Le Gouvernement veut que les élèves en classe d’examen reprennent les cours dès le 2 juin prochain, alors que l’épidémie du covid-19 ne faiblit pas au Sénégal. Ce qui suscite des craintes chez de nombreux parents d’élèves. Ancien ministre de l’Education nationale, Kalidou Diallo analyse cette décision du gouvernement et donne son avis dans cet entretien.
Quel est votre avis sur la décision de rouvrir les classes le 02 juin prochain ?
Devant cette pandémie grave, avec un virus si contagieux et non maitrisé et dont on ne connait pas trop l’issue, chaque pays a la responsabilité de trouver une solution adaptée à sa situation pour faire fonctionner son système éducatif. Certains pays en Europe, en Asie et même dans la sous-région ont déjà pris leur responsabilité dans ce domaine en décidant d’ouvrir les écoles avec des conditions bien définies. Cette décision de rouvrir les classes au Sénégal est très logique d’autant plus qu’elle émane de la plus haute autorité qui s’appuie sur les informations scientifiques du Comité national de gestion des épidémies et celles des techniciens au niveau de l’éducation nationale, la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur sur l’orientation et la supervision de leur ministre respectif.
Certains parents d’élèves éprouvent des craintes. Pensez-vous qu’il soit prudent de laisser les enfants rejoindre les classes dans un tel contexte ?
C’est normal, comme partout à travers le monde que les parents s’inquiètent au regard des informations quotidiennes sur l’évolution croissante du nombre de personnes contaminées d’autant que la maladie ne faiblit pas encore. C’est pour cette raison, je pense bien, que l’Etat s’est projeté sur un mois au moins pour mettre en place une stratégie sécuritaire rassurante, en utilisant les ressources et compétences de tous les départements ministériels concernés par le retour à l’école.
Les élèves et les enseignants pourraient bien rejoindre les classes dans ces conditions renforcées par un dispositif sanitaire et pédagogique opérationnel dans l’établissement : gardiennage, thermo-flash, propreté et hygiène, distanciation sociale, gestes barrières, masques, effectif réduit, etc. C’est vrai que certains citoyens et une petite minorité de syndicalistes expriment légitimement leurs préoccupations en se fondant sur la disparité des situations, des effectifs pléthoriques, des abris provisoires, l’arrivée de la saison des pluies, le déficit d’enseignants, d’eau courante, d’électricité ou le manque de moyen.
Cependant, je reste convaincu que des solutions sont à portée au regard de la mobilisation communautaire autour de l’école, avec la réalité du Force Covid-19, l’engagement des autorités territoriales, régionales, départementales et communales de même que celui des parents d’élèves, des mouvements de femmes, des syndicats d’enseignants, d’organisations de la société civile et des structures de jeunesse autour de l’éducation.
L’Etat a décidé de commencer par les classes d’examen, comment jugez-vous cette stratégie ?
Je pense que c’est une tranche d’âge intéressante entre 11 et 20 ans, donc assez mature pour comprendre et respecter les gestes barrières et peut être moins fragile face au virus.
Les classes d’examen représentent sensiblement 1/6 des effectifs de l’élémentaire, ¼ du moyen et 1/3 du secondaire; ce qui veut dire qu’il est tout à fait possible de scinder des classes en groupes de 20 par exemple, disposer des enseignants et des salles prévus pour les autres niveaux préparatoires avec des équipes pédagogiques soudées, solidaires et encadrées.
Cet espoir du Chef de l’Etat « d’une reprise progressive et maitrisée dans le respect des mesures édictées » (tweet du 03 mai 2020) peut être bien réalisé si toute la communauté s’engage. Cette stratégie est pertinente car elle permet de s’assurer d’une part que les éléments du programme seront sauvés au maximum avant toute évaluation, mais aussi cela permettra d’évaluer à mi- parcours le retour en classe des autres niveaux après avoir identifié tous les besoins et s’il y a lieu de rectifier.
Ce qui reste de l’année scolaire suffira-t-il pour mener les enseignements jusqu’au bout ?
Dans ce contexte de «guerre», il ne s’agit pas de mener les enseignements jusqu’au bout mais surtout de donner aux apprenants l’essentiel des connaissances et compétences qui garantiront leur équilibre pédagogique, leur niveau dans les classes de l’année suivante et leur réussite aux examens. D’ailleurs, durant la première guerre mondiale, l’Université de France avait réduit la durée du temps d’études des diplômes, par exemple deux ans pour l’obtention de la licence au lieu de trois et certains parmi les bénéficiaires de cette mesure étaient devenus de hauts cadres dans leurs pays.
En plus, la continuité pédagogique à travers le dispositif « Apprendre à la maison », le canal Education et les initiatives des télévisions privées de même que les initiatives individuelles et collectives prises par des chefs d’établissement, des enseignants, la société civiles et les parents d’élèves constituent bien des outils de soutien scolaire et de renforcement de niveau.
Une prolongation de l’année scolaire s’impose-elle ?
Si l’on redémarre le 02 juin, ce sera juste de rendre effective, pour les classes d’examen, la durée de l’année scolaire qui se termine le 31 juillet. Il s’agira peut-être à ce niveau de réaménager d’une, deux ou trois semaines la dates des examens avec la collaboration des ministères du secteur.
Les autres cours préparatoires vont poursuivre obligatoirement les cours pour rattraper le quantum horaire perdu. Les techniciens de l’éducation trouveront le découpage le plus pertinent, adapté à la situation et aux objectifs pédagogiques. Sur cette base, le Chef de l’Etat pourrait signer un nouveau décret de réaménagement de l’année scolaire 2019-2020 qui, sans doute, va empiéter sans doute sur l’année 2020-2021.
La prolongation de l’année scolaire aura-t-elle des répercussions financières, notamment pour les émoluments des enseignants ?
Contrairement à certains enseignants du privé ou à certains vacataires, les fonctionnaires et agents de l’Etat continuent à percevoir leurs salaires habituels même s’ils sont à la maison, car la fermeture des écoles et des Universités fait partie des cinq mesures prises par Monsieur le Président de la République pour endiguer le risque de propagation du coronavirus au Sénégal.
Les frais supplémentaires de l’Etat peuvent se situer au niveau de la compensation des écoles privées qui remplissent les conditions et également dans la mise en œuvre des mesures édictées par l’Etat.
Par ailleurs, la concertation permanente entre partenaires de l’école permet en même temps d’intégrer la question des vacances scolaire dans le consensus global pour sauver le système éducation dans notre pays.
L’Etat a laissé les Universités décider d’elles-mêmes de la date de reprise. Pourquoi a-t-il procédé de la sorte ?
Un certain nombre de textes définissent le statut des établissements de l’enseignement supérieur : la loi 81-59 sur le statut du personnel enseignant, la loi 94-79 sur les franchises universitaires, la loi 2011-05 sur la LMD, la loi 2015-02 du 06 janvier 2015 sur l’organisation des universités dont le décret d’application 2020-979 est signé le 23 avril 2020.
Nos universités publiques sont des établissements publics dotés de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et pédagogique sous la tutelle du ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation.
C’est à ce titre, que ces universités à travers leurs structures délibérantes (Facultés, UFR, instituts et assemblées) délibèrent en fonction de leur réalité et spécificité sur les questions pédagogiques. Sur la date de reprise, la tutelle a donné une fourchette allant du 02 au 14 juin 2020.
igfm