Dans deux mois tout juste, le 20 novembre, débutera au Qatar la Coupe du monde de football. Un mois de compétition dans ce petit émirat du Moyen-Orient. Ce Mondial va se jouer dans des stades climatisés et dans un pays peu respectueux des droits humains. Est-ce bien raisonnable ?
À deux mois de la Coupe du monde 2022 de football au Qatar, les consciences commencent à se réveiller. Plusieurs anciens joueurs ont appelé au boycott. Éric Cantona par exemple qui stigmatise « une aberration écologique et une horreur humaine ». « Combien de milliers de morts pour construire des stades ? » s’interroge l’ancien international français. Même son de cloche chez Philipp Lahm capitaine de l’équipe d’Allemagne championne du monde en 2014. Il n’ira pas au Qatar.
Il y a également cette initiative et cette Une du Quotidien de la Réunion, journal le plus lu de l’ile de l’océan Indien : « Sans Nous. » Ce quotidien ne parlera pas du Mondial durant la compétition, comme l’explique Flavien Rosso, chef du service des sports : « Il y a toute une série de décisions complètement aberrantes, sur le plan de la violation des droits, sur le plan de la violation de l’environnement, sur le plan du non-respect des minorités. Il fallait dire « stop », tout en sachant que ce n’est pas forcément le Qatar qu’on juge et qu’on condamne. On juge vraiment la façon dont cette Coupe du monde s’est construite et qui, selon nous, est incompatible avec les valeurs que, depuis 46 ans, Le Quotidien essaie de développer. »
Pour certains joueurs, difficile de prendre position
Une autre réaction a fait beaucoup de bruit, celle de l’acteur français Vincent Lindon. Lui, dont on connaît les rôles engagés au cinéma et qui présidait le dernier Festival de Cannes, pointe du doigt une « aberration écologique » et le « non-respect de l’idéologie des droits de l’homme ». « On vit dans un asile géant », s’emporte-t-il. Une enquête du quotidien britannique The Guardian en 2021 a fait état de milliers de travailleurs immigrés morts au Qatar depuis le début des travaux pour la Coupe du monde. Vincent Lindon regrette, comme il l’a exposé sur la chaîne de télévision France 5, qu’aucun grand joueur actuel, susceptible d’aller au Mondial, ne prenne position et refuse d’aller au Qatar : « Ça a l’air simpliste mais ça ne peut venir que des joueurs. Ça ne peut pas venir d’un État. Un État n’a pas le droit de demander à des joueurs où à Didier Deschamps de boycotter la Coupe du monde. Mais un joueur, il est libre ! C’est un artiste ! Il le peut, lui ! Donc, je trouve que ça serait bien, oui. »
Prendre position contre le Qatar ? Cela n’est peut-être pas aussi simple qu’il y paraît pour un joueur. Prenez l’Argentin Lionel Messi, le Brésilien Neymar et le Français Kylian Mbappé. Ils jouent pour le Paris Saint-Germain dont le propriétaire-actionnaire n’est autre que le Qatar. Et au-delà, si vous regardez les 32 pays qualifiés pour la Coupe du monde, aucun joueur d’aucune sélection n’a appelé à ce jour au boycott. Décevant ? Non, dit Benjamin Moukandjo aujourd’hui retiré des terrains et qui a disputé le Mondial 2014 avec le Cameroun : « C’est facile, lorsqu’on a fini sa carrière, de dire qu’il ne faut pas y aller. Mais quand on est en pleine activité, qui n’aimerait pas jouer la Coupe du monde ? C’est le graal, le sommet du football. Bien sûr, je ne dis pas qu’on doit tout accepter parce qu’on doit jouer une Coupe du monde, loin de là ! Maintenant, prendre position lorsqu’on est joueur, je les comprends car c’est très très difficile… »
Un boycott contre-productif ?
Et si on ne devait pas aller au Qatar, au regard de la question des droits humains, fallait-il aller en Russie il y a quatre ans pour le dernier Mondial de football ou à Pékin en Chine pour les Jeux olympiques 2008 ? La question mérite d’être posée. Pour Jean-Baptiste Guégan en tout cas, auteur de Géopolitique du Sport, Une Autre explication du monde, le boycott de ces grands événements n’est pas la solution : « Le boycott, c’est la plus mauvaise des solution, parce que du coup, vous empêchez de dialoguer, de discuter et de créer un rapport de forces avec le pays en question. Et, en l’occurrence, si vous voulez faire changer la question des droits humains sur place et la condition des travailleurs, il faut aller sur place, il faut discuter avec eux et il faut se servir de cette Coupe du monde comme d’un levier. »
Essayer de peser de l’intérieur, c’est ce que s’évertue à faire depuis 10 ans, depuis l’attribution du Mondial au Qatar, l’ONG Amnesty International en publiant des enquêtes. Certains rapports ont d’ailleurs poussé les autorités qatariennes à faire évoluer, à la marge, le droit du travail. Sabine Gagnier, en charge des questions de discrimination à Amnesty, estime ainsi qu’il faut continuer de la sorte à mettre la pression sur Doha : « Jusqu’à présent, notre organisation n’a pas appelé au boycott de la Coupe du monde. On pense que c’est vraiment l’occasion de tourner le projecteur vers ces violations et attirer l’opinion mondiale pour dénoncer cette situation. Et on espère que ça forcera le Qatar a changé les conditions de travail sur place. »
Le compte à rebours en tout cas est lancé. Dans deux mois, le 20 novembre, se disputera le match d’ouverture entre le Qatar et l’Équateur. Un mois de compétition jusqu’à la finale du 18 décembre.
RFI