Face à la pandémie de fausses nouvelles

« Pour échapper au coronavirus, les fellations sont moins risquées qu’une poignée de main » s’est récemment entendu dire la fact-checkeuse de l’AFP Julie Charpentrat. Une connaissance de sa collègue de Hong Kong Rachel Blundy, a assuré que le nouveau coronavirus ne pouvait pas se transmettre entre humains par le biais de « gouttelettes ». Deux affirmations infondées.

Alors que l’épidémie s’étend dans le monde — déjà plus de 130 pays et territoires touchés — une pandémie de désinformation aux conséquences parfois dramatiques gagne les réseaux sociaux. En Iran par exemple, plus de 40 personnes sont décédées après avoir bu de l’alcool frelaté à la suite d’une rumeur selon laquelle les boissons alcoolisées aideraient à guérir le nouveau coronavirus.

L’équipe de fact-checkeuses et fact-checkeurs de l’AFP — pas moins de 74 personnes dont la mission est de traquer les fausses nouvelles — a déjà démenti plus de 200 fausses informations sur le nouveau coronavirus.

« Nous avons tout vu: des images prétendant montrer des morts du coronavirus en Chine représentant en fait des personnes dormant dehors, des publications affirmant que le gel hydroalcoolique favorise le cancer, ce qui est inexact, des théories farfelues sur les origines du virus, de fausses alertes sanitaires et des photomontages en tout genre », témoigne Julie Charpentrat.

Un tsunami de désinformation souvent accompagné de propos délibérément xénophobes sur les Chinois et leur culture laissant entendre que le nouveau coronavirus est étroitement lié à l’ethnie, regrette Rachel Blundy à Hong Kong.

« Nous avons très vite vu émerger plusieurs grandes catégories de vérifications », explique aussi Julie Charpentrat, spécialiste des « fact-checks » sur les questions de santé.

« Il y a les faux cas déclinés dans un très grand nombre de pays; le cortège ininterrompu de théories infondées sur les origines du virus, de la corne de rhinocéros aux théories de type +complotistes+ autour d’un virus prétendument créé par l’homme et échappé d’un labo ou innoculé volontairement à la population, avec des variantes adaptées par pays. Et plus l’épidémie gagne du terrain, plus les faux remèdes et faux conseils se multiplient ».

Ces derniers jours des conseils douteux au nom de l’Unicef ont circulé sur tous les supports imaginables: chaînes de messages WhatsApp, de mails, Facebook. On tente au maximum de remonter d’où ça vient, mais le phénomène actuel est tellement massif, viral et mondial que c’est parfois peine perdue.

En matière de désinformation, la question qui revient sans cesse, c’est qui fait circuler ces fausses infos ? Qui les concocte et pourquoi ? Difficile de répondre, tant les les motivations sont diverses et difficiles à appréhender : semer la discorde à des fins politiques, gagner de l’argent en attirant les clics et donc des recettes publicitaires…

Par le passé des services de renseignement et des plateformes comme Facebook ou Twitter ont détecté des campagnes organisées et concertées de désinformation. Fin février, des responsables américains ont ainsi affirmé à l’AFP que des milliers de comptes liés à la Russie sur Twitter, Facebook et Instagram propagaient de la désinformation anti-américaine sur le nouveau coronavirus pour semer la discorde. Moscou a démenti.

Peut-être existe-t-il aussi ce qu’on peut appeler des « incendiaires », qui comme les pyromanes observent, fascinés, le chaos produit par l’incendie : ils prennent simplement plaisir à créer des informations virales partagées par des millions de personnes. Sans être forcément mal intentionnés, beaucoup d’internautes partagent des publications sans vérifier d’où elles viennent.

« Malveillantes ou pas, ces informations sont largement consultées et partagées par un public angoissé et avide d’information, qui s’interroge: Comment me protéger? Dois-je mettre un masque ? Quels sont les symptômes? », témoigne encore Julie Charpentrat.

« Tous les jours nous communiquons au sein de l’équipe sur les différentes publications douteuses que nous voyons passer dans nos pays respectifs, ce qui nous permet d’être réactifs et de travailler sur les fausses informations les plus partagées et ayant le plus fort impact en termes de santé publique ».

A Hong Kong Rachel Blundy assure essuyer aussi les conséquences de ce déluge de fausses nouvelles dans sa vie quotidienne.

« La situation devient par moments surréaliste », dit-elle en évoquant un canular diffusé sur WeChat, Facebook et WhatsApp laissant entendre que le papier toilette pourrait venir à manquer dans la ville.

Breaking News, la Chine ne pourra plus produire de papier toilette pour les deux prochains mois! clamait un des messages. « Evidemment, les gens se sont rués dans les supermarchés, où le papier hygiénique a disparu. La panique a alimenté la panique. C’est ce que l’on appelle une +prophétie autoréalisatrice+. Il n’y avait aucun risque de pénurie, mais la rumeur l’a entraînée. Le même phénomène s’est produit en Europe ».

« La désinformation en matière de santé est sans doute l’une des plus dangereuses car elle peut coûter des vies, en particulier dans les pays où les gens s’informent énormément – parfois uniquement – via les réseaux sociaux ou WhatsApp et où les systèmes de santé publique sont faibles », poursuit Julie Charpentrat.

« Récemment par exemple des informations trompeuses ont circulé sur l’efficacité de la chloroquine, un traitement contre le paludisme. Cette molécule donne des signes d’efficacité mais elle n’est absolument pas validée par les autorités sanitaires et peut avoir de graves effets secondaires », poursuit la journaliste. « Et même les personnes ayant un large accès à des informations dites fiables peuvent se faire berner ! »