Une semaine noire s’achève dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Ce dimanche 19 mai, un décret présidentiel interdisait à Huawei d’accéder au marché américain, mais aussi de s’y fournir en composants électroniques ou en logiciel. Le jeudi suivant, Donald Trump évoquait finalement la possibilité d’inclure l’équipementier chinois dans un accord commercial. Entre-temps, les défections des fournisseurs américains de semi-conducteurs de Huawei se poursuivent.
Dans cette guerre commerciale qui ne faiblit pas, Huawei est devenu la bête noire de Washington. Google, dont le système mobile Android équipe l’écrasante majorité des smartphones dans le monde, était le premier à se plier au décret présidentiel. Le géant américain a décidé de rompre ses relations commerciales avec les Chinois.
Washington a finalement offert un sursis de trois mois à Huawei. Le département américain du Commerce a autorisé l’entreprise chinoise à conserver ses réseaux existants jusqu’au 19 août. Elle pourra également, dans ce laps de temps, continuer à fournir des mises à jour logiciel pour les consommateurs américains en possession d’un téléphone de la marque.
Mais ensuite ? Les utilisateurs actuels de téléphones fabriqués par Huawei ne pourront plus mettre à jour le logiciel d’exploitation Android. En revanche, ils pourront toujours utiliser et mettre à jour les applications mobiles fournies par Google : des applications phares, comme Gmail, YouTube ou le navigateur Chrome qui ne seront plus installées sur les futurs modèles de smartphones Huawei.
La Chine n’a pas tardé à réagir par la voix de son ministre des affaires étrangères, Wang Yi, qui a dénoncé « un harcèlement économique américain » visant son pays.
Les défections se poursuivent aux États-Unis
Dans le sillage de Google, un grand nombre de producteurs américains ont aussi indiqué qu’ils allaient cesser de fournir des composants et logiciels sensibles au géant chinois. Parmi eux, le fabricant de microprocesseurs Intel, le groupe Qualcomm ou encore Broadcom, le fabricant de semi-conducteurs. Ils ont été suivis par l’informaticien Micron Technology, Xilinx, Skyworks Solutions et Qorvo, qui sont des entreprises de semi-conducteurs, ou encore par Analog Devices.
Pour ces sociétés, couper les ponts avec l’équipementier chinois signifierait perdre une partie de leur business, devoir se confronter aux perturbations dans le suivi des commandes ou même devoir licencier une partie de leurs effectifs. En somme, des entreprises sur lesquelles repose un grand pan de l’économie américaine et qui pourraient être, autant que le groupe chinois, victimes de la confrontation entre Pékin et Washington.
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Mais aussi ailleurs dans le monde
Les Japonais ne sont pas en reste avec le géant de l’électronique Panasonic ou Toshiba, le fabricant d’ordinateurs, qui ont suspendu leurs transactions avec l’équipementier chinois afin, officiellement, « de procéder à de plus amples vérifications ».
Par prudence, les principales entreprises japonaises des télécoms, dont l’opérateur historique NTT Docomo, ont décidé de reporter la commercialisation de nouveaux modèles de smartphones de la marque chinoise. Au Royaume-Uni, deux grands opérateurs, Vodafone et EE (anciennement Everything Everywhere), ont exclu de leurs précommandes les smartphones de la marque chinoise compatibles avec le réseau 5G. Toutes ces entreprises craignent que les appareils Huawei perdent leur intérêt sans l’apport de technologies américaines.
Entre-temps, la guerre des mots continue
Dans un entretien avec la chaîne CNBC, le secrétaire d’État Mike Pompeo a accusé Huawei de mentir sur ses liens avec le gouvernement chinois. « Le PDG de Huawei ne dit pas la vérité au peuple américain ni au monde » quand il affirme qu’il n’a pas de lien avec le gouvernement, a accusé Mike Pompeo, citant la législation chinoise qui, selon lui, force les entreprises du pays à collaborer avec les autorités. Réaction immédiate du porte-parole de la diplomatie chinoise : « les responsables politiques américains lancent de nombreuses rumeurs, mais où sont les preuves ? Montrez-nous les preuves ! » Au même moment, des élus américains des deux bords (fait rare !) ont proposé un texte de loi pour protéger le futur réseau 5G américain du fabricant chinois.
Les contre-mesures chinoises ne se sont pas fait attendre. Le ministère chinois des Finances a annoncé une réduction d’impôts pour les entreprises qui travaillent dans le secteur des semi-conducteurs. Exemption totale les première et deuxième années, et moitié moins d’impôts payés entre la troisième et la cinquième année. Ces mesures d’incitation fiscale doivent entrer en vigueur le 1er juin prochain.
Huawei pourrait faire partie d’un accord commercial
Finalement, jeudi 23 mai, en plein milieu d’une conférence de presse sur les aides aux fermiers américains, est tombée cette annonce du président américain Donald Trump : « Huawei est très dangereux. Quand vous regardez ce qu’ils ont fait d’un point de vue de la sécurité, d’un point de vue militaire. Très dangereux. Mais il est possible que Huawei soit inclus dans un accord commercial. Si on a un accord, je vois bien Huawei inclus d’une manière ou d’une autre ». Pressé par un journaliste, Donald Trump n’a pas donné plus de détails.
Mais pourquoi cette décision, et pourquoi précisément maintenant ? Tôt ou tard, il fallait s’attendre à ce que Washington mette ensemble la sécurité nationale et l’accord commercial, estime Grégory Vanel, professeur à l’École de Management de Grenoble. « Donald Trump a fait une escalade tarifaire jusqu’à maintenant. S’il mettait véritablement sa menace en place, quasiment 98% des marchandises en provenance de Chine seraient taxées. D’une certaine manière le président américain n’a plus de marge de négociation. Il essaie de redéployer sa négociation sur d’autres éléments qui font partie d’une stratégie anti-chinoise classique des États-Unis depuis les années 1980. »
Le mercantilisme ne passe pas uniquement par le commerce
Depuis très longtemps, quand les États-Unis négocient un accord commercial, ils y incluent des problématiques de sécurité nationale. « C’est même l’un de leurs principaux objectifs », affirme Grégory Vanel. Outre le commerce, « on y négocie des éléments relatifs à l’environnement, à la sécurité, au travail. Des supports à des négociations beaucoup plus larges entre les États. Ça a été rappelé dans un rapport du secrétariat de la Défense publié en décembre 2018. Il y est bien indiqué que le déploiement du numérique chinois pose des questions sur la sécurité nationale auxquelles il faudra répondre par des moyens qui ne sont pas uniquement des moyens militaires, mais aussi par des moyens de négociation commerciale. En soi, donc, la position américaine n’est pas une nouveauté. » Ce qui est surprenant, en revanche, c’est que les deux dossiers, celui du commerce et celui de la sécurité nationale liée à Huawei et au déploiement de la 5G, aient été séparés jusqu’à présent.
Selon Grégory Vanel, « Donald Trump est un dealer. C’est quelqu’un qui fait des deals. » Le président américain souhaite négocier un accord avec la Chine qu’il juge satisfaisant pour l’économie américaine. Problème : il existe toute une chaîne de fabricants américains qui sont les fournisseurs de Huawei. Des fleurons de l’économie américaine, comme Google, dépendent des technologies déployées par le géant chinois. « Vous ne pouvez pas, du jour au lendemain, stopper tous ces flux, car tout simplement vous vous tirez une balle dans le pied. »
Le président américain est en train de révéler que le mercantilisme passe aussi par d’autres questions, qui ne sont pas strictement commerciales. « Outre la sécurité, il a aussi des questions liées à la structure financière de la Chine (avec par exemple le taux de change du yuan), celles sur la protection des droits de propriété intellectuelle ou des transferts de technologie. Mais aussi des questions liées à l’intelligence artificielle dans laquelle la Chine est devenue le leader mondial. Ou encore des questions plus terre-à-terre, comme des subventions d’État chinois aux entreprises chinoises qui produisent des robots industriels. Toutes ces questions désignent la politique américaine vis-à-vis de la Chine depuis ces vingt, trente années », conclut Grégory Vanel.