Les députés français entament cette semaine l’examen du projet de loi « renforçant les principes de la République », autrement appelé loi contre les séparatismes. Ce texte entend protéger le principe de laïcité et cela passe notamment par le contrôle accru des associations. Il oblige par exemple les associations cultuelles à plus de transparence sur l’origine de leurs dons venant de l’étranger. Visée à travers ces articles, tout particulièrement, la gestion des lieux de culte musulmans. À Angers, dans l’ouest de la France, cette question fait polémique.
Le chantier de la grande mosquée a commencé il y a cinq ans. À terme, elle devrait être la 4e mosquée de France, avec une capacité d’accueil de 2 500 personnes. Les deux tiers de l’édifice sont sortis de terre, grâce aux dons des fidèles. Mais pour financer plus rapidement la phase finale des travaux, l’Association des musulmans d’Angers a accepté la participation du Royaume du Maroc. Rabat s’engage à verser 4,5 millions d’euros à condition de devenir propriétaire des lieux.
Le projet ne fait pas l’unanimité chez les pratiquants angevins. À la fin de la prière vendredi dernier, certains fidèles ont manifesté à coup de banderoles et de haut-parleur, leur opposition au projet de cession. Ils refusent que leur future mosquée appartiennent à un pays étranger, d’autant qu’ils sont originaires d’une quinzaine de pays, alors « pourquoi le Maroc et pas un autre ? » Ce groupe de fidèles s’estime floué car ils ont le sentiment d’avoir commencé à financer un projet sans savoir qu’il allait leur échapper.
L’opposition de la mairie
L’affaire gêne aussi beaucoup la mairie d’Angers. La démarche du Maroc est tout à fait légale mais elle n’est pas du tout appréciée par la majorité de droite. « Ce qui nous gêne, explique Jean-Marc Verchère, le premier adjoint au maire, c’est qu’un État soit le propriétaire d’une enclave de notre commune, a fortiori un lieu de culte. Même si le projet part des meilleures intentions, il peut exclure peu ou prou une partie des musulmans, les non Marocains. D’autre part, qu’est-ce que l’on peut craindre, derrière, sur le choix des imams et un certain nombre de choses ? »
Le conseil municipal, d’une seule voix, a trouvé le moyen d’empêcher pour l’instant la cession. Une ligne dans l’acte de vente du terrain s’oppose à sa revente avant la fin des travaux. Mais la mairie a conscience qu’elle ne fait que gagner un peu de temps. C’est son dernier levier légal.
Pour défendre son projet, l’AMA, l’Association des musulmans d’Angers, estime que si elle ne comptait que sur les dons privés, la mosquée ne serait pas terminée avant dix ans et que le chantier aurait bien le temps de se dégrader. Il y a urgence. Elle assure s’être tournée vers plusieurs pays, mais que seul le Maroc a répondu.
Les explications de Mokhtar Hedia, le porte-parole de l’AMA, laissent entendre que la proposition marocaine avait de toute façon la préférence de l’association. Le Maroc a l’habitude de financer des mosquées en France, via son ministère des Habous et des Affaires islamiques. « Le Maroc sait très bien que nous sommes une association loi 1901, précise Mokhtar Hedia. Il s’engage d’ailleurs, noir sur blanc, à ce que nous restions les seuls gestionnaires des lieux. Je peux vous assurer que si le projet aboutit, il n’y aura aucune ingérence dans les affaires de la mosquée. »
Une diplomatie par le religieux
L’intérêt du Maroc est d’abord diplomatique, selon Haoues Seniguer, maître de conférence à Sciences Po Lyon. Il suit de près les questions liées à l’islam de France. Selon lui, c’est une façon de garder un lien avec sa diaspora via le religieux. Mais aussi de concurrencer d’autres pays comme l’Algérie, dans leur quête d’influence sur l’islam en France. Depuis les attentats qui ont frappé son territoire au début des années 2000, le royaume cherche à contrer l’extrémisme, y compris en France.
Pour des raisons diplomatiques également, Haoues Seniguer estime que, comme le Maroc, les États qui investissent dans des lieux de culte en France ont tout intérêt à ce que leur diaspora respecte scrupuleusement les lois de la République, pour ne jamais écorner leur image et risquer de dégrader leur relation avec Paris. « C’est un islam conservateur qu’ils promeuvent, précise-t-il, mais un islam légaliste. » Le spécialiste donne l’exemple de la grande mosquée de Lyon, financée majoritairement par l’Arabie Saoudite. Le lieu n’a, selon lui, jamais basculé dans l’islam salafiste, pourtant pratiqué à Riyad.
En France, selon un rapport parlementaire de 2016, environ 10 % des mosquées sont financées par des dons étrangers, venant d’États ou de riches mécènes. L’auteure du document souligne que, par ailleurs, des pays étrangers financent les salaires de plus de 300 imams et gèrent la formation de centaine d’autres. La députée Nathalie Goulet estimait à l’époque que le manque de moyens des communautés musulmanes et l’absence de centres de formation publics rendaient incontournable cette aide venue d’ailleurs.