Jesé Rodriguez et Gerard Deulofeu, l’échec de la relève attitrée de Cristiano Ronaldo et de Lionel Messi

Jesé Rodriguez et Gerard Deulofeu, l'échec de la relève attitrée de Cristiano Ronaldo et de Lionel Messi

Considérés comme les deux plus gros espoirs du Real Madrid et du FC Barcelone au début des années 2010, les deux joueurs offensifs espagnols n’ont jamais réussi à être à la hauteur des attentes. Focus.
15 juillet 2012. Comme c’est habituel depuis une vingtaine d’années, l’Espagne rafle un nouveau titre chez les jeunes. Ce jour-là, l’équipe entraînée par un Julen Lopetegui qui faisait ses premiers pas sur les bancs de touche remportait l’Euro U19 sous le soleil estonien. Dans l’effectif de l’actuel coach du Séville FC, on retrouvait une pléiade de jeunes prometteurs, qui ont par la suite réussi à se faire une place dans l’élite. Parmi eux, Kepa Arrizabalaga (Chelsea), Alejandro Grimaldo (Benfica), Juan Bernat (PSG), Suso (Séville), Saul (Atlético de Madrid), Oliver Torres (Séville) ou encore Paco Alcacer (Villarreal). Mais pendant cette compétition, où la Rojita avait d’ailleurs écarté la France de son chemin en demies, les yeux des observateurs étaient rivés sur un blondinet au regard juvénile et un post-adolescent qui faisait un peu plus que son âge… Gerard Deulofeu et Jesé Rodriguez. Le premier, pur produit de La Masia du FC Barcelone, a été MVP du tournoi, alors que le deuxième, issue de La Fabrica du Real Madrid, a terminé meilleur buteur de la compétition.
Pas une surprise, puisque les deux étaient, depuis des années déjà, promis à un énorme avenir et avaient même déjà débuté en A avec leur club respectif. Clairement, à l’époque, on pensait que le Catalan et le Canarien allaient être les têtes d’affiche du football espagnol pour la décennie à venir. Si aujourd’hui la comparaison peut faire pouffer de rire les plus jeunes, les médias espagnols voyaient en eux la relève parfaite de Lionel Messi et de Cristiano Ronaldo. Tout semblait y être : le talent forcément, mais aussi cet antagonisme entre FC Barcelone et Real Madrid. Curieusement, Gerard Deulofeu semblait, dans le profil, plus proche de la star portugaise que de son coéquipier argentin. Il nous rappelait le Cristiano de ses débuts au Sporting puis de ses exploits en terres mancuniennes, avec ses dribbles dévastateurs sur le côté et une facilité à accélérer impressionnante. Dans le même temps, le profil de Jesé pouvait se rapprocher, en quelque sorte, de celui du Lionel Messi que l’on voyait parfois utilisé en temps que faux numéro 9 à Barcelone. Jesé vs Deulofeu, qui est le meilleur ? Un débat qui animait en tout cas régulièrement les émissions foot espagnoles de l’époque…

Des débuts compliqués dans la cour des grands
Seulement, les choses ont plutôt mal tourné pour les deux prodiges, même si aujourd’hui, le Catalan semble s’en être un peu mieux sorti que son ancien compagnon d’aventures chez les U19 et U21 espagnols. Tous deux avaient pourtant déjà franchi quelques paliers, parvenant à intégrer, plus ou moins régulièrement, la rotation de leur club formateur. Dans ce sens, celui qui a ensuite défendu la tunique du PSG semblait même en avance. Après leur Euro U12 brillant, tous deux ont continué de jouer avec l’équipe B de leur club, signant des saisons monstrueuses sur le plan statistique. Le Merengue avait notamment terminé la saison 2012/2013 avec 22 buts et 12 passes décisives en deuxième division. Le Blaugrana lui était élu meilleur joueur de l’année dans cette même catégorie. Tout était en place pour que rapidement, les deux commencent à avoir un rôle majeur, avec Tata Martino et Carlo Ancelotti.

Et c’est lors de cette saison suivante que le premier tournant est arrivé. Pour les deux hommes. Gerard Deulofeu n’est pas encore jugé apte à jouer dans ce Barça, et est envoyé en prêt à Everton, loin du cocon catalan. S’il parvient à tirer son épingle du jeu de façon épisodique, celui qui n’avait que 19 ans à l’époque de son départ pour la Mersey doit principalement se contenter d’un rôle de joker de luxe, dans une écurie bien loin du haut du classement, et dans un football bien différent. Dans le même temps, Jesé parvient à se mettre Carlo Ancelotti dans la poche et semble plutôt bien lancer sa carrière madrilène, avec, lui aussi, un rôle d’atout offensif en sortie de banc. Il se montre en revanche très convaincant lors de ses apparitions, avec un premier but en pro au Camp Nou face au Barça à la fin octobre, même si l’ennemi juré catalan s’adjuge finalement le Clasico (2-1). Jusqu’à cette fameuse soirée de mars 2014, où il se fait les croisés sur un choc avec Kolasinac, le défenseur de Schalke 04. Le début de la fin…

Mais que s’est-il passé ?
Un an après leur vrai passage dans le monde pro, en Angleterre pour l’un et du côté de la capitale espagnole pour l’autre, les choses sont donc plutôt mal embarquées. La suite ne sera pas forcément glorieuse. A son retour de blessure, Jesé peine à enchaîner, et a clairement perdu au niveau des appuis et de son coup de rein. Il ne reviendra jamais vraiment dans le bain à Madrid, et tentera de se relancer à Paris dès l’été 2016. Très vite indésirable en terres franciliennes, il enchaîne les prêts. Las Palmas, Stoke City, Betis, Sporting ; une série d’aventures qui se terminent toutes de la même manière, sur un énorme échec, malgré, à chaque fois, une ou deux prestations convaincantes qui ont laissé penser qu’il pouvait se remettre dans le droit chemin. Le tout, avec des affaires extra-sportives en veux-tu en voilà qui ont régalé la presse people espagnole, sur fond d’infidélités et de divers scandales amoureux. Sans parler d’un surpoids parfois évident et d’une tentative de carrière parallèle dans le monde de la musique. Joueur le plus clinquant d’une génération de La Fabrica dans laquelle on retrouvait Dani Carvajal, Pablo Sarabia, Rodrigo Moreno, Alvaro Morata, Nacho ou Lucas Vazquez, il aura finalement été celui qui a eu la moins bonne carrière…

Gerard Deulofeu s’en est, comme expliqué plus haut, un peu mieux sorti, au cours d’une carrière pour l’instant marquée par des fulgurances brillantes noyées dans un bain d’irrégularité trop rédhibitoire pour le plus haut niveau. Lui aussi enchaîne les expériences, avec brio parfois, comme cette deuxième partie de saison à Milan en 2016/2017, où l’on a par moment vu le joueur qu’on attendait. Ce qui lui avait valu une cape en équipe nationale, crucifiant la France à Saint-Denis en mars 2017 (2-0) avec un penalty provoqué et un but inscrit. S’en suit un retour au Barça, plein de hype… Pour pas grand-chose finalement, puisqu’il retombe dans ses travers de joueurs un peu soliste, qui a tendance à ne pas lever la tête lorsque le ballon entre en contact avec ses crampons. Il repart après six mois sous les ordres d’Ernesto Valverde, direction Watford où il a évolué jusqu’à son prêt à l’Udinese cet été, étant capable du meilleur comme du pire. Sans jamais connaître de grave blessure jusqu’à sa rupture des ligaments croisés en mars dernier, lui aussi a souvent été handicapé par les pépins physiques.

Pourquoi de tels échecs ?
On le sait, pour qu’un jeune espoir parvienne à exploiter, il faut que tout un cocktail d’ingrédients parvienne à se mélanger avec harmonie : le talent, la forme physique, un bon entourage, la confiance des entraîneurs, des bons choix de carrière, une bonne entente et cohésion avec les coéquipiers… le tout avec une petite touche de chance et de réussite. Beaucoup de ces éléments sont souvent indépendants de la volonté des principaux concernés, Jesé le sait bien. Mais s’il y a un facteur qui prime – tous les grands joueurs pourront le confirmer – et qui ne dépend que du joueur, c’est le travail. Et si on se fie aux retours des journalistes couvrant l’actualité des mastodontes de la Liga, tous deux en ont clairement manqué. Surtout lors de leurs premières années, là où les joueurs commencent à poser les bases de leur carrière. Peut-être avaient-ils tellement de talent lorsqu’ils étaient jeunes qu’ils n’avaient pas besoin de se donner plus que ça pour survoler les rencontres. Certains leurs reprochaient également un manque d’humilité flagrant. Alors qu’il n’avait que 18 ans, Gerard Deulofeu s’était déjà fait reprendre de volée par l’entraîneur de l’équipe B du Barça de l’époque, Eusebio Sacristan, qui avait affirmé qu’il « doit travailler en étant plus humble ». Rebelote en 2016 quand Unai Emery expliquait que le Catalan, qu’il avait alors à ses ordres à Séville, n’était pas encore prêt : « il n’a pas encore la maturité nécessaire. Je lui ai dit qu’il y a des joueurs qui aspirent à avoir le même contrat que lui, des joueurs qui ont moins de talent mais qui ont plus faim ». Quant à Jesé – dont la légende Jorge Valdano parlait d’un joueur qui « traînait les pieds quand il fallait se sacrifier » – ses déclarations ont parfois été pour le moins égocentriques.

« La blessure a provoqué un gros frein dans ma carrière, tant footballistiquement que dans ma vie personnelle, ce n’est pas une excuse mais une réalité. Tout a été plus dur après. […] Je n’ai jamais aimé me comparer aux autres joueurs, mais je crois que je serais titulaire indiscutable au Real Madrid. J’en suis sûr », confiait Jesé en 2017 à son arrivée à Las Palmas, quand sa carrière semblait encore récupérable. Par le passé, avant sa blessure, il évoquait déjà le Ballon d’Or, encouragé par une presse madrilène qui n’avait d’yeux que pour lui… Bien loin de ses sorties médiatiques actuelles, où il affiche bien plus de maturité et de recul sur ses erreurs : « j’ai pleuré, j’ai souffert. J’ai gardé ça pour moi. Je ne vais pas le nier, je suis passé par de mauvais moments. Mais maintenant tout est entre mes mains ». Si on met de côté ce point commun, les deux cas sont cependant un peu différents. L’échec de l’ancien Parisien s’explique plutôt par sa fameuse blessure, et surtout par des problèmes de discipline qui l’ont logiquement empêché d’être un athlète d’élite. Quant à Gerard Deulofeu, la nature de ses soucis semble plutôt résider dans sa façon de jouer, qui n’a pas vraiment évolué au fil des années. Trop soliste, trop basée sur le un contre un, trop nonchalant, et donc pas en adéquation avec ce que demande le football actuel, où on exige un sens collectif à toute épreuve et où les ailiers sont souvent aussi impliqués sur les labeurs défensifs que les latéraux. Qui sait, si la carrière des deux avait pris le chemin attendu, l’histoire récente de leurs deux clubs et de la sélection espagnole aurait probablement été bien différente…