La crise liée à un projet de loi – actuellement suspendu – sur l’extradition a déjà provoqué quatre morts indirectes, dont au moins trois suicides avérés, et un accident mal élucidé chez des jeunes de moins de 30 ans. Les autorités sanitaires tirent la sonnette d’alarme, alors que la santé mentale reste peu ou mal comprise dans cette société largement conservatrice.
Avec notre correspondante à Hong Kong,
Quatre morts sont pour l’instant clairement associées au mouvement de protestation politique de ces dernières semaines. Le premier décès est celui d’un jeune homme, surnommé aujourd’hui « l’homme en jaune », parce qu’il portait un ciré jaune lorsqu’il est tombé d’un immeuble, sous les yeux de très nombreux témoins, après avoir accroché une banderole réclamant le retrait total du projet de loi et non sa simple suspension.
« L’homme en jaune » est tristement devenu l’un des symboles de cette crise. Or, sa mort est intervenue le 15 juin, juste après la première conférence de presse de Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif, qui avait annoncé la suspension du projet de loi, mais pas son retrait total.
Au lendemain de cette annonce partielle et de ce premier décès, on a vu deux millions de personnes descendre paisiblement dans la rue. Il est indéniable que cette mort a mobilisé quelques milliers ou dizaines de milliers de citoyens supplémentaires, en particulier parmi les jeunes.
Après ce premier drame, trois suicides ont été clairement revendiqués comme des réactions à la crise politique actuelle, à l’absence de réponse de gouvernement et à l’absence d’avenir pour les jeunes qui se sentent poussés inexorablement vers un monde, le modèle chinois, qu’ils rejettent viscéralement.
Résultat de cette vague dépressive, toutes les agences et les services en ligne de soutien se disent débordés par les appels, multipliés par cinq au cours du mois de juin. La plateforme de soutien Open Up reçoit ainsi jusqu’à 450 demandes de soutien par jour contre 60 à 80 en temps normal.
La crise politique, arbre qui cache la forêt de la détresse ?
Il faut dire que le contexte de la vie à Hong Kong est particulièrement stressant : outre la densité de la population, une des plus fortes du monde, Hong Kong a aussi le plus fort taux d’inégalités de tous les pays (ou territoires) développés.
Cela fait au moins 20 ans que l’ascenseur social ne fonctionne plus ; les milliardaires – qui au moins pour moitié sont partis de rien en arrivant de Chine dans les années 1940 et 1950 – contrôlent aujourd’hui les principaux secteurs de l’économie et l’immobilier est devenu totalement inaccessible.
D’ailleurs, selon Paul Yip, le directeur du Centre de recherches et de prévention du suicide à l’Université de Hong Kong, le texte sur les extraditions n’est que « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Ce spécialiste de la question rappelle que les nombreuses installations commémoratives qui ont vu le jour un peu partout pour honorer ces morts dramatiques peuvent avoir tendance à inciter d’autres jeunes à passer à l’acte pour rejoindre le rang des « héros » ou des martyrs de ce combat. Les réseaux sociaux peuvent également aggraver l’effet de contagion.
Faible réaction du gouvernement
L’attitude du gouvernement n’a certainement pas aidé : Carrie Lam a commencé par ignorer de manière insultante le problème en refusant de répondre aux questions à ce sujet.
Finalement, vendredi 5 juillet, le numéro deux du gouvernement, Matthew Cheung, a dit que le gouvernement se « rendait compte que beaucoup de gens sont malheureux en ce moment » et a demandé aux ONG de consacrer plus de temps et de ressources à lutter contre la dépression.
La société civile, en revanche, s’est saisie du problème. Des nouveaux slogans sont apparus dans les rassemblements, notamment « chacun d’entre nous est important » et « les hauts et les bas, nous les traversons ensemble ». Et le 5 juillet, au cours de la veillée des mères des étudiants, l’un des messages était aussi un message de soutien et d’encouragement aux jeunes pour justement leur dire de ne pas perdre espoir.
Rfi