La Fondation Carmignac a ouvert ses portes début juin. Un havre de paix et de beauté dédié à l’art contemporain, niché au cœur du parc national de Port-Cros. Un écrin pour la collection privée d’Édouard Carmignac qui expose un échantillon de soixante-dix de ses œuvres dans un espace muséal souterrain et lumineux ouvert sur le paysage à découvrir obligatoirement pieds nus. Une visite conçue comme une expérience sensorielle et sans parcours imposé. Douze imposantes sculptures sont à découvrir dans le parc du domaine viticole de quinze hectares.
À l’entrée de la villa Carmignac, Alycastre, le monstre en bronze patiné de l’artiste catalan Miquel Barcelo, libre interprétation d’une légende de l’ile de Porquerolles, accueille le visiteur. Avant d’arriver jusque-là, il aura fallu prendre un petit bateau à Hyères pour une courte traversée et s’engager dans un sentier forestier jusqu’à l’entrée de la fondation. L’allée majestueuse en pierres, entourée de pins parasols, ne laisse rien deviner du bâtiment.
La réglementation du parc national de Port-Cros interdisait toute construction au-delà de la maison existante. Il a donc fallu creuser les salles d’exposition sous terre. Des salles éclairées par des percées ouvertes au ras du sol sur le paysage environnant et par un immense plafond de verre faisant jouer les rayons du soleil à travers un bassin d’eau.
Une impression d’aquarium renforcée par l’œuvre monumentale de Miquel Barcelo, une commande réalisée pour le site : une toile de 15 mètres de long, représentant des fonds marins, placée dans une salle cathédrale à contempler assis sur des poufs. Une véritable plongée dans l’art donc, renforcée par le bruit d’eau produit par la centaine de poissons – fontaine signée de l’artiste Bruce Nauman.
Partager le plaisir de l’art avec le plus grand nombre
À 70 ans, Edouard Carmignac est un financier, fondateur de Carmignac Gestion, classé parmi les plus grandes fortunes de France. Amateur d’art contemporain, sa collection de 300 œuvres était jusque-là répartie dans les bureaux de ses 300 collaborateurs, uniquement visible par ses employés et ses clients. L’idée de la fondation est venue avec l’acquisition de ce lieu, il y a une dizaine d’années, une propriété privée, domaine viticole où l’acteur Jean-Paul Belmondo tourna autrefois quelques scènes de Pierrot le fou sous la direction de Jean-Luc Godard. Cinq années de travaux plus tard, et pour un coût resté secret, l’écrin est parfait.
Un autoportrait dansant d’Edouard Carmignac, signé Jean-Michel Basquiat, accueille le visiteur en bas des escaliers, souvenir d’une rencontre de jeunesse avec l’artiste lors d’une fête à New York. Mais la pièce maitresse signée Basquiat date de 1981. Titrée Fallen Angel, elle préfigure la mort tragique de l’artiste à 27 ans.
Soixante-dix œuvres de la collection seront présentées régulièrement et enrichies de prêts. Pas plus, pour laisser les tableaux respirer, et permettre aux visiteurs (pas plus de cinquante à la fois) de vivre une expérience artistique unique. Une visite à effectuer obligatoirement pieds nus, pour « se reconnecter et se ressourcer ».
Confrontation artistique audacieuse
Le pop art américain est au cœur de la collection Carmignac qui compte douze œuvres de Roy Lichtenstein et… un Botticelli, seule exception non contemporaine de la collection.
Roy Lichtenstein dialogue avec Sandro Botticelli car « Botticelli a synthétisé l’archétype de la beauté occidentale à la Renaissance qui a prévalu jusqu’à l’arrivée de Lichtenstein, explique Edouard Carmignac. Par son écriture quasi industrielle faite de points et de lignes, l’Américain a revu cet archétype féminin. Aujourd’hui, les modèles à la une des magazines ressemblent plus à des femmes de Lichtenstein qu’à des femmes de Botticelli ».
Un parc de sculptures
La propriété de quinze hectares accueille un parc de sculptures, une douzaine pour l’instant. L’artiste allemand Nils Udo, 81 ans, grand spécialiste de l’art dans la nature, a disposé dans une clairière ronde cinq œufs en marbre blanc de Carrare de 4,2 tonnes chacun. Une couvée d’oiseau géant posée sur un lit de gravier, livrée par hélicoptère spécial et disposée là pour l’éternité.
L’artiste plasticien sétois Jean Denant a incrusté dans la façade de pierre du mas une carte de la méditerranée en miroir qui reflète le paysage et le ciel intitulée La traversée.
Les monstres grotesques du Suisse Ugo Rondinone, Four Seasons, côtoient les visages de bronze démesurés et hiératiques du Catalan Jaume Plensa Les trois alchimistes. Plus loin, une statue monumentale de femme aux formes archaïques, LOLO, du Chinois Wang Keping semble surgir de la forêt.
Et pour se perdre tout à fait, le Danois Jeppe Hein a installé dans la prairie un labyrinthe de miroirs en forme de fleur d’Aquilea, Path of Emotions.
Pour sa fondation, Edouard Carmignac ne souhaitait pas un lieu trop citadin « où l’on viendrait consommer de la Culture entre un shopping et un repas au restaurant ». « Je souhaitais que ce lieu soit intégré dans la nature, dans un lieu préservé comme l’île de Porquerolles ».
Les rênes de la fondation ont été confiées à Charles, fils aîné, ancien membre du groupe de musique Moriarty. « La politique d’acquisition va continuer avec peut-être des artistes de sa génération, explique Edouard Carmignac. C’est important qu’une fondation ne devienne pas un musée ».