il est aussi lourd qu’une petite galaxie. Mais malgré sa taille, obtenir cette image constitue un réel tour de force.
Il est si loin de nous, que le prendre en photo revient à capturer un petit pois sur la Lune depuis la Terre : aucun télescope n’est assez puissant pour y parvenir. Les scientifiques ont appliqué l’adage « l’union fait la force » et ce qu’ils appellent l’interférométrie à très longue base. Le principe de cette technique est simple : utiliser plusieurs télescopes situés un peu partout sur Terre.
Cela permet de créer une antenne virtuelle dont la taille est la distance qui sépare les deux télescopes les plus éloignés. En l’occurrence, il y en a eu 7, du pôle sud aux États-Unis et une distance de 9 000 kilomètres. Il fallait en plus que les conditions climatiques soient idéales sur tous les sites. Cela a été le cas durant 4 jours en avril 2017. Les mesures ont été effectuées à ce moment-là. Il a fallu ensuite les analyser, les traiter, jusqu’à ce mercredi 10 avril 2019.
Einstein avait raison
Mais que nous apprend cette image, au-delà de la prouesse ? Les trous noirs comptent parmi les objets les plus fascinants de l’astrophysique, qui imprègnent l’imaginaire de nombreuses personnes et œuvres de fictions. Mais pour comprendre ce qu’ils sont réellement, il faut faire un détour par Albert Einstein et la théorie de la relativité générale. Cette dernière est la proposition faite par l’illustre physicien pour expliquer la gravitation.
Selon lui, si une pomme tombe d’un arbre vers le sol, ce n’est pas parce que le sol (et donc la Terre) attire la pomme, mais parce que la masse de la Terre déforme l’espace-temps, ce qui contraint la pomme à se diriger vers elle. Une image est très utilisée pour se représenter ce phénomène : prenez un grand drap, tendez-le et posez une boule de bowling en son centre. Le tissu va donc être déformé. Si on fait rouler une balle sur ce tissu, elle va naturellement finir sa course dans la cavité formée.
Remplacez la boule de bowling par la Terre, le drap par l’espace-temps, et la balle par la pomme : c’est ce qu’il se passe selon la théorie de la relativité générale, énoncée en 1915 par Albert Einstein, et depuis vérifiée un nombre incalculable de fois avec toujours plus de précision sans être prise à défaut.
Mais revenons aux trous noirs. Dans notre exemple, si on lance notre balle suffisamment fort, elle va s’échapper de la cavité et poursuivre sa route. Si on remplace la boule de bowling par un poids d’une tonne, il faudra lancer la balle plus fort pour qu’elle aille plus vite : c’est ce qu’on appelle la vitesse de libération. Ainsi, pour quitter la cavité formée par la Terre, il faut aller à 11,2 kilomètres par seconde, soit 40 000 kilomètres par heure.
Plus la masse de l’objet au centre augmente plus celle de la vitesse de libération augmente également. Mais il y a un mais : il existe une vitesse maximum, celle de la lumière. À 300 000 kilomètres par seconde, elle est indépassable. Si notre drap spatio-temporel est déformé par un objet extrêmement massif, la lumière elle-même ne pourra donc pas s’en échapper et nous avons alors affaire à un trou noir dont la frontière s’appelle « l’horizon des événements ». Ce qui pénètre cette frontière immatérielle ne pourra jamais en ressortir.
Une confirmation ultime
Ces objets dont rien ne ressort sont longtemps restés uniquement dans le domaine de la théorie. On ne pouvait pas imaginer l’existence d’une masse si imposante qu’elle parviendrait à courber l’espace-temps suffisamment pour retenir même la lumière. Cela ne nous a pas empêchés de les étudier, à partir de la théorie et de ses équations. On sait ainsi comment ils se forment : prenez une bonne grosse étoile en fin de vie. Faute de carburant, son enveloppe va se disperser dans l’univers, mais son cœur va s’effondrer sur lui-même. Il va ainsi devenir de plus en plus dense. On peut avoir ainsi une sphère pesant plusieurs soleils dans seulement quelques kilomètres de rayon. La gravité est telle que le trou noir peut se former.
Longtemps, ils n’ont donc existé que par théorie, car les équations le permettaient. La première confirmation de leur existence fut la première détection des ondes gravitationnelles le 14 septembre 2015. C’est la fusion de deux trous noirs qui a été détectée. Le choc a été si violent, que l’espace, notre drap, a tremblé jusqu’à nous.
La révélation de la première image de M87* est donc la confirmation ultime de leur existence. Mais comment a-t-on pu le prendre en photo si même la lumière n’en réchappe pas ? C’est en fait tout ce qu’il absorbe qui l’a trahi. Ce qu’on appelle le disque d’accrétion, c’est-à-dire toute la matière qui tombe en tourbillonnant vers le trou noir. Celle-ci est tellement malmenée qu’elle chauffe au point de rougeoyer. Derrière, comme une ombre chinoise, se trouve le monstre.
« Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tellement le trou noir mais ce qui se passe autour du trou noir, explique Jean-Pierre Lasota, chercheur émérite CNRS à l’Institut d’astrophysique de paris. Et puis le trou noir contient des informations sur l’histoire et l’évolution de notre galaxie, et peut-être même sur la formation de cette galaxie. »
La prochaine étape sera donc d’obtenir une image similaire d’un autre trou noir, mais pas n’importe lequel : le nôtre, Sagittarius A* qui se trouve au centre de notre galaxie, la Voie lactée. Une photo qui pourrait nous apprendre beaucoup de choses sur ce qui s’y passe, et même d’en déduire des informations sur son origine il y a plusieurs milliards d’années.
Rfi