Haïti à la recherche de perspectives pour 2023

Haïti à la recherche de perspectives pour 2023

Haïti a traversé une année 2022 particulièrement dramatique. Avec des kidnappings, des viols collectifs et des massacres, les gangs armés ont instauré un climat de terreur. Ils ont paralysé la libre circulation des personnes et des biens et rendu encore plus difficile l’accès aux services de base. Les écoles sont restées fermées, les hôpitaux peinent à soigner les malades, des entreprises ont fait faillite, la faim touche près de la moitié de la population et le choléra a fait son retour. Par où commencer pour sortir le pays de la descente aux enfers ?

En Haïti, les forces politiques ont toujours autant de mal à s’entendre. Mais toutes affichent au moins la même priorité en ce début d’année 2023, à savoir : la lutte contre l’insécurité. Pour la rendre plus efficace, le pays aura besoin d’aide, souligne Jean-Marie Théodat. En parlant de son pays natal, ce maître de conférences en géographie à l’Université Paris I Panthéon estime « évident qu’avec plus de 200 gangs armés opérant en Haïti et plus de 600 000 armes de guerre en circulation, nous n’allons pas pouvoir nous en sortir tout seuls ».

La Police nationale d’Haïti souffre d’un sous-effectif chronique. Seule institution encore opérationnelle du pays, elle compte aujourd’hui environ 13 000 agents. L’ONU s’inquiétait en automne dernier que le ratio de policiers pour 1 000 habitants était de 1,06 en Haïti, alors que la norme internationale est de 2,2. Pour faire face aux gangs lourdement armés, les agents de la PNH manquent de formations spécifiques et d’équipements adéquats. Cinquante et un policiers ont été tués par balle en 2022.

Quatre mois après la demande, aucune intervention militaire internationale en vue

En octobre dernier, le Premier ministre par intérim, Ariel Henry, avait demandé officiellement l’envoi d’une force armée internationale en Haïti pour venir à bout des gangs armés et rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire national. Mais cette requête « avait tout de suite provoqué une levée de bouclier » en Haïti, où le Premier ministre, désigné par le président Jovenel Moïse deux jours avant son assassinat en juillet 2021, ne dispose « d’aucune légitimité démocratique », rappelle Jean-Marie Théodat. Près de quatre mois après cette requête, aucun pays ne s’est dit prêt à prendre la tête d’une telle force militaire pour mener une intervention aussi coûteuse que dangereuse. Face aux hésitations de la communauté internationale, le chef du gouvernement haïtien semble petit à petit changer de discours.

Ce dimanche 1er janvier, à l’occasion de la Fête de l’Indépendance d’Haïti, il a demandé à la communauté internationale d’envoyer des formateurs et de l’équipement pour permettre à la police haïtienne de lutter plus efficacement contre les gangs armés. Et il a précisé qu’Haïti ne voulait « pas d’une intervention militaire ». Durant son discours au Champ de Mars, entouré d’un lourd dispositif sécuritaire pour permettre à la cérémonie officielle de s’y tenir, Ariel Henry a en revanche sollicité ses compatriotes pour jouer le rôle d’informateurs : « Je demande à la population : accompagnez la police ! désolidarisez-vous des criminels ! », a lancé le chef du gouvernement provisoire.

Sanctions internationales contre personnalités politiques et hommes d’affaires : un « électrochoc » en Haïti

Ce sont avant tout et surtout des personnalités politiques de premier plan, y compris d’anciens membres du gouvernement d’Ariel Henry, qui soutiennent les gangs armés. C’est le résultat d’informations récoltées par le Canada et les États-Unis, et dont le Premier ministre n’a pas parlé pendant son discours ce dimanche.

Après une résolution en ce sens adopté au Conseil de sécurité des Nations unies le 21 octobre 2022, Washington et Ottawa ont imposé ces dernières semaines des sanctions contre 13 ressortissants haïtiens : parmi eux aussi l’ex-président Michel Martelly, deux anciens Premiers ministres, d’actuels et anciens parlementaires ainsi que d’éminentes personnalités du monde des affaires et un ancien directeur des douanes. Le Canada et les États-Unis les accusent non seulement de financer les gangs armés, mais aussi de trafic de drogue, de blanchiment d’argent et de corruption. De nouveaux noms vont suivre.

Les sanctions « ont fait l’effet d’un électrochoc au sein de l’opinion publique haïtienne », souligne Jean Marie Théodat. « C’est une très bonne chose », estime aussi Marie Rosy Auguste Ducéna, « puisqu’en Haïti nous ne vivons pas seulement dans un contexte d’insécurité généralisée, nous faisons aussi face à l’impunité érigée en système ». Pour cette responsable de programmes au Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), les sanctions étaient une « reconnaissance de ce que la société civile faisait valoir depuis longtemps : les gangs armés arrivent à commettre autant de crimes parce qu’ils bénéficient de la protection et du soutien de personnalités haut placées dans le monde politique et au sein du secteurs des affaires ».

La justice haïtienne doit se saisir de l’affaire

Comme d’autres acteurs haïtiens, l’organisation réclame maintenant que le régime de sanction s’applique à tous les individus accusés des mêmes faits que les personnalités déjà visées ces dernières semaines afin d’éviter tout soupçon que la communauté internationale ne cible un camp politique en particulier. Marie Rosy Auguste Ducéna réclame aussi la mise en place d’une « entraide judiciaire » entre l’international et Haïti : « Dès qu’une sanction est prise il faut que le dossier soit directement envoyé aux autorités judiciaires haïtienne. Parce qu’aujourd’hui celles-ci nous disent ne pas pouvoir donner suite aux sanctions parce qu’elles n’ont pas reçu les dossiers ». En effet, la justice haïtienne n’a pas encore intenté la moindre action dans cette affaire. « Les personnes sanctionnées sur le plan international vaquent normalement à leur occupation en Haïti », déplore la défenseure des droits humains.

Alors que bon nombre d’Haïtiens s’interrogent sur la capacité de leur système judiciaire de mener à bien une quelconque procédure – même « l’affaire du siècle », l’assassinat du président Jovenel Moïse, n’a pas avancé d’un pouce – le RNDDH constate entre temps une légère amélioration sur le plan sécuritaire. Depuis la décision canadienne et américaine d’imposer des sanctions, il y a eu « moins d’attaques contre des quartiers populaires ». Et sur certains axes routiers, bloqués depuis des mois, les gangs rançonnent les chauffeurs mais laissent passer leurs véhicules.

Demonstrators carry around a mock coffin as they protest for justice in connection with the assassination of late President Jovenel Moise in Port-au-Prince, Haiti, Monday, Feb. 7, 2022. Monday marked not only seven months since Moïse was slain at his private residence but also the end of his term, with opponents demanding that Prime Minister Ariel Henry step down, arguing that his administration is unconstitutional. (AP Photo/Odelyn Joseph)

Les gangs armés « ont reçu l’ordre de se calmer », explique Marie Rosy Auguste Ducéna. Parce que « les sanctions ont visé des personnalités dont la majorité entretiennent des liens avec des bandits armés ». Et puis il y a probablement aussi « la peur de ceux qui n’ont pas encore été touchés par ces sanctions mais qui risquent de l’être qui a décidé certains d’entre eux de ralentir leurs relations avec des gangs. C’est l’impression que nous avons ».

Marc Alain Boucicault est le fondateur de Banj, un espace de coworking à Port-au-Prince qui a pour but de faire émerger de nouvelles idées économiques et sociales pour la jeunesse haïtienne. Pour cet économiste, les sanctions contre les membres de l’élite d’Haïti forcent la jeune génération de se chercher de « nouveaux modèles » : « Je pense qu’aujourd’hui nous sommes à un carrefour. On se regarde et on se dit qu’on en a marre de vivre dans un pays qui n’est pas dirigé. Je suis certain que plus de jeunes vont s’engager en politique, réellement dédiés au futur de ce pays, économiquement, politiquement et socialement. Ces gens sont là ! Ils existent déjà. Et d’autres jeunes vont apparaître avec de nouvelles propositions pour trouver des choses qui marchent ».

Vers des élections en 2023 ?

Lundi prochain, le 9 janvier, le mandat des dix derniers sénateurs encore en poste en Haïti touchera à sa fin. Au niveau national comme au niveau départemental et local, le pays n’aura alors plus aucun élu. Comme au début de l’année dernière, Ariel Henry a promis en ce 1er janvier 2023 l’organisation d’élections. Mais le Premier ministre en convient : ces scrutins ne seront pas possibles sans amélioration notable de la situation sécuritaire.