Hong Kong: qui sont les «forces étrangères» dénoncées par Pékin?

Lundi 21 octobre, le ministre chinois des Affaires étrangères a accusé les « forces étrangères » d’être à l’œuvre derrière les « violences » à Hong Kong. Quelles sont les preuves de ce « complot politique » régulièrement dénoncé par Pékin ? Pourquoi l’agiter à nouveau maintenant ?

Le refrain est ancien. « Il y a des forces étrangères qui encouragent ce genre de violences dans la rue, dans le but de déstabiliser Hong Kong, de semer le chaos […] d’anéantir des projets historiques obtenus depuis l’application de la politique “un pays, deux systèmes” », a pesté ce lundi Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise de passage à Paris.

Ces déclarations interviennent après le 20e dimanche consécutif de manifestations à Hong Kong. Une nouvelle mobilisation marquée par les heurts entre policiers et manifestants en colère après l’agression de deux militants pro-démocratie.

Les accusations de Pékin sont-elles fondées ?

« Elles sont totalement infondées, repousse le spécialiste de Hong Kong Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy School. C’est une invention de toutes pièces. Les Chinois font référence aux “révolutions de couleur”, aux printemps arabes, où des mouvements démocratiques ont pu être aidés par des agents étrangers. »

Le vocabulaire des « forces anti-chinoises » est un lexique régulièrement en vogue depuis la fondation de la République populaire en 1949, de la « révolution culturelle » à Tiananmen, puis lors des « printemps arabes » en 2011. Les nationalistes chinois avaient alors cru épingler l’ambassadeur américain Jon Huntsman, accusé de fomenter une « révolution de jasmin » en Chine par une simple apparition devant un McDonald’s à Pékin, le jour d’un rassemblement minuscule pour une manifestation qui n’eut jamais lieu.

Aux yeux de Philippe Le Corre, l’histoire du mouvement actuel à Hong Kong ne laisse pourtant aucun doute : « Cela part d’abord de la commémoration du trentenaire de Tiananmen. Cela se poursuit par des grandes manifestations contre le projet de loi d’extradition [notamment vers la Chine; NDLR], puis par une manifestation monstre avec plus d’un million de personnes dans la rue. Comment des puissances étrangères auraient-elles pu organiser un événement d’une telle ampleur ?! »

Quelles sont alors les preuves avancées par Pékin pour justifier ses accusations ? Selon le China Daily, organe anglophone du Parti communiste, il existe une série de faits « indubitables ». À commencer par la rencontre de Julie Eadeh, conseillère politique au consulat américain à Hong Kong, avec trois des leaders de la contestation hongkongaise, Martin Lee, Anson Chan et Joshua Wong. C’était le 6 août dernier. « C’est trop facile d’accuser les diplomates, objecte Philippe Le Corre. Ils font juste leur travail : ils rencontrent tous les acteurs politiques et sociaux de la ville. Mais ils ne viennent pas avec des valises de dollars ! »

Ce n’est pas tout, poursuit le China Daily. Quelques mois auparavant, les mêmes Martin Lee et Anson Chan, tout comme Jimmy Lai, propriétaire du journal hongkongais pro-démocratie Apple Daily, avaient rencontré à Washington le vice-président Mike Pence et le secrétaire d’État Mike Pompeo.

Ne cherchez plus, renchérit le tout aussi officiel Global Times, la « révolution de couleur » est en marche à Hong Kong. Là aussi, où sont les preuves ? Y aurait-il eu des rencontres officielles avalisant d’autres réunions secrètes, comme celle organisée en 2018 avec des militaires vénézuéliens désireux de renverser Nicolas Maduro ? Washington avait finalement décidé de ne pas soutenir de coup d’État à Caracas. À Hong Kong, jusqu’à présent, rien de tel n’a eu lieu.

La « main noire » de l’Amérique derrière les manifestants ?

Plus éclatant et plus décisif encore, soutient le China Daily, le financement de certaines ONG hongkongaises participant aux manifestations pro-démocratie : elles reçoivent de l’argent du National Endowment for Democracy (NED).

Qu’en penser ? Ce fonds de dotation privé à but non lucratif a été créé sous la présidence de Ronald Reagan en 1983. Il est massivement financé par le Trésor américain. La Chine, à l’instar de la Russie, avance que le NED est un « cache-nez de la CIA ». Il est en effet arrivé au fonds de paraître remplacer par du financement d’ONG les activités clandestines de la CIA en faveur des forces démocratiques à l’étranger, comme Solidarnösc en Pologne ou plus récemment en Ukraine.

En ce qui concerne Hong Kong, l’argument de Pékin n’est pas nouveau. Le régime chinois avait déjà accusé le NED d’être la « main noire » derrière le « mouvement des parapluies » en 2014. À l’époque, l’organisation américaine n’avait pas nié ses programmes de financement, qui existent à Hong Kong depuis vingt ans. Elle s’était défendue en arguant que ses subventions à des ONG locales servaient à organiser des ateliers de formation à la citoyenneté ou à la défense des droits de l’homme, et qu’elles ne pouvaient être assimilées à des menées insurrectionnelles pour un changement de régime.

Cinq ans plus tard, les preuves irréfutables de réunions préparatoires et de financement direct des manifestations en cours n’ont toujours pas été fournies. Ironie de l’histoire, l’administration Trump, dans son budget 2019, avait prévu de réduire drastiquement les subventions au NED, et de démanteler ses liens avec ses deux organisations subsidiaires, le National Democratic Institute (NDI) et l’International Republican Institute (IRI). Difficile donc de démontrer que l’ancien magnat de l’immobilier soutient ardemment l’actuel mouvement hongkongais.

Il n’est pas sûr non plus que les tweets du président américain apportent plus d’eau au moulin de Pékin. Le locataire de la Maison Blanche a commencé par assimiler les manifestants à des « émeutiers », le terme-même utilisé par la Chine et qui en droit hongkongais rime avec de lourdes peines pour les protestataires interpellés.

Donald Trump a ensuite saisi le parti à tirer des événements à Hong Kong dans sa guerre commerciale avec Xi Jinping, conditionnant la conclusion de son deal avec la Chine à un dénouement « humain » à la crise. Bref, on reste loin d’un plaidoyer pour l’État de droit ou le suffrage universel, deux des revendications des manifestants hongkongais.

Vote prochain au Sénat américain sur Hong Kong

Pourquoi la rhétorique de Pékin s’enflamme-t-elle alors ces jours-ci ? C’est que le Sénat américain est appelé à voter la version 2019 de la « loi sur les droits de l’homme et la démocratie à Hong Kong ». Conçue en 2015 lors du « mouvement des parapluies », La Chambre des représentants l’a remise à jour et entérinée le 15 octobre dernier.

Qu’autorise cette loi ? Le département d’État américain pourrait imposer des sanctions contre les individus accusés de violer le principe « un pays, deux systèmes » à Hong Kong. Principe au cœur de l’accord de rétrocession signé en 1984 par Pékin et Londres : l’ancienne colonie britannique doit conserver un haut degré d’autonomie et de libertés civiles durant cinquante ans après son retour dans le giron de la mère-patrie.

Quand le vote du Sénat aura-t-il lieu ? « Cette semaine ou la suivante », a déclaré le 18 octobre Marco Rubio, sénateur de la Floride. Pourtant, ce vote ne suffira pas pour appliquer cette loi. Il faudra aussi la signature de Donald Trump. Or, le président américain n’a pas indiqué s’il apposerait son paraphe.

Certes, son secrétaire d’État Mike Pompeo a récemment affirmé son soutien à la protection du statut particulier de Hong Kong. « Le président Trump a dit que les Chinois devaient continuer à honorer leur engagement passé non seulement avec les Britanniques, mais avec les Nations unies et le monde. » Mais qui peut dire ce que l’imprévisible Donald Trump décidera au final ? En attendant, Pékin surfe allègrement sur l’incertitude pour pincer la corde nationaliste des Chinois.

Rfi