A Bamako, le célibat est perçu comme un état anormal, quand on a dépassé la vingtaine. A trente ans, à la limite s’il n’est pas vu comme un handicap. Les ‘’célibataires endurcis’’ vivent entre la pression des parents, les questions de l’entourage et les moqueries des amis. Une situation avec laquelle certains apprennent à vivre, mais qui est stressante pour d’autres.
« -Maman je vais acheter un caniche tout mignon. Maman: – tout ce qu’on te demande c’est d’amener un mari et tu me parles de caniche. Amènes-le, je vais lui casser la tête. Moi – Haha maman c’est quelle haine ça ? Cette maison devient dangereuse hein ». C’était un poste de Diahara Diané, sur Facebook. Le poste est drôle, mais le mal est profond dans la société malienne.
« Amènes-nous un mari ». Cette phrase toute jeune femme dans la vingtaine ou plus l’a entendue au moins une fois. C’est soit de la part de la famille, de l’entourage ou même du simple passant. Pour Mimi Traoré (nom d’emprunt) c’était un véritable casse-tête, jusqu’à ce qu’elle décide de ne plus se soucier de ce que pensent les gens.
Assistante de direction dans une grande entreprise, Mimi Traoré a 31 ans. Dans ses escarpins blancs bien assortis à son sac, elle descend de sa voiture nous rejoindre au restaurant Amandine. Belle, élégante, un sourire charmant, Jean sleem bleu-bic, haut noir, elle a tout pour plaire physiquement à un homme. « Mais je suis une célibataire endurcie » rigole-t-elle.
Ce statut ne la dérange plus, malgré la pression de son entourage. « Dès la fin de mes études, ils ont commencé. ‘’ Tu attends quoi pour te marier ? ‘’ Toutes tes amies sont mariées, tu as fini tes études maintenant, tu n’as plus d’excuses’’.» explique-t-elle. Elle parle avec une telle assurance, que l’on ne s’imagine pas qu’à un moment elle a pu être affectée par cette situation. « A mon bureau la première année était vraiment insupportable, j’ai même pensé à démissionner. Certains essayaient même de me caser avec soit des frères, soit des collègues ou amis. Ça a failli me traumatiser. Mais aujourd’hui, je prends toutes ces remarques désobligeantes avec humour. Et je me sens épanouie »
Si seulement tous ceux qui subissent cette pression sociale, sur une question qui n’est censée concerner que leur personne, pouvaient réagir avec humour. Le poids de la pression sociale Attou Cissé la sent quotidiennement sur ses épaules. A 44 ans, célibataire sans enfant, elle vit entre « regret et espoir ». Elle se remémore « J’avais eu des propositions de mariages que j’ai refusées pour ma carrière». Avant d’ajouter « je suis actuellement directrice académique. A qui vais-je laisser tout ce que j’ai gagné? Finalement les gens ont raison» Ses larmes coulent. Elle essaie de se ressaisir mais, les propos de sa mère ne l’aident pas. « Sa petite sœur est mariée et a quatre enfants. Moi je veux juste la voir se marier avant de mourir » martèle-elle, assise sur un matelas, les mains tremblantes. La dernière phrase de la vieille a glacé le sang à tout le monde. Pour détendre l’atmosphère, la petite sœur de Attou, lance « Nayya, tu dois déjà remercier Dieu. La cola de Attou est venue il y a cinq mois. Espérons que Dieu facilite le reste».
Selon un professeur de sociologie à l’université des sciences sociales de Bamako qui a souhaité garder l’anonymat, dans la mentalité des maliens dès qu’une jeune fille atteint l’âge de la puberté, elle doit au moins avoir un prétendant. « Nos villes se sont modernisées, mais nous avons gardé nos mentalités ancestrales. Dans un village tu ne trouveras pas un jeune de 21 ans célibataire encore moins une jeune fille du même âge sans mari,» ajoute-t-il.
« Mais à quoi bon de pousser les gens à se marier s’ils ne le désirent pas ? », pose le professeur. Pour lui, si le taux de divorce augmente autant, (10.080 en 2014 rien qu’à Bamako) c’est en partie à cause de cette pression sociale. « Beaucoup de personnes se lancent aujourd’hui dans le mariage juste pour éviter d’être sujet de conversation dans les ‘’grins’’ ou pour faire plaisir à leurs parents qui ne cessent de se plaindre d’elles. »
La pression familiale Rabiatou Cissé en a ramassé les pots cassés. « Quand mon mari me draguait, il ne me plaisait pas du tout. Mais mes tantes m’ont dit d’accepter ce mariage car toutes mes amies se sont mariées et mon âge avance. J’ai donc accepté malgré moi-même. Aujourd’hui je suis la femme la plus malheureuse. Mon mari se trouve être un alcoolique,» témoigne-t-elle.
Pourtant d’aucuns pensent qu’il est injuste de mettre autant de pression sur la femme. Au Mali, ce n’est pas la femme qui prend l’initiative d’épouser l’homme. « En Islam par exemple. C’est l’homme qui demande la main de la femme et c’est lui qui apporte la dot. Donc pourquoi mettre une telle pression sur ces pauvres femmes ? », se demande Mahamane Touré, professeur dans une université islamique.
Dans la Loi N° 62-17 AN-RM du 03 février 1962, cette dot est fixée à « 20000 f en ce qui concerne la jeune fille et 10000f en ce qui concerne la femme ».
Même pour les hommes il faudra faire la différence, tout le monde ne doit pas se marier, selon l’Islamologue. La religion musulmane qui a plus de 90 % d’adhérents au Mali classe ces hommes en quatre principales catégories, « 1- Ceux pour qui le mariage est obligatoire. Il s’agit de ceux qui ont les moyens de se marier et ne peuvent pas s’abstenir sexuellement. 2- Ceux pour qui le mariage est un devoir. C’est-à-dire ils doivent le faire mais ne sont pas dans le ‘’haram’’ s’ils ne le font pas. Ceux qui ont les moyens et peuvent s’abstenir sexuellement. 3- Celui qui n’a pas les moyens et peut s’abstenir. Pour lui c’est ‘’haram’’ de se marier, puisqu’il ne peut s’occuper d’une femme. Et enfin ceux qui n’ont pas les moyens et ne peuvent pas s’abstenir. Le mariage leur est interdit ».
Elhaj Mahamane Traoré est dans la troisième catégorie. Tailleur, il affirme n’avoir pas les moyens de se marier maintenant, malgré ses 35 ans. « Les gens parlent. Ils ne savent pas ce que nous vivons, » dit-il, s’acharnant sur la pédale de sa machine à coudre, le mètre au coup.