Le Tribunal arbitral du sport (TAS) a donné raison, lundi, au club anglais qui contestait la décision de l’UEFA de l’exclure des compétitions européennes durant les deux prochaines saisons pour non-respect des règles du fair-play financier.
Manchester City peu souffler. Enfin presque. Sur les terrains, le club anglais de football a encore devant lui de lourdes échéances. Considéré comme l’un des favoris de la Ligue des champions, il doit d’abord franchir le cap des 8es de finale, c’est-à-dire se défaire du Real Madrid à l’issue d’un match retour programmé le 7 août. Viendra ensuite la phase finale de la compétition phare européenne, qui se déroulera à compter du 12 août au Portugal.
Les Citizens (l’un des surnoms de l’équipe) peuvent donc encore rêver de décrocher un trophée qui leur échappe depuis leur rachat, en 2008, par le Sheikh Mansour, membre de la famille régnante d’Abou Dhabi, malgré les investissements colossaux qui ont suivi. Mais, si jamais ce n’était pas le cas cette année, ils auront la possibilité de se consoler en se disant que ce sera – une nouvelle fois – partie remise la saison prochaine, ou la suivante.
Manchester City vient en effet de voir son horizon se dégager singulièrement au plan disciplinaire en échappant à une interdiction de participation aux Coupes d’Europe pendant deux ans (2020-2021 et 2021-2022). Celle-ci avait été décidée il y a cinq mois par l’UEFA, l’organisme qui chapeaute le football européen, en raison du non-respect des règles du fair-play financier, qui contraignent les clubs à ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent.
Le club anglais a obtenu gain de cause, lundi 13 juillet, devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), qu’il avait saisi en appel mi-février, sitôt connue la sanction imposée par l’UEFA. Les trois arbitres du TAS ont considéré que les éléments réunis par l’UEFA n’étaient pas clairement établis ou étaient prescrits. « Manchester City n’a pas déguisé ses contrats de sponsoring mais a échoué à coopérer avec l’UEFA », a expliqué le TAS dans sa décision.
L’UEFA a déclaré, dans un communiqué, prendre note de la décision du TAS et ne pas vouloir faire plus de commentaires.
Montants de partenariats artificiellement gonflés
L’UEFA avait ouvert une enquête début 2019 après que les pratiques financières du club anglais, ainsi que celles du Paris-Saint-Germain (PSG), avaient été montrées du doigt par les « Football Leaks ».
A l’automne 2018, une enquête du consortium European Investigative Collaborations (ECI), dont fait partie Mediapart en France, avait révélé comment les Citizens avaient mis en place des pratiques de contournement du fair-play financier, entré en vigueur à partir de 2013.
Une première stratégie avait consisté à gonfler artificiellement les montants des partenariats du club, l’argent ne provenant par ailleurs pas de ces apparents partenaires mais de la fortune personnelle du propriétaire, le Sheikh Mansour. City avait ainsi touché près de 2,7 milliards d’euros de son propriétaire grâce à des contrats de sponsoring surévalués.
La deuxième stratégie, révélée par Der Spiegel, a consisté en une externalisation de certaines dépenses, confiées à des sociétés parallèles financées par Mansour en personne.
Mediapart a décrit le fonctionnement de l’une de celles-ci, nommée Fordham. « Fordham permet à City d’externaliser le coût des droits à l’image – ce qu’il paie à ses joueurs pour utiliser leur image dans des publicités ou du marketing. Fordham se charge de rémunérer les joueurs, et City engrange les revenus des pubs, soit presque 30 millions d’euros par an, sans rien dépenser. »
Accusations de cabale
Face aux éléments réunis par l’UEFA, les dirigeants des Citizens ont adopté une attitude agressive, rejetant en bloc les accusations, s’estimant victimes d’une cabale des instances du football européen pour les empêcher de devenir un grand club.
Manchester City a ainsi affirmé, dans des e-mails internes, publiés lors des « Football Leaks », qu’il serait prêt à investir « 30 millions de livres sterling [36 millions d’euros] pour recruter les cinquante meilleurs avocats » pour contester la décision devant les instances européennes.
« Cette décision ne relève pas de la justice, mais de la politique, avait accusé Ferran Soriano, le directeur général du club, dans une vidéo diffusée sur son site. Il est clair qu’on n’a pas bénéficié d’un processus équitable. »
La direction de Manchester City ayant refusé de publier des réponses précises aux accusations, l’UEFA, qui n’avait pas publié le détail de son jugement, a expliqué pour sa part qu’elle avait considéré que le club n’avait « pas coopéré ».
L’enquête et le jugement avaient été portés par deux organismes semi-indépendants – la chambre d’investigation et la chambre d’adjudication de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) – constitués de personnalités sérieuses : l’ancien premier ministre belge Yves Leterme et José Narciso da Cunha Rodrigues, un ancien procureur général du Portugal.
S’il a annulé la sanction sportive voulue par l’UEFA, le TAS a imposé une amende de 10 millions d’euros à Manchester City pour ne pas avoir coopéré avec les enquêteurs.
Le fair-play financier remis en cause ?
Manchester City avait déjà senti le vent du boulet en 2014 mais, comme les « Football Leaks » l’ont révélé, le club avait alors négocié avec les dirigeants de l’UEFA une « remise », avec une amende réduite de 60 à 20 millions d’euros, et quelques arrangements sur le sponsoring.
La décision du TAS est-elle de nature à remettre en cause le fair-play financier ou, pour le moins, la façon dont son application peut être contrôlée ? En réaction à cette annonce, lundi, l’UEFA s’est bornée à rappeler que « le fair-play financier a joué un rôle significatif ces dernières années pour protéger les clubs et les aider à devenir plus solides durablement au plan financier » et qu’elle demeure « attachée à ses principes ».
Le PSG avait lui aussi échappé en mars 2019 aux sanctions qu’aurait voulu lui imposer l’instance européenne du football pour des montants contestés de différents accords de sponsoring provenant du Qatar.
Le club français avait obtenu gain de cause auprès du TAS qui avait écarté la décision de l’UEFA de rouvrir, à travers sa chambre de jugement de l’ICFC, un dossier que… la chambre d’instruction de l’ICFC avait décidé de clore en juin 2018. Parallèlement, le PSG avait toutefois accepté que le montant enregistré de ses contrats des sponsoring soient dévalués.
Si Manchester City a tourné la page du TAS, le club n’en n’a toutefois pas encore totalement fini avec les enquêtes sur ses revenus. La Premier League, la structure qui gère le championnat national anglais de première division, a lancé sa propre enquête en mars 2019. Celle-ci porte sur les mêmes éléments que ceux visés par l’UEFA, ainsi que sur le recrutement de jeunes joueurs et la tierce propriété de joueurs (la vente par un club d’une partie des droits économiques d’un joueur à un tiers).