« Ils ont pris ce qu’ils voulaient dans son corps »: c’était il y a trente ans, mais Mary Ndeminin n’a rien oublié de ce jour de 1993 où son mari est mort supplicié pendant la guerre civile au Liberia.
Drapée dans un boubou, les cheveux enturbannés, cette femme a parcouru près de 5.000 kilomètres pour évoquer le meurtre accompagné d’actes de cannibalisme de son mari, un des crimes pour lesquels l’ex-rebelle Kunti Kamara comparaît devant la cour d’assises de Paris.
La date exacte est vague, tout comme l’âge de cette femme qui pense avoir autour de 57 ans. Mais les souvenirs qu’elle garde de cette journée sont intacts.
Le Liberia est alors plongé dans une sanglante guerre civile depuis près de quatre ans et des tirs sont entendus dans le village de Foya, au nord-ouest du pays, où résident le couple Ndeminin et leurs enfants.
« On est partis se réfugier dans la brousse et mon mari est parti chercher de la nourriture pour les enfants », relate Mme Ndeminin via une interprète. Elle ne le reverra jamais.
Inquiète après plusieurs heures d’absence, elle part à sa recherche et croise des habitants qui, à son passage, se mettent « à parler entre eux ». « Je leur ai demandé: +qu’est-il arrivé à mon mari+ ? », témoigne-t-elle.
D’après l’acte d’accusation, David Ndeminin a simplement eu le tort de répondre à des « hommes blancs », des humanitaires venus dans le village pour savoir qui était responsable de la destruction d’un hôpital local.
Cet enseignant et homme d’église avait désigné les troupes de l’Ulimo, le mouvement dont M. Kamara était un commandant et qui avait alors pris le contrôle du nord-ouest du Liberia.
– « Oh my god… » –
Sans le savoir, David Ndeminin avait signé son arrêt de mort: en représailles, selon l’acte d’accusation, Kunti Kamara lui aurait découpé la cage thoracique à la hache afin d’en extraire son cœur et de le manger.
Impassible dans le box, l’ex-rebelle de 47 ans, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, conteste les faits.
« On m’a dit qu’ils l’avaient tué, l’avaient découpé en morceaux et l’avaient mangé », se souvient à la barre Mary Ndeminin, qui se rappelle alors son cri d’effroi: « Oh my god… »
Aujourd’hui encore subsiste une inconsolable douleur. « Je ne peux plus voir David. Parfois il restait devant moi et on se donnait à chacun du poisson. Personne ne pouvait venir mettre de la discorde entre nous », déclare celle qui ignore encore exactement où a été enterré son mari.
Ce crime, comme tous ceux commis pendant la guerre civile (1989-2003), n’a jamais été jugé au Liberia.
Après avoir appris le décès de son mari, un autre drame va frapper le même jour Mary Ndeminin. A son retour auprès de ses enfants, elle se rend compte que sa fille Abigail a disparu. Elle ne la retrouvera que plusieurs années plus tard. « Je pleurais tous les jours », dit-elle.
Venue également à Paris pour ce procès, Abigail ne révèle pas en détail à la cour ce qu’elle a enduré pendant ces années hors du foyer familial mais elle ne cache pas avoir été plusieurs fois violée. « J’avais 10 à 12 ans », glisse-t-elle.
A l’audience, elle a tenu à faire projeter à l’audience une photo du visage souriant de son père, alors âgé d’une trentaine d’années, mais elle n’est pas entièrement convaincue de l’intérêt de ce procès inédit en France.
« A quoi ça sert de redire mon histoire ? Mon père est mort en disant la vérité et ça ne va pas le rendre à nouveau vivant », lâche-t-elle entre deux sanglots.
Très vite, elle semble toutefois se raviser. « La seule chose qui peut nous aider c’est la justice » afin, assure-t-elle, que « personne d’autre ne vive mon expérience ».