Images rebelles au cinéma l’Ecran de Saint-Denis

Les 18e Journées cinématographiques dionysiennes se tiennent du 7 au 13 février à Saint-Denis, en banlieue de Paris. Intitulée « Rebel Rebel », cette édition propose plus de 70 films consacrés aux rebelles dans le cinéma. Rebelles de toutes les époques, de tous les genres, de tous les continents ou presque… Petits et grands rebelles… Des cinémas et des cinéastes qui ont pour points communs de refuser un monde injuste, et/ou de se rassembler, de créer, d’inventer… Y compris de nouvelles formes de cinématographies. Pour en parler Olivier Pierre, programmateur du festival.

RFI : Vous proposez cette année « un grand panorama de la rébellion à l’écran ». Le cinquantenaire des événements de Mai 68 est-il pour quelque chose dans le choix de cette thématique ?

Olivier Pierre : Nous consacrons plusieurs séances à cet évènement historique, même si nous n’avions pas envie de revenir de manière directe sur Mai 68 mais plutôt de nous attacher à la figure du rebelle… Les rebelles aujourd’hui, ce sont peut-être les ouvriers de GM&S en lutte contre la fermeture de leur usine [Guéret, France] qu’a filmés Lech Kowalski. Il sera présent au festival avec une cinquantaine de salariés qui vont venir jusqu’à Saint-Denis pour dialoguer avec les représentants de PSA et Peugeot. Les images de leurs luttes, filmées par Kowalski, seront projetées au festival.

Pourquoi Larry Clark, invité d’honneur ?

Les rebelles prennent des figures différentes dans l’histoire du cinéma. C’est par exemple James Dean, le frère de vie de Nicholas Ray, dont nous ne montrons pas le film [La Fureur de vivre, 1955] qui est un classique. Disons que le Nicholas Ray d’aujourd’hui, à l’écran, c’est Larry Clark, qui est un photographe et cinéaste américain.

« Another Day in paradise », le film de Larry Clarke projeté à l’ouverture du festival, présente-t-il une image de la jeunesse rebelle différente de celle de Nicholas Ray ?

Etre rebelle pour Larry Clark, c’est filmer les adolescents. Et son sujet de prédilection, c’est la jeunesse en perte de repères. Une jeunesse marginale qu’il a photographiée pendant longtemps dans sa ville de Tulsa aux Etats-Unis, avant de réaliser « Kids » son premier filmUne jeunesse encore présente dans ses deux nouveaux films, « Marfa Girl » et « Marfa Girl 2 ». Et aussi dans « The Smell of Us », son dernier film sorti en France et qui a été tourné à Paris [2015].

18E JOURNÉES CINÉMATOGRAPHIQUES DIONYSIENNES

Quel regard pose-t-il sur ces adolescents ?

Un regard sur une jeunesse à la dérive. On voit beaucoup de séquences de sexe, de drogue. Mais ce qui est particulier dans son cinéma, c’est qu’il ne porte aucun jugement. Libre aux spectateurs de se faire un point de vue. Larry Clark a beaucoup d’empathie pour cette jeunesse. Même physiquement. Dans « The Smell of Us », il interprète trois rôles. Il est avec eux dans ce monde, derrière et devant la caméra.

Un cinéaste rebelle aussi dans sa manière deproduire et de distribuer.
« Marfa Girl » n’a pas été diffusé dans les circuits commerciaux classiques. Il l’a mis en accès libre sur son site. Ce film est donc inédit en salles. Pour « Marfa Girl 2 », je ne sais pas. Mais il nous a proposé de montrer les deux films à Saint-Denis, et il nous offre « Marfa Girl 2 »en première mondiale !

Larry Clark, est-ce un clin d’œil à la contreculture américaine des années 1970 ?

Bien sûr. Larry Clark en est issu. A l’époque, il y a ce qu’on appelle le nouveau cinéma américain, avec Brian De Palma, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese. Lui, à ce moment-là, il fait des photos en noir et blanc à Tulsa. Mais il est issu de cette contreculture américaine, même s’il a commencé à faire des films tardivement.

Pourquoi proposez-vous si peu de films émanant des courants noirs américains, hormis les deux sur Angela Davis ?

On a consacré une édition entière, « Black Révolution », à cette cinématographie. On aurait pu ajouter toute sa programmation à celle sur les rebelles… Souvent, les éditions se recoupent. « Rebel Rebel », un titre emprunté à la chanson de David Bowie sur l’album « Diamond Dogs », croise aussi notre édition de 2005 « Sauvage innocence», titre d’un film de Philippe Garrel. Et encore notre édition « Combat Rock » consacrée à la musique…

Revenons au cinéma noir américain…

Oui.On va montrer le film de Yolande Du Luart, une documentariste décédée l’an dernier [nov. 2017], qui a fait ce portrait important d’Angela Davis, « Portrait of a Revolutionary » au début des années 1970. On propose également « The Greatest », dans lequel Mohamed Ali joue son propre rôle. Il raconte sa vie et ses prises de position contre le Vietnam, la vie de boxeur militant…

Pour les contre-courants européens, vous donnez carte blanche au réalisateur français FJ Ossang.

La musique rebelle, c’est d’abord le punk. L’édition « Combat Rock » parlait de ces mouvements musicaux au cinéma et on avait déjà fait une rétrospective des films de FJ Ossang. Mais il se trouve qu’il a une vraie actualité. Son dernier film, 9 doigts, a obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Locarno. Une occasion de l’inviter pour le présenter en avant-première et de lui consacrer une carte blanche. FJ Ossangest un écrivain, musicien punk, cinéaste. Il a été chanteur de noise’n’roll dans le groupe MKB (Fraction Provisoire) [qu’il a créé à la fin des années 1970].

FJ Ossang qui fait un focus sur le leader du groupe anglais The Clash…

Joe Strummer, le leader des Clash, est un musicien punk militant. Son groupe était le plus engagé de l’époque. En plus, il a joué beaucoup de rôles au cinéma. Il a joué son propre rôle dans « Rude Boy », de Jack Hazan et David Mingway, qui mettait en scène les Clash. Il a joué des rôles de fiction dans « Mystery Train »de Jim Jarmusch, dans J’ai engagé un tueurd’Aki Kaurismäki ou dans « Straigth To Hell Returns », le film d’Alex Cox inédit en France. Et son dernier rôle, c’était dans Docteur Chance, un film d’Ossang…

Autant de films au programme à Saint-Denis…

Strummer est un ami pour FJ Ossang.Et pour nous, une occasion originale de revenir sur ce cinéaste, le rock et la musique contestataireC’est vrai que le punk est maintenant d’une autre époque… Aujourd’hui, les rebelles dans la musique, ce sont les rappeurs. On donne d’ailleurs une carte blanche, moins conséquente, à Pascal Tessaud qui viendra présenter son film sur les slameurs du 93.

Master class autour de son film Gadjo Dilo. Pourquoi lui accorder un chapitre de votre festival ?

Tony Gatlif est un cinéaste populaire. Et une Master class avec Gadjo Dilo [1997], c’était un peu une évidence. C’est un de ses classiques, avec Romain Duris dont c’était les débuts, toujours très fougueux… Le sujet de Gatlif, c’est la musique et la communauté gitane. Une communauté marginale, rebelle en soi puisque ce sont des gens traqués qui luttent pour leur survie… C’est une belle initiation à l’univers de Gatlif. Une leçon de cinéma où on revient sur tout son parcours…

Peu de films « rebelles » du sud du Sahara, là aussi… Hormis cette rencontre entre le Mauritanien Med Hondo et Didier Daeninckx autour de Lumière Noire. Est-ce là aussi, un choix ?

Il y a beaucoup d’oublis dans cette programmation, volontaires et involontaires. Med Hondo est présent, mais il n’y a pas d’autres cinéastes d’origine africaine. Les programmations se construisent autour de certains invités. Là, on a laissé une grande place aux cinéastes français et américains, avec Larry Clark. Tous les pays ne sont pas traités, tous les genres… Mais c’est un peu la règle du jeu.

Il y a ce que vous appelez « les petits rebelles », qui parfois sont des monstres sacrés du cinéma, comme Charlie Chaplin avec Un Roi à New York.

C’est un clin d’œil. Ce sont des films destinés à tout le monde, mais au jeune public en particulier. C’est un film un peu plus rare de Charlie Chaplin. Un Roi à New York parle du maccarthysme. Un sujet très politique et où il n’incarne pas, pour une fois, le Charlot qu’on connaît. C’est l’histoire d’un petit enfant qui a une conscience politique très vive et qui parle avec ce roi déchu… Un vrai petit rebelle. Il y a aussi Robin des Bois

Un mot encore sur les réalisateurs qui ont opéré des ruptures formelles ou esthétiques dans l’art cinématographique. Hormis Larry Clarke, qui d’autre au festival ?

Des cinéastes très novateurs à leur époque, dont les films sont devenus des classiques. Comme Richard Sarafian, avec « Vanishing Point » (littéralement « ligne de fuite ». Point Limite zéro, 1971), qui fait l’affiche du festival. Ce road-movie met un nouveau souffle dans la manière d’aborder le cinéma. C’est l’histoire de Kowalski, un chauffeur poursuivi par la police [il a parié qu’il relierait Denver à San Francisco en 15 heures]. Son épopée est commentée de manière surréaliste par un animateur de radio locale, un Afro-américain aveugle, qui parle à la fois au héros comme s’il était avec lui et à ses auditeurs…

Qui d’autre ?

On va aussi montrer des films de Gérard Blain, avec sa manière de faire un polar jusqu’au bout de la nuitun cinématrès sec et très inspiré par le modèle « Robert Bresson » – c’est ainsi que ses acteurs l’appelaient. Et un jeu pas du tout théâtral ou démonstratif. Une retenue très particulière. On peut citer enfin le film d’une cinéaste libanaise, Heiny Srour, qui a fait deux documentaires importants dans les années  970, dont L’Heure  de la libération a sonné, qui vient d’être restauré. Elle va venir le présenter au festival. Cela se passe [en 1965] dans le Sultanat d’Oman. Le Front de libération du Dhofar a déclenché une guérilla contre le despote au pouvoir soutenu par les Britanniques. C’est un documentaire militant où les femmes ont une place prépondérante dans la lutte armée [Heiny Srour fut la première femme arabe à avoir été sélectionnée en 1974 au Festival de Cannes].

RFI