« J’ai connu Amath Dansokho en même temps que d’autres étudiants, qui ont adhéré au Meepit, mouvement des élèves et étudiants du PIT au milieu des années 90. Nous étions à l’époque influencés par notre professeur, feu Sémou Pathé Guèye. C’est ainsi qu’avec Mamoudou Wane et d’autres, nous avons suivi plusieurs séries de formations sur les idées sur le socialisme révolutionnaire tel que théorisé par Lenine. Nous étions jeunes étudiants philosophes et naturellement influencés par des philosophes comme Thomas More, sur les idées socialistes qui s’opposaient au capitalisme tel qu’il se préfigurait à l’époque déjà et tel qu’il a évolué aujourd’hui. Plus tard, notre capacité critique a évolué avec les critiques du socialisme lui-même tel que formulé par les initiateurs de l’école de Franckfort comme Adorno et Horkeimer.
« Mais la formation la plus décisive s’est faite avec Magatte Thiam à Khaar Yall, que nous avons complétée par une formation sur le terrain. Pendant les défilés de 4 avril, nous étions parmi les travailleurs, les marcheurs, pour manifester contre le capitalisme, l’affaissement de notre tissu industriel, la précarisation des conditions de vie des travailleurs. Nous étions à l’époque très fiers de porter ce combat, que nous menions aussi dans le syndicalisme étudiant avec d’autres camardes comme Aliou Sall, qui lui, militait à Ajpads. Nous savions aussi que beaucoup de portes allaient se fermer à nous, du fait des pratiques que nous combattions. Mais sachez que c’est avec Amath DAnsokho, chez lui à Immofront, à Mermoz, que notre conscience militante s’est formée. Birane Thiam, devenu Inspecteur du travail, était le Président et moi j’étais chargé de la Com du Meepit. Plus tard, dans ma chambre d’université, nous nous sommes promis, devenus journalistes, de poursuivre ce combat par la presse libre naissance. Il y avait Mamoudou Ibra Kane, Mamoudou Wane, Aliou Sall, Yoro Dia, Alassane Samba Diop et d’autres…
« Amath nous prenait pour ses enfants. Il insistait toujours sur la précarité à la fois dans le monde rural et parmi les ouvriers. Chez lui, le socialisme que nous devions défendre et adopter devait s’inspirer de notre propre réalité à la fois économique et sociale. Une paysannerie et une classe ouvrière qui devaient faire cause commune. La jonction tardive entre Lénine et Mao, vue sous le prisme d’un ordre maraboutique dont il fallait tenir compte. Nous étions tous les week-end chez lui et cet homme, qui a rencontré Ché Guevara, Nelson Mandela et autres, nous impressionnait par sa capacité de synthèse, sa vaste culture générale.
Quand un homme meurt, en général, dans nos pays, on se limite à ses vertus, à sa moralité. Oui c’est bien, mais ça ne finit pas Amath, cet intellectuel hors classe. Amath avait dans sa bibliothèque 4000 livres, tous lus par lui ! C’est lui qui nous faisait les commentaires des livres publiés un peu partout, parfois bien avant-même nos professeurs. Il avait des idées avant-gardistes sur de nombreuses questions. En 1991 déjà, il parlait de bonne gouvernance. Il était le théoricien de la majorité d’idée, des espaces d’expression des minorités démocratiques.
« Amath était surtout clairvoyant. En 1978, contre les idées de son temps, contre l’avis de toute la gauche révolutionnaire, il a été le premier à penser que le seul moyen de réaliser l’alternance était de s’allier avec Abdoulaye Wade. Toute la gauche avait crié à l’horreur. Cela ne l’a pas empêché de s’engager dans la première alliance Sopi. En 1992, il a été le premier à mettre en garde contre la « milicisation » du pays et les dangers que cela faisait courir au pays. Une année après, il y a eu l’assassinat d’un juge. Il a aussi été le premier à déceler dans la forme d’engagement de Macky Sall, les germes d’une future victoire. Il avait aussi encouragé la formation d’un gouvernement d’union nationale, à la lecture des menaces sur la stabilité de notre pays suite à notre conflit avec la Mauritanie et au repli identitaire au sud de notre pays. Wade n’a fait que suivre, pour des raisons différentes.
« Mais ce que je retiendrai d’Amath, c’est le grand humaniste qu’il fut, qui pouvait aimer même ceux qui le combattaient et le martyrisaient. En 2009, alors que j’étais au Canada, j’ai appelé Mamoudou Wane, directeur général du quotidien Enquête, avec qui j’ai milité au PIT. Nous avions appris que la santé d’Amath déclinait et que comme lui-même l’avait affirmé, les médecins lui donnaient peu d’années à vivre. C’était pendant les années difficiles où Wade nous combattait farouchement. J’avais alors soumis un projet d’entrevues à Mamoudou Wane, pour à l’époque recueillir la base de ce qui devait constituer les mémoires de Bing Dansk. Cela fut fait et la semaine d’après, Amath était prêt. Le premier week-end, tout se passa comme prévu. Deux heures d’entrevues bien menées, sur l’enfance à Kédougou, les études à Saint-Louis, le baccalauréat obtenu le même jour que Moustapha Niasse et Madior Diouf. Evoqué aussi le jour où Amath est monté menacer le français qui conduisait le bac, parce qu’il les retardait alors que lui devait aller jusqu’à Kédougou.
Le dimanche d’après, j’attendais les commentaires de Mamoudou. Il me répondit :
-Jules, je ne peux plus continuer ces entrevues.
Pourquoi ? Ai-je demandé, au bout du fil.
-Parce que ce matin nous avons parlé de sa rencontre avec Abdoulaye Wade, quand il était étudiant, et Amath s’est mis à pleurer comme un enfant. Il n’arrêtait pas de dire que malgré ce que Wade lui fait subir, il l’aime, il l’aime. Je n’ai pas résisté, moi aussi j’ai pleuré. Je ne peux pas continuer.
« Voilà la valeur humaine, sentimentale, de celui qui vient de nous quitter. Il y a un mois, je suis allé le voir avec son neveu Bounama Sylla, pour lui dire au-revoir avant mon départ pour Paris. C’était encore un dimanche matin. Il dormait. Il avait l’air apaisé, je n’ai pas voulu le réveiller. En sortant j’étais triste, et je fis savoir à Bounama que j’avais le pressentiment que c’était la dernière fois que je voyais Amath. Bien plus tard, Bounama m’a dit qu’il avait ouvert les yeux pour nous regarder. Cela me rendit encore plus triste.
« J’ai vu sa santé décliner au fil des ans oui. Et au Conseil, je vivais la peur qu’il tombât un jour dans la salle. J’avais fait part de ma préoccupation. Mais Amath avait averti qu’il ne pouvait vivre que dans l’action. Un mercredi matin, hélas, alors qu’il se préparait pour se rendre au Conseil, Amath est tombé pour ne plus se relever. Voilà Un homme debout jusqu’à la dernière minute, pour servir son pays. Quand je suis allé le voir il y a un peu plus d’un mois, avec ma famille, il me faisait part de son intention de participer aux funérailles de Winnie Mandela. Mais sa santé…
LA REDACTION DE SENEMEDIA